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BIBLIOTHÈQUE INTERNATIONALE
DE PSYCHOLOGIE EXPÉRIMENTALE
NORMALE ET PATHOLOGIQUE
PUBLIÉE SOUS LA DIRECTION
Du D p TOULOUSE
Médecin en chef de l'Asile de Villejuif,
Directeur du Laboratoire de Psychologie expérimentale
à l'École des Hautes Études.
Secrétaire : N. VASGHIDE
LA VOLONTÉ
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DU MÊME AUTEUR
LIBRAIRIE ALCAN
/. activité mentale et les éléments de l'esprit, i vol. in-8.
Les caractères, 2 e édition, i vol. in-8.
Esprits logiques et esprits faux, i vol. in-8.
Le* phénomènes affectifs et les lois de leur apparition r
:i* éd. i i vol. in-18.
Joseph de Maistre et sa philosophie, i vol. in-18.
Psychologie de l'invention, i vol. in-18.
Le nouveau, mysticisme, i vol. in-18.
Physiologie de V esprit, 5 e édition, i vol. in-3a.
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LA VOLONTÉ
FR. PAULHAN
PARIS
OCTAVE DOIN, ÉDITEUR
8, PLACE DE L'ODÉON, 8
1903
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1 "S.fc O 5"
CCT 1 1913
,E 1W LA VOLONTÉ
INTRODUCTION
La volonté est une forme, un cas spécial, de notre
activité. Incessamment l'homme agit sur lui-même
et sur le monde extérieur. Il satisfait ses désirs, il se
dirige selon ses idées, il crée de nouvelles idées et de
nouveaux désirs, il influence ses semblables, il mo-
difie le milieu qui l'entoure, milieu physique, milieu
moral, milieu social, il s'adapte à ce milieu, il adapte
ce milieu à lui-même. Ce serait une singulière erreur
que de ne voir l'activité de l'homme et de ne retrouver
sa volonté que sous leur forme motrice. L'activité se
manifeste et la volonté se montre aussi bien dans la
direction des idées, et même, quoique un peu autre-
ment, dans l'évolution des sentiments que dans l'exé-
cution des actes.
Toute activité n'est pas volontaire ou du moins
toute activité n'est pas volontaire au même degré, et
n'est pas en apparence volontaire. Bien souvent nous
pensons, njous sentons, nous agissons d'une manière
Paulhah. i
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2 LÀ VOLONTE
réflexe, automatique ou instinctive. Ce sont là des
modes d'activité qui diffèrent de l'activité volontaire
tout en ayant avec elle les rapports les plus étroits.
Dans l'activité réflexe, automatique, instinctive, nous
agissons sans délibération, sans intervention du moi
conscient, de la réflexion attentive, et même souvent
sans nous en rendre bien compte. Il en est de même
dans l'activité suggérée, dans l'imitation spontanée
qui tient une grande place dans la vie mentale et sociale
et qui passe bien souvent inaperçue. Car il arrive qu'on
s'abuse soi-même sur la nature de sa propre activité et
qu'on s'imagine vouloir énergiquement quand on ne
fait, en somme, que se laisser aller à la routine et
subir assez passivement l'influence d'autrui.
» La volonté implique généralement à quelque degré
la conscience et la réflexion. L'acte volontaire com-
prend trois phases : la délibération, la décision et l'exé-
cution. Celle-ci est peut-être plutôt un signe et comme
une preuve de l'acte volontaire qu'un de ses éléments
constituants. Mais ce qui constitue le plus essentielle-
ment la volonté, c'est le fait même de la décision.
C'est là une synthèse psychologique originale, dont
les caractères sont assez nets, qui se distingue de l'ac-
tivité automatique par sa nouveauté, et de l'activité
suggérée par sa nature beaucoup plus personnelle,
plus spéciale à l'agent.
Quelques exemples suffisent à nous montrer clai-
rement les différentes formes de l'activité humaine
que je viens de mentionner. Nous agissons d'une ma-
nière réflexe et instinctive quand nous fermons les
paupières en voyant un objet quelconque s^approcher
de notre œil, d'une manière automatique quand nous
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à
INTRODUCTION 5
ouvrons machinalement notre parapluie après avoir
senti quelques gouttes, par suggestion quand nous
nous levons sans y prendre garde à l'annonce que le
dîner est servi. Au contraire c'est un acte de volonté
que se décider, après mûre réflexion, à se faire pro-
fesseur ou à partir pour une exploration lointaine.
On a pu croire, d'après la vieille division des phé-
nomènes psychologiques en faits de sensibilité, d'in-
telligence et de volonté, que la volonté pouvait offrir
à notre étude des faits spéciaux, différents des autres
phénomènes psychiques, et formant une classe ana-
logue. Il n'en est rien. La volition n'est pas, dans ses
éléments, un phénomène distinct des autres par sa
nature et qui se distinguerait d'une émotion et d'une
idée comme l'émotion et l'idée se distinguent l'une de
l'autre. La volition a toujours pour éléments, des
«tats intellectuels et des états affectifs, des idées, des
images visuelles, auditives, motrices, etc., des émo-
tions de peur ou de désir, des tendances diverses,
elle n'a pas d'autres éléments. Son caractère propre
est simplement d'être une synthèse nouvelle, ce qui la
différencie dans une certaine mesure et de la routine
et de l'imitation, et une synthèse active, ce qui la
différencie dans une certaine mesure de l'invention,
de ces divers phénomènes. Il n'y a rien d'original dans
la volonté, si ce n'est la volonté même, la synthèse
active et nouvelle d'éléments très variés qu'on pour-
rait classer -dans toutes les autres catégories de phé-
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4 LA VOLONTÉ
nomènes psychiques. Au moment même où nous
prenons une décision, ce qui se produit ce n'est pas
un élément nouveau, c'est une fixation nouvelle des
éléments qui existaient déjà, de nos désirs et de nos
idées, c'est une orientation nouvelle de l'esprit.
§3.
La volonté qui se rattache à certains égards à l'au-
tomatisme et à l'imitation, se rattache aussi à l'inven-
tion. Elle est quelque chose comme une combinaison
d'invention et d'automatisme. Elle se rapproche de
l'invention, en ce qu'elle est, comme celle-ci, une
synthèse nouvelle. Elle est une sorte d'invention
pratique, d'invention appliquée, d'invention active.
C'est une question de savoir s'il y a de la volonté
dans toute invention, mais sûrement il y a toujours
une part d'invention active, sinon toujours d'in-
vention intellectuelle dans chaque acte de volonté. La
synthèse volitive est exactement l'analogue de la syn-
thèse créatrice, l'une étant dans l'ordre de l'activité ce
qu'est l'autre dans l'ordre de l'intelligence. La volonté
s'oppose à l'automatisme et le rompt exactement comr
me l'invention s'oppose à la routine et la brise. L'une
et l'autre sont une rupture de l'habitude, et l'une et
l'autre aussi préparent des habitudes nouvelles, un
automatisme plus compliqué, une routine plus savante,
que de nouvelles volontés et de nouvelles inventions
viendront contrarier encore. Ce qui est automatisme
chez un pianiste exercé était une série d'actes de vo-
lonté et d'attention chez le débutant, comme ce qui
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INTRODUCTION
est routine dans la manière d'un peintre ou d'un
poète fut jadis une invention opposée à la routine de
l'école.
§*•
On voit en abrégé d'après ce qui précède quels
sont les principaux éléments et les qualités spéciales
qui constituent essentiellement la volonté. Ce n'est
pas tout ce que nous aurons à étudier. Ces éléments et
ces caractères varient, au moins de qualité, et aussi
dans leurs proportions d'un individu à l'autre. La
synthèse volontaire ne s'effectue pas chez tous les
hommes de la même façon. Il y a là une assez grande
variété de formes de volonté dont l'étude a son im-
portance. L'analyse doit nous permettre de recon-
naître sous toutes ces apparences le mécanisme qui
les produit. Nous aurons encore à délimiter le do-
maine de la volonté, à voir sur quels phénomènes
elle peut avoir prise, et comment son domaine peut
s'agrandir ou diminuer, à rapprocher les données de
la psychologie de celles de la biologie d'une part et
de la sociologie de l'autre, et enfin à dire quelques
mots des questions philosophiques que son étude sou-
lève, à parler au moins brièvement des rapports de
la volonté avec le monde, et de son rôle général dans
les évolutions des sociétés et des mondes. Cette intro-
duction n'est qu'une indication succincte et un ré-
sumé partiel des matières que je me propose d'aborder
dans ce livre.
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CHAPITRE PREMIER
LA VOLONTÉ ET L'AUTOMATISME
§ i. — Actes réflexes et automatisme psychique.
Il est toute une grande part de notre activité qui,
de l'aveu de tous, n'est pas volontaire, ou du moins,
ne Test que très peu. Telles sont l'activité réflexe, l'ac-
tivité automatique, l'activité instinctive. Ces formes de
l'activité sont parfois inconscientes, parfois aussi notre
sens interne les aperçoit, elles offrent en général une
grande régularité et, par rapport aux actes volontaires,
une certaine simplicité, très variable d'ailleurs d'un
bout de la série à l'autre. Les réflexes les plus simples
sont, par exemple, bien moins compliqués que les
actes instinctifs.
Je n'insisterai pas sur les actes réflexes ; les no-
tions dont nous aurons besoin pour l'étude de la
volonté sont assez répandues. On sait qu'ils sont
beaucoup plus compliqués les uns que les autres. On
sait aussi que les réflexes simples peuvent être em-
ployés comme éléments dans des réflexes composés
ou dans des actes instinctifs. Il se produit ainsi
une complication croissante des mouvements qui
peut devenir une des occasions qui préparent l'ac-
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LA VOLONTÉ ET L'AUTOMATISME f
tion volontaire. La toux, l'éternuement, la respira-
tion, la marche, les mouvements provoqués par le
chatouillement sont des exemples bien connus.de ré-
flexes plus ou moins compliqués, quelques-uns de ces
phénomènes peuvent cependant devenir autre chose
que des actes réflexes et faire l'objet d'un acte de
volonté, lorsqu'ils ne dépendent plus seulement de
l'excitation qui les produit normalement, mais qu'ils
sont mis en rapport avec une partie plus considérable
de la personnalité, de nos tendances, de nos désirs et
de nos idées, lorsque le moi intervient pour déter-
miner, faciliter, permettre leur exécution.
Ce qu'on a peut-être un peu moins remarqué que
le réflexe pur, c'est l'automatisme psychologique. Il est
une immense quantité d'actes, plus compliqués, mais
qui s'accomplissent avec à peu près la même régula-
rité et la même fatalité que les réflexes. En irritant
une patte d'une grenouille décapitée, on lui fait reti-
rer cette patte. Mais en irritant l'amour propre d'un
homme vaniteux on est à peu près sûr de provoquer
des réactions instinctives presque aussi fatales et
aussi faciles à prévoir que les mouvements de la gre-
nouille. Et ces diverses réactions manifestent des lois
d'irradiation et de complication à peu près analogues,
à mesure que croît l'excitation. Évidemment le phé-
nomène est ici beaucoup plus compliqué et par cela
même moins régulier, mais au fond les choses se pas-
sent à peu près de même. Ces « réflexes psychiques »
pour employer le nom que leur donne M. Charles
Richet 1 , sont extrêmement nombreux. Les habitudes
i. Voir les études de M. Richet sur les réflexes psychiques
dans la Revue philosophique. Année 1888. Tome I.
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8 LA VOLONTÉ
que nous prenons spontanément et celles qu'on nous
fait prendre en fournissent continuellement des exem-
ples très variés.
Le caractère de chacun de nous est une cause con-
tinuelle de réflexes psychiques, et particulièrement
de ce que l'on pourrait appeler le réflexe sentimental
en même temps que du réflexe d'habitude. Chacun
de nous a ses sentiments, ses habitudes propres de
penser, de sentir et d'agir qui sont toujours en
activité ou très près de s'y mettre. C'est même la con-
stance de leur action qui donne à chacun de nous
un caractère reconnaissable et une personnalité dis-
tincte. Nos qualités, nos défauts ne sont autre chose
que la forme générale et toujours semblable à elle-
même que prennent nos impressions et nos actes. Dire
de quelqu'un qu'il est avare, c'est spécifier la classe
de sentiments et de réactions que provoqueront en lui
les affaires d'intérêt, les occasions qu'il trouvera de
gagner de l'argent ou d'en dépenser. A côté des ré-
flexes, des actions automatiques qui représentent
ce qui, en nous, appartient à l'espèce, à la race,
au milieu dans lequel nous vivons, et qui consistent
en réflexes simples, en instincts, en sentiments et actes
suggérés par notre société, il y a donc des réflexes
psychiques et des actes automatiques qui représentent
plus spécialement notre nature personnelle, et la
combinaison particulière d'éléments qui est notre moi.
Aussi bon nombre des actions qui portent l'em-
preinte de notre personnalité ne sont pas pour cela
des actes volontaires. Ce sont bien souvent des actes
qui résultent presque aussi simplement de notre con-
stitution individuelle que les réflexes de notre consti-
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LA. VOLONTÉ ET L AUTOMATISME g
tution spécifique, avec aussi peu de trouble et aussi
peu de délibération. Si Ton y regarde de près, on
verra que ce genre d'automatisme tient dans la vie une
place extrêmement considérable. Il est inévitable qu'il
en soit ainsi et cela est heureux aussi, car l'intervention
de la volonté quand elle est trop souvent provoquée
devient, un singulier embarras.
§ 2. — La complication des réflexes psychiques.
Toutefois les différences qui subsistent entre le ré-
flexe simple et le réflexe psychique nous montrent
l'origine des caractères propres de la volonté et aussi
nous font prévoir l'une des transformations possibles
de l'activité automatique en activité volontaire.
A cause de la complexité plus grande des éléments
psychiques, et des éléments physiologiques corrélatifs
qui y prennent part, les résultats sont beaucoup plus
variables dans le réflexe psychique que dans le réflexe
simple et notre connaissance de l'esprit d'autrui n'est
généralement pas suffisante pour nous permettre de
le prévoir avec une complète exactitude. Nous savons,
par exemple, que nous froisserons l'amour-propre d'un
homme en attaquant sa vanité d'une certaine façon.
Mais quelle sera la réaction produite? Nous pouvons
annoncer une réplique assez vive, ou bien une rancune
durablç, ou bien un silence méprisant, accompagné de
petits mouvements des lèvres et des sourcils. Mais savoir
au juste laquelle de ces manifestations se produira,
cela n'est pas toujours possible. La nature de la réac-
tion sera déterminée sans doute par l'amour-propre
de l'individu, mais cet amour-propre peut être influencé
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10 LA VOLONTÉ
en mille manières soit par les autres qualités perma-
nentes de l'individu (naïveté ou ruse, bonté ou séche-
resse, etc.), soit par des circonstances accidentelles (état
de l'atmosphère, état des fonctions organiques, con-
trariétés récentes ou joies inespérées, etc.). Or nous
ne pouvons avoir la prétention de connaître et d'ap-
précier parfaitement tous ces facteurs. Il arrivera
sans doute, que nous pourrons prévoir avec justesse,
mais nous ne serons jamais bien légitimement sûrs
de la justesse de cette prévision que lorsqu'elle aura
été confirmée par les événements.
Cette multitude de facteurs différents qui concourent
à la production d'un même acte entraînent de nom-
breuses variations dans les réflexes psychiques, varia-
tions beaucoup plus nombreuses que celles des réflexes
ordinaires qui, cependant, ne sont jamais peut-être
absolument nulles. Non seulement les réactions, dans
les réflexes psychiques, varient de forme d'une fois à
l'autre, mais alors même qu'elles sont à peu près
les mêmes, elles ne sont jamais complètement identi-
ques et elles ont toujours changé sur quelques points.
Quand une personne prononce, dans, des circon-
stances analogues (qui elles-mêmes ne sont jamais
identiques) les mêmes paroles, il s'y trouve toujours
quelques légères différences dans le ton, dans le jeu
de la physionomie, dans les petits détails qui les
accompagnent et les suivent.
§ 3. — Les origines de la volonté dans V automatisme.
Cette complication et cette variété dans les réflexes
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LA VOLONTE ET L AUTOMATISME 1 1
psychiques, avec leur issue toujours quelque peu incer-
taine, voilà un des ensembles de conditions qui
préparent l'acte de volonté, un des faits qui nous
permettent de comprendre quelques-uns de ses prin-
cipaux caractères.
C'est en effet cette complication et ses suites qui
causent parfois ou qui, tout au moins, indiquent la
difficulté pour l'homme d'agir, son impuissance à
s'adapter spontanément, par le jeu automatique non
troublé de ses désirs et de ses idées, aux différentes
circonstances qui se présentent. Le même fait aussi
cause ou révèle les conflits qui se produisent entre nos
différentes tendances et qui doivent parfois être réso-
lus par un acte de volonté, par cette synthèse active
qui constitue la volition et par laquelle quelques-unes
de ces tendances sont conservées, développées, accep-
tées comme directrices de la conduite, tandis que les
autres sont éliminées et momentanément ou définiti-
vement supprimées de notre vie consciente.
La complication croissante des actes et la nécessité
pour les tendances, les désirs, les idées de former,
toujours de nouvelles combinaisons, d'une part et
d'autre part le conflit des tendances, des désirs et
des idées et la nécessité d'y mettre un terme, ce sont
là, en effet, si je puis dire, les deux premières
sources par lesquelles la volonté sort de l'automa-
tisme.
L'automatisme, c'est en effet l'expression de notre
personnalité acquise, de la personnalité déjà formée
soit par le travail propre de la série des êtres qui
nous ont précédés dans la vie et les innombrables
influences qui se sont exercées sur eux pendant des
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Ï2 LA. VOLONTE
siècles, soit par notre propre travail et les influences
que nous avons personnellement subies. La volonté
correspond au contraire à la personnalité qui se
forme, à celle qui est en train de s'organiser, qui
fait face à de nouvelles circonstances, qui acquiert
une systématisation nouvelle.
Dire que la volonté est l'expression de la person-
nalité qui s'organise, c'est dire que la volonté suppose
une défectuosité, un manque d'adaptation, une orga-
nisation incomplète. Ces défauts se traduisent égale-
ment par la complexité un peu incohérente des ten-
dances et par le manque de systématisation, qui fait
l'individu incapable de s'accommoder aux conditions
nouvelles qui se présentent, comme par l'opposition et
la lutte directe des idées et des désirs dans un ensemble
donné de circonstances, dans une situation à laquelle
il faut s'adapter.
§ 4- — L'impuissance de V automatisme comme con-
dition de la volonté. Volonté et invention.
Si chacun de nos réflexes psychiques n'est pas
évidemment une répétition des précédents, s'il pré-
sente toujours une certaine nouveauté, insuffisante
pour en faire un acte volontaire, suffisante pour qu'on
y doive reconnaître déjà une trace de volonté et pour
qu'on le distingue des réflexes purs, c'est que les con-
ditions de l'action, conditions intérieures et conditions
extérieures ne se répètent jamais complètement. Il se
produit donc des combinaisons nouvelles, mais où l'a-
daptation est si facilitée par les actes précédemment
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LA VOLONTÉ ET L'AUTOMATISME l3
accomplis, où la nouveauté est si peu importante
qu'aucune difficulté grave ne surgit, et que parfois
nous prenons à peine conscience de notre action.
Que ma plume soit un peu plus molle ou un peu
plus dure, si l'écart n'est pas trop considérable, j'y
prends à peine garde et je continue à écrire pour ainsi
dire machinalement. Si au contraire la plume était
d'une dureté exceptionnelle, mon attention serait for-
cément éveillée, et, si je continuais à écrire, il me fau-
drait faire un effort et un acte de volonté interviendrait.
Cet exemple bien simple nous indique fort exacte-
ment, je crois, comment l'activité volontaire dont
nous verrons plus tard la nature, mais dont nous
recherchons pour le moment les conditions et les élé-
ments, vient s'introduire dans la série des états de
conscience. Quand nous nous trouvons placés dans
des conditions où le jeu automatique des tendances
ne permet plus l'adaptation, la conscience s'éveille,
la réflexion se produit, et la nouvelle adaptation ne
peut se produire que par la délibération (plus ou moins
courte et plus ou moins nette) et la décision qui con-
stituent l'acte de volonté. C'est tout à fait l'analogue
de ce qui se passe dans un autre domaine quand nous
cherchons à résoudre un problème nouveau pour
nous. Nous ne pouvons plus appliquer les formules
qui nous ont servi pour des problèmes analogues,
nous ne "pouvons plus trouver automatiquement la
solution, il faut travailler, réfléchir, combiner en les
modifiant les anciens procédés, les formules usitées.
Nous ne pouvons nous tirer de la difficulté que par
une invention qui brise notre routine antérieure et
supplée à son insuffisance.
Digitized by CjOOQIC
l4 LA VOLONTÉ
Des inventions de ce genre-là, soit des inventions
théoriques, soit des inventions pratiques qui consti-
tuent des actes de volonté sont très souvent rendues
nécessaires par tous les changements, parfois consi-
dérables, que nous impose la vie ou que nous recher-
chons nous-mêmes. Notre organisation sociale est telle
que nous ne pouvons pas toujours nous adapter
spontanément à tous les changements de vie que pro-
voquent la croissance de notre corps et le dévelop-
pement de notre esprit. Les premiers choix qui déci-
dent du sort d'un enfant sont généralement exercés
par les parents qui veulent pour lui. Une fois ce choix
fait il peut rester longtemps sans prendre, à cet égard,
une initiative marquée. Par exemple, si on l'envoie
au lycée, il passera de huitième en septième, de
septième en sixième et ainsi de suite sans avoir besoin
d'exercer sa volonté d'une manière bien nette. Il peut
agir automatiquement. Sa volonté s'exerce cependant
mais sur d'autres points. Il est obligé de vouloir et
de faire effort pour s'appliquer à certains travaux trop
nouveaux pour lui et auxquels il ne peut s'intéresser
spontanément, etc. Plus tard, arrivé au moment de
choisir une carrière, à moins qu'il ne se laisse com-
plètement diriger ou qu'il ne trouve dans la succes-
sion de son père une position toute faite, il pourra
être obligé de vouloir pour choisir entre les car-
rières qui s'ouvrent devant lui. Il aura encore à
faire acte de volonté pour se marier, par exemple,
pour changer d'occupations, si l'occasion s'en pré-
sente, etc., et, en général, dans tous les cas où la trop
grande nouveauté empêche l'adaptation spontanée,
et la combinaison immédiate et automatique des
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LA VOLONTÉ ET l'aMTOMATISME l5
idées, des sentiments et des actes. Dans tous les cas de
ce genre et, ils sont nombreux, l'adaptation spontanée,
ne pouvant s'effectuer sans peine et sans trouble, est
remplacée par l'adaptation volontaire. Tout ce qui
accroît la complication ou la nouveauté des actes tend
à rendre son intervention indispensable. Nous étudie-
rons tout à l'heure le mécanisme intime de son
action.
§ 5. — Le conflit des tendances automatiques comme
condition de la volonté.
Une autre condition de la volonté, c'est le conflit
des tendances, des désirs et des idées. Ici, non seule-
ment, l'adaptation ne peut comme tout à l'heure
s'établir spontanément, mais encore il y a une lutte
directe entre les tendances qui pourraient la préparer
ou la faire. Ce n'est plus précisément le même
genre d'impuissance et le même vice. Dans le cas
précédent aucune tendance ne pouvait provoquer la
systématisation, ici il y a en souvent plusieurs dont
chacune tend à établir la systématisation dans un sens
différent, ou s'il n'y en a qu'une, son action est
contrariée par la résistance que d'autres lui opposent.
Il arrive d'ailleurs aussi très fréquemment que les
deux formes d'impuissance se combinent.
Des exemples très simples et empruntés à la vie
de tous les jours nous renseignent suffisamment sur
cette nouvelle condition favorable à la naissance de
l'action volontaire. Comme les insuffisances légères
dans le cas précédent, nous voyons ici les petits
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l6 LA VOLONTÉ
conflits se résoudre tout seuls et à peu près sponta-
nément, par la force automatique des tendances.
Continuellement un désir vif, un besoin important
étouffe une vague impression qui le contrarierait.
Quand nous faisons une course ennuyeuse mais
indispensable, nous réprimons, chemin faisant, une
foule de petites impressions qui tendent à nous en
détourner. De même, quand nous écrivons par
devoir une lettre, un travail quelconque qui ne nous in-
téresse guère, mais que nous ne pouvons négliger, nous
réprimons sans cesse, instinctivement, une foule
d'envies perturbatrices et d'idées vagabondes. L'au-
tomatisme, le jeu instinctif des tendances suffit à
parer à ces éventualités et la volonté n'intervient pas
d'une manière apparente.
Mais si le conflit s'accentue, les choses se compli-
quent et l'automatisme ne suffit plus. L'effort s'im-
pose et la volonté réfléchie vient à se produire. Quand
un acte nous est très pénible, quand il nous répugne
ou nous froisse et que cependant nous jugeons qu'il
faut l'exécuter, nous retrouvons tous les caractères de
la volition la mieux caractérisée, l'arrêt momen-
tané des tendances, l'hésitation et la délibération, la
lenteur de l'adaptation, puis la décision, la synthèse
active.
Peut-être trouvera-t-on que le caractère de nou-
veauté que je signalais tout à l'heure comme carac-
téristique de la volonté, n'apparaît pas ici très nette-
ment dans tous les cas. Il se peut que l'action qui
s'impose à nous ne soit pas, en effet, entièrement
nouvelle. Parfois même, une action habituelle nous
devient très pénible à cause d'un changement dans
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*7
nos goûts, dans nos dispositions, dans les circon-
stances extérieures ou intérieures qui se présentent.
Remarquons d'abord que ces cas sont loin d'être
la règle. Bien souvent ce qui nous répugne le plus et
nous est désagréable c'est ce qui n'est pas habituel,
ce que nous n'avons pas encore essayé, ce que nous
ne savons pas faire. Mais alors même que ce qui
nécessite ou produit un effort de notre volonté est un
acte déjà accompli auparavant, la nouveauté des
circonstances, ou des impressions que nous éprou-
vons suffit à donner à l'ensemble du phénomène le
caractère d'invention sur lequel j'ai insisté. Nous
nous en rendrons parfaitement compte en examinant
les cas analogues de l'invention intellectuelle. Il
arrive que des idées même anciennes chez nous et qui
ont été longtemps acceptées finissent par répugner à
l'esprit et lui être, à un moment donné, très désa-
gréables. Certains faits l'en détournent, certaines
objections tendent à le transformer. Si cependant on
continue à penser, au fond, que ces idées sont
vraies, malgré les apparences, il faut les concilier avec
elles, il faut trouver les raisons qui écarteront les ob-
jections, qui feront interpréter autrement les faits,
qui, même en cas de doute, montreront du moins qu'il
y a encore avantage à penser toujours de la même ma-
nière. Cet effort de l'esprit, s'il réussit, est une véri-
table réinvention d'une conception déjà ancienne, car
on lui associe de nouvelles pensées et de nouvelles ima-
ges. Il se produit une synthèse d'images et d'idées où
le caractère de nouveauté est très net en somme, bien
qu'elle se forme autour d'un noyau qui n'est pas nou-
veau, ce qui est du reste la règle dans l'invention.
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1-8 LA VOLONTÉ
Le cas de la volonté est à peu près analogue. Ici
encore une synthèse nouvelle se forme autour d'un
noyau de phénomènes qui se sont déjà produits. Ce
qui est nouveau, si ce n'est pas l'acte lui-même,
c'est au moins l'acte accompli pour telle ou telle
raison et malgré telle ou telle impulsion, c'est l'en-
semble qui le détermine et dont il fait partie comme
un élément qui vient plus lard se joindre aux
autres.
§ 6 . — L'automatisme et les conditions de la vie humaine.
Cette complication croissante des instincts et ces
conflits violents d'idées et de désirs qui rendent
l'automatisme impuissant, ou, pour mieux dire, qui
le rendent impossible sont étroitement liés à la nature
de l'homme. C'est à l'imperfection de notre organi-
sation psychologique et, c'est aux défauts de notre
organisation sociale que nous les devons, c'est aussi
à leur tendance vers un état meilleur — ce qui est
après tout presque la même chose. Les animaux,
en qui l'instinct paraît la forme dominante et, sou-
vent, autant que nous en pouvons juger, presque la
seule forme de l'activité, ne sont point soumis aux
mêmes conditions. On ne retrouve pas chez eux le
même élargissement de la vie avec des variations
équivalentes, ni les conflits de sentiments et d'instincts
qui sont si fréquents chez l'homme, avec une pa-
reille intensité. Il ne faut voir là, du reste, que des
différences de degré, et il semble bien que l'on peut
retrouver aussi chez l'animal des formes rudimentaires,
mais rssez nettes de la volonté.
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LA VOLONTÉ ET l' AUTOMATISME I9
Les conditions de la vie humaine, au contraire,
sont si compliquées que l'homme n'a pu arriver à
l'automatisme. Le conflit des tendances ou l'insuffi-
sance de l'instinct sont provoqués ou décelés à chaque
instant par les contradictions de la vie sociale, et
résultent continuellement de l'état encore, bien in-
cohérent ou trop arrêté et insuffisamment souple de
notre intelligence et de notre activité. Nos instincts
sont trop formés pour s'adapter facilement à des chan-
gements de conditions, ou bien l'instinct plus com-
plexe qui pourrait produire cette adaptation n'a pas
encore pu s'établir. Et d'autre part, la diversité
inouïe des conditions que nous fait la complexité de
la vie sociale a produit dans l'homme des instincts
divers qui ne sont pas en harmonie les uns avec les au-
tres et qui ne se sont pas encore fondus dans un instinct
supérieur. C'est ainsi que nos tendances esthétiques
sont parfois en contradiction avec notre amour de
la famille, que l'amour est souvent contrarié par
l'intérêt, que la piété est en lutte avec l'amour des
plaisirs, etc. Il y a là des faits permanents et constants
qui montrent, à chaque instant, l'impossibilité ac-
tuelle de la vie automatique et spontanée, et qui sont
les conditions essentielles des actes de volonté.
§ 7 . — Distinction de la volonté et de certaines
formes de V automatisme.
Aussi y a-t-il souvent ou toujours, quelque élé-
ment de volonté même dans les actes en apparence
les plus automatiques. Mais on est, pour diverses
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20 LA VOLONTE
raisons, porté à s'en exagérer l'importance. La part
d'automatisme qui se manifeste dans nos actes est
souvent méconnue. Il y a des illusions psychologiques
dont il faut se méfier. Celle dont je parle ici a été
souvent signalée, et pourtant on y tombe continuelle-
ment.
C'est d'abord qu'il y a des apparences trompeuses
et puis que le mot de « volonté » est pris, dans la
conversation courante, en un sens un peu trop vague
souvent. Quelques mots sur les illusions de l'obser-
vation peuvent aider à préciser ce sens.
On confond très souvent la volonté avec l'obsti-
nation, ou avec la vivacité. L'obstination marque
souvent l'incapacité de vouloir et la vivacité peut être
une simple manière d'être, une qualité de l'activité
automatique. Des personnes aux apparences décidées,
à l'allure vive et peu hésitante, capables de persis-
tance, sont parfois de véritables impuissants au point
de vue de la volonté. Rien n'existe en elle que la vie
spontanée des habitudes qui se modifient très peu.
C'est la continuité de la routine qui leur donne les
apparences de la volonté. La preuve en est donnée
par les changements qui se produisent parfois dans
les conditions d'existence de ces personnes et qui
montrent la faiblesse singulière de leur volonté. Dès
qu'elles ont à modifier leur conduite, à faire face à
des conditions d'existence un peu nouvelles, à se
« débrouiller » au milieu non pas même de périls,
mais de quelques embarras, elles deviennent interdites,
hésitent sans arriver à la décision, restent mala-
droites et gauches. N'étant plus soutenues parla rou-
tine, elles chancellent. Obligées de sortir un peu du
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21
sentier battu où chaque jour elles passaient, elles
sont désorientées et perdent courage.
Ceci aussi est relatif. Chacun a ses volontés spé-
ciales. Il est des personnes qui sont incapables de vou-
loir dans certaines conditions et qui veulent fort bien
dans d'autres circonstances. Je ne reviens pas ici sur
l'opposition du courage militaire et du courage civil,
mais elle peut servir à illustrer ce que j'avance, bien
que dans certains cas le courage militaire comporte
peut-être une part relativement grande d'entraînement
et de suggestion. Il ne faut pas juger trop sévèrement
la capacité de vouloir d'une personne parce que nous
l'aurons vue très faible en de certaines circonstances. Il
se peut que toutes ses habitudes ne lui soient pas éga-
lement nécessaires, qu'elle résiste plutôt à la rupture
des unes qu'à la rupture des autres et qu'en certains
cas, elle sache au besoin remplacer l'habitude par la
volonté. Il n'en reste pas moins que, bien souvent, ce
que nous prenons pour de la volonté n'est que de
l'automatisme, — ou de la suggestion, car la sugges-
tion nous fournira tout à l'heure des remarques
analogues.
Dans ces cas d'illusion, ce qui trompe surtout,
c'est que tous ces actes d'automatisme compor-
tent bien une faible part de volonté que Ton exagère.
L'esprit même d'une personne très peu apte à la vo-
lition est capable de résoudre certains conflits, de
se prêter à certaines variations. Nos habitudes, nos
instincts n'ont pas des éléments si rigoureusement
soudés ensemble qu'ils ne soient susceptibles de
quelques modifications, et qu'on n'y puisse substi-
tuer, selon les occasions, quelques pièces à d'autres.
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22 LA VOLONTÉ
Il arrive donc que certaines personnes sont parfai-
tement capables de se prêter à ces petites modifica-
tions, de résoudre certains conflits d'instincts, qui ne
peuvent, dans les circonstances graves, prouver vrai-
ment qu'elles sont capables de suppléer par l'éner-
gie de la volonté aux lacunes ou aux défauts de l'au-
tomatisme. Ces personnes craignent souvent beaucoup,
par instinct, de changer d'habitudes, de résidence,
etc., ou si par hasard leur illusion les entraîne
et les fait croire à leur volonté, elles risquent de se
repentir amèrement d'avoir abandonné la vie qui
leur convenait, un peu terre à terre et sans heurts, où
d'ailleurs, peut-être elles pouvaient exercer le genre
de volonté dont elles étaient capables, pour montrer,
en d'autres circonstances, leur incapacité spéciale
dont elles n'auraient sans doute jamais, sans cela,
pris ni donné connaissance.
§ 8. — L'automatisme dans la volonté.
L'on se méprend aussi sur ce qui reste d'automa-
tisme dans la volonté. Il n'est pas un de nos actes les
plus volontaires qui ne mette en jeu une grande
quantité] de mécanismes dont nous n'avons, souvent,
guère connaissance, et qui sont des éléments impor-
tants de l'acte total. Toutes choses égales d'ailleurs,
un homme qui a, par exemple, l'habitude de l'es-
crime acceptera plus facilement qu'un autre, en gé-
néral, un duel à l'épée. Il fera en cela un acte de
volonté, mais cet acte est facilité par la prépa-
ration de son automatisme, par le perfectionnement
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23
du mécanisme qui est un des éléments de lacté et
qui est représenté dans l'idée de l'acte. En général
un homme se décidera plus facilement à accomplir
un acte désagréable si l'exécution même de col acte
lui est rendue plus facile par l'habitude, l'exercice, si
son automatisme est bien développé à l'égard de cet
acte. Inversement on ne sait pas toujours quel rôle
joue l'insuffisance de l'automatisme dans l'impuis-
sance de la volonté ou dans la volonté négative,
dans l'obstination à ne pas faire. Quelquefois on pa-
raît aux autres et à soi-même être retenu par un
scrupule honorable quand on l'est surtout parla gau-
cherie, l'inhabileté qui provient du manque d'exer-
cice, du défaut d'entraînement, d'un automnîisme
insuffisamment développé qui nous rend pour ainsi
dire physiquement inhabiles à l'action. Mille petites
circonstances, en apparence insignifiantes, viennent
exercer ainsi leur influence sur le résultat de nos dé-
libérations, sur notre activité et nous montrent, quand
nous pouvons les apercevoir, une partie de ce qui
reste d'automatique dans nos actes volontaires.
Il suffit d'ailleurs pour s'en faire une idée de re-
marquer que ce qui est réellement l'objet de la vo-
lonté, c'est l'idée de l'ensemble d'un acte. Je décide,
par exemple, après hésitation et réflexion que j'irai
faire aujourd'hui une visite qui m'est désagréable
mais que je juge inévitable. C'est un acte de volonté,
il s'est produit là une fixation de l'esprit dans une at-
titude déterminée, une synthèse systématique d'idées,
de sentiments, d'images diverses, synthèse nouvelle
et qui rompt le jeu régulier des tendances. Cette
synthèse va durer tant que l'acte décidé ne sera pas
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2 4 LA VOLOSTÉ
accompli, et elle va entraîner une foule de petits ac-
tes qui sont les moyens de la fin acceptée. Il faudra
mettre un chapeau, ouvrir une porte et descendre
l'escalier, marcher, monter dans un omnibus ou
prendre une voiture, etc. Il n'y aura pas cependant
une volition distincte pour chacun de ces actes qui
sont impliqués dans la volition primitive et logique-
ment amenés par elle. L'automatisme ici reprend ses
droits, presque tous les actes secondaires s'accom-
plissent en vertu du mécanisme établi déjà.
De même que l'invention suppose la routine et
consiste * en une coordination nouvelle d'éléments
qui pour la plupart existaient déjà, de même la vo-
lonté suppose l'automatisme et coordonne une foule
d'actions qui s'accomplissent automatiquement, ou
de sentiments et d'idées systématisés de telle façon
que les actes appropriés à la fin acceptée s'accomplis-
sent automatiquement à la suite de la volition.
La volonté implique l'existence de ces divers mé-
canismes, il ne peut en être autrement. Soit qu'elle
rompe l'automatisme, soit qu'elle s'en serve, elle le
suppose également, et elle trouve en lui soit une
condition préalable, soit un élément. Il en est une
condition préalable car la volonté suppose toujours à
la fin une rupture de certaines habitudes (en prenant
ce mot au sens le plus général) et aussi la continua-
tion de certaines autres. Les sentiments, les émotions,
les idées qui nous portent à vouloir sont déjà établis
en nous, ils ont déjà plus ou moins inspiré ou di-
rigé nos pensées et notre conduite, ils représentent
I. Voir ma Psychologie de l'irivention. Paris, F. Àîcan, 1901.
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LA. VOLONTÉ ET l'aUTOMÀTISME 25
déjà une part de notre activité et sont étroitement liés
au fonctionnement de nos diverses habitudes. Une
partie de ces mécanismes habituels va être em-
ployée encore automatiquement comme moyen au
service de l'acte de volonté qui s'accomplit. De tous
côtés l'automatisme et la volonté se rencontrent, et
celui-là est toujours la condition, et il est un des
éléments de celle-ci, exactement comme la routine
est une condition et un élément de la création intel-
lectuelle.
§ 9. — V automatisme, condition de la volonté, en est
aussi l'aboutissant.
Si l'activité automatique est une condition néces-
saire de l'activité volontaire, l'activité volontaire
est une condition non pas nécessaire mais fréquente
de l'automatisme. Ce qui est actuellement automati-
que a souvent commencé par être volontaire, ce qui est
actuellement volontaire tend à devenir un jour auto-
matique. Le passage du volontaire à l'habituel et au
mécanique a été bien souvent indiqué, et je n'y insis-
terai guère. A mesure qu'un acte se répète, les élé-
ments psychiques qui le composent s'associent de plus
en plus étroitement l'un à l'autre et, quand l'occasion
s'en présente, le système qu'ils forment s'éveille et se
développe sans trouble et sans heurts, par conséquent
d'une manière automatique, sans intervention de
la volonté, et même, quand l'adaptation arrive à un
degré suffisant de perfection, sans éveil de la con-
science. L'apprentissage de la marche, la façon dont
Paulhan. 2
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2 6 LA VOLONTÉ
on devient habile à jouer du piano, en sont des
exemples souvent cités et qui n'ont pas besoin d'être
plus longuement invoqués. Les lois de l'habitude,
quoiqu'elles présentent encore des mystères, sont as-
sez connues déjà pour que le passage du volontaire à
l'automatique soit suffisamment accepté, au moins
dans ses grandes lignes.
Ainsi l'automatisme nous mène à la volonté, et la
volonté nous ramène à l'automatisme. Une première
organisation s'est formée. Elle suffit tant bien que
mal à la vie, puis, à un moment donné, il faut faire
face à de nouvelles circonstances et les tendances déjà
organisées ne peuvent y arriver sans trouble et sans
heurt. Sous l'impulsion de la volonté de vivre, du be-
soin de bien-être, d'une tendance forte et puissam-
ment organisée, une crise se produit, et par une com-
binaison nouvelle, par une synthèse qui constitue
l'acte de volonté et que nous examinerons plus loin,
une nouvelle organisation est ébauchée et l'esprit
s'adapte aux nouvelles conditions de vie qui lui sont
faites. Mais le processus n'en reste pas là, la nouvelle
organisation tend à se fixer, à devenir semblable à
l'ancienne et, dans la mesure que lui permettent les
circonstances, automatique comme elle.
Voilà du moins comment on peut se représenter
les choses schématiquement, car je n'ai pas besoin
de dire que dans la réalité elles sont beaucoup plus
complexes. La volonté est une crise pour passer
d'une forme d'automatisme à une autre généralement
plus compliquée, adaptée avec plus de précision aux
nécessités de la vie. Elle marque une transformation,
elle est le signe de l'impuissance ou du conflit des
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w r T^S*!*
LA VOLONTÉ ET L* AUTOMATISME 37
habitudes en même temps qu'un remède plus ou
moins efficace, à cette impuissance et à ce conflit.
§ 10. — La volonté dans V automatisme.
De même qu'il reste beaucoup d'automatisme dans
la volonté, il reste de la volonté dans l'automatisme 7
ou plutôt des éléments de volonté, des caractères af-
faiblis de la volition, de sorte que nos divers états
ne sont jamais très purement automatiques, ni absolu-
ment volontaires. Ils sont composés des mêmes élé-
ments mais en proportions variables et de telle façon
qu'en certains cas, l'automatisme est à son maxi-
mum et les éléments de volonté à leur minimum,
tandis que d'autres fois c'est le contraire qui se
produit.
Un acte de volonté, en effet, ne suffit générale-
ment pas pour créer une habitude achevée. M Ame
répété il garde quelques-uns de ses caractères primi-
tifs et il en est qu'il conserve longtemps. Cela est
évident pour certains cas, où la crise, par exemple, a
pour effet de ramener l'état organique précédent, au
moins dans la mesure du possible. S'être fait, avec
effort, arracher une dent, ne rend pas toujours sen-
siblement plus facile une seconde visite au dentiste.
Même dans d'autres cas où nous voyons bien lu ten-
dance marcher vers l'automatisme, la marche est
assez lente, et l'habitude longue à acquérir. Il Tant
beaucoup d'efforts de volonté à un homme médiocre-
ment doué pour jouer passablement du piano. Quand
les choses se passent régulièrement les efforts vont en
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a8 LA VOLONTÉ
s'affaiblissant, puis la conscience même s'efface peu
à peu. Cependant on ne peut affirmer que les élé-
ments de la volonté disparaissent complètement.
Il parait, en effet, que ces éléments vont en dé-
croissant continuellement sans que nous puissions
les voir jamais complètement annulés. Par exemple
la nouveauté, le caractère créateur de la volonté, la
synthèse nouvelle qui la constitue, il semble bien que
nous continuerons à les retfouver dans toute l'activité
humaine. On n'a jamais pu trouver deux feuilles
d'arbre qui fussent absolument semblables, de même
il y a toujours très vraisemblablement une distinc-
tion, appréciable ou non pour nous, entre deux de
nos actes, même de nos actes réflexes. Si semblables
qu'ils nous paraissent il est impossible qu'ils s'accom-
plissent absolument dans les mêmes conditions d'in-
tensité, d'excitation, de circulation sanguine, de tem-
pérature, d'état moléculaire des nerfs et des cellules
nerveuses, etc. Nous pouvons remarquer souvent un
grand nombre de ces petites différences et toutes les
inductions nous poussent à croire qu'il en existe tou-
jours quelques-unes.
Peut-être pourrait-on encore invoquer à ce sujet
d'autres raisons, on les fonderait sur ce que toute
transmission de l'excitation à la cellule et tout retour
delacellule à l'organe moteur exige un certain temps,
elle n'est pas immédiate, elle implique par consé-
quent un certain nombre d'obstacles à renverser, de
résistances à vaincre, d'oppositions à supprimer.
Mais ces résistances, ces oppositions rappellent bien
naturellement les conflits que nous avons cru être une
des conditions de la volonté. Cela tendrait à nous
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LA VOLONTÉ ET L AUTOMATISME 29
faire admettre que l'automatisme absolu est une chose
contradictoire en soi, que si l'automatisme est indis-
pensable à la volonté, il recouvre toujours lui-même
quelques-uns des éléments de la volonté et qu'il ne
saurait jamais en être autrement. Je n'insiste pas
sur les considérations philosophiques générales qu'on
pourrait apporter ici à l'appui de cette manière de
voir et qui nous entraîneraient trop en dehors de la
psychologie positive. Sans en sortir nous pouvons
admettre, je crois, d'après ce qui précède, que, de
même que nos pensées comprennent toujours une
part de routine et une part d'invention, mêlées en
proportions très variables, de même nos actes con-
tiennent une part d'automatisme et une part de vo-
lonté en proportions très variables également. Et
l'automatisme est ainsi une condition de la volonté,
un élément de la volition, l'élément d'où sort et vers
lequel tend la volonté sans que celle-ci puisse jamais
se séparer complètement de lui.
Nous allons voir maintenant que comme l'inven-
tion comporte également une part d'imitation intel-
lectuelle, la volonté comporte aussi une certaine
quantité d'imitation active, de suggestion.
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à
CHAPITRE II
LA VOLONTÉ ET LA SUGGESTION
§ i. — La suggestion.
Par suggestion j'entends ici tout ce qui, dans notre
conduite, provient de l'influence d'autrui. Cette in-
fluence s'exerce continuellement et son importance
est énorme. Les formes en sont variées, elle est vou-
lue ou non, consciente ou non, mais elle présente au
fond les mêmes caractères généraux et, d'une ma-
nière générale, elle se distingue de l'automatisme et
de la volonté, tout en ayant avec eux des rapports
très étroits que je vais essayer de définir. Il ne faut
pas confondre absolument l'imitation avec la sug-
gestion, celle-là est un cas particulier de celle-ci.
Toute imitation est une suggestion, en prenant le
mot en son sens le plus large, mais la réciproque
n'est pas vraie et toute suggestion n'est pas une imita-
tion, elle est parfois le contraire. Nous suggérons par-
fois à quelqu'un de vouloir, de penser et d'agir d'une
façon tout à fait différente de la nôtre.
Les rapports de la suggestion et de l'automatisme
sont à peu près les mêmes que ceux de l'automatisme
et de la volonté. Comme la volonté la suggestion rompt
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■-- r- 5 » ' r-*ir*
LA VOLONTÉ ET LA SUGGESTION 3l
l'automatisme, comme la volonté elle s'en sert, et
comme la volonté, elle prépare un automatisme nou-
veau.
L'influence d'une personne sur une autre a pour
effet, naturellement, de changer l'orientation natu-
relle et spontanée des croyances, des sentiments, des
actes de celle-ci. Elle n'existerait pas sans cela.
La suggestion, comme la volonté, est préparée ou
facilitée par l'impuissance de l'esprit à s'adapter
spontanément à des circonstances nouvelles et par le
conflit des divers automatismes. On est d'autant plus
porté à subir l'influence des autres qu'on se trouve
en face de circonstances nouvelles, encore mal con-
nues, plus compliquées, et que l'on ne peut y faire
face facilement avec les seules ressources de l'automa-
tisme. Si les enfants sont plus suggestibles, en géné-
ral, que les hommes faits, si les influences de toutes
natures sont, dans le premier âge, plus utiles ou
plus dangereuses, c'est que la croissance physique et
psychique des enfants les met à chaque instant dans cet
état, si favorable à la suggestion, où l'automatisme
encore imparfait ne peut suffire aux nécessités de la vie.
Ils se trouvent à chaque instant dans des conditions
nouvelles pour eux. Au contraire, quand une longue
routine a prévalu, l'influence d'autrui est générale-
ment beaucoup moins efficace, parce que les condi-
tions d'existence ne viennent pas à changer brusque-
ment. Les vieillards n'ont jamais passé pour subir plus
que les jeunes gens l'influence de la mode, qu'il s'agisse
de modes de toilette ou de modes intellectuelles. Ils
gardent plus volontiers les modes de jadis, les goûts,
les opinions politiques, les croyances d'autrefois.
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32 LA VOLONTÉ
Il y a donc un conflit naturel entre la suggestion
et l'automatisme. C'est que la suggestion, comme la
volonté, implique une certaine nouveauté. L'opposition
entre « l'imitation-mode » et « l'imitation-coutume »
que M. Tarde a profondément vue et dont il a bien
montré les divers aspects et les conséquences est un
fait de tous les instants et qui, à le considérer, non
point comme le fait surtout M. Tarde par son côté
social, mais plutôt par sa nature psychologique, in-
téresse vivement la théorie de la volonté. Le mot
de « mode » éveille fatalement l'idée de nouveauté et
la suggestion, comme la volonté et au rebours de l'au-
tomatisme, implique une certaine nouveauté, un chan-
gement dans l'action. Ce n'est pas à dire, bien en-
tendu, que la suggestion prenne toujours la forme de
la mode, ce n'est là qu'un cas de suggestion, un cas
social, mais dans tous les cas l'influence d'autrui ne
peut se manifester que par un changement dans notre
activité spontanée.
Tout en étant en conflit avec l'automatisme, la sug-
gestion se sert de lui. On n'influence une personne
qu'en s'appuyant sur cette nature que l'on va con-
trarier. Si l'on fait échec à quelques-unes de ses ten-
dances ce n'est qu'en en mettant d'autres en jeu,
c'est donc une partie de l'automatisme primitif qui
est employée à combattre l'autre. L'activité sponta-
née primitive est pour ainsi dire divisée, et la partie
qui triomphe, sous la direction de l'idée, de la
volonté de celui qui influence, faisait partie de l'ac-
tivité spontanée primitive aussi bien que celle qui
doit céder. Un père qui veut décider son fils à
renoncer à un mariage, par exemple, pour lui en
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LA VOLONTÉ ET LA SUGGESTION 33
faire ressortir les inconvénients, ne peut que susciter
en lui les sentiments qu'il suppose devoir être frois-
sés par l'union qui lui déplaît et lui faire pres-
sentir ces froissements. Il tâche de mettre par des
moyens divers des tendances très différentes et faisant
partie de la nature spontanée de son fils (amour et
respect filial, amour de bien-être, désir de richesse,
ou, selon le cas, amour de la considération, etc.), en
opposition avec la tendance dont il craint le triomphe
(passion amoureuse). Il ne peut employer, pour ar-
river à ses fins, qu'une partie de l'automatisme pri-
mitif, que du reste, en l'employant, il transforme en
une certaine mesure. Cette transformation secondaire
se fait selon le même mécanisme que la première, et
je n'y insiste pas, pour ne pas compliquer les choses.
On pourrait aussi bien ne pas s'arrêter là, et conti-
nuer indéfiniment.
Et comme la volonté encore, la suggestion, en
rompant l'automatisme et en s'appuyant sur lui pré-
pare un automatisme futur. Ce que l'esprit a fait une
fois par suggestion il tend souvent à le répéter spon-
tanément. Une fois que, grâce à l'aide d'autrui, nous
avons pu franchir un mauvais pas, nous reprenons
paisiblement notre allure régulière. Une fois que
l'adaptation nouvelle a été obtenue, elle tend à se
maintenir et à se développer en bien des cas, même
sans autre intervention. A l'origine de toutes nos
habitudes les plus enracinées on trouverait des in-
fluences diverses, des conseils, des enseignements,
des imitations plus ou moins volontaires. Quand
l'apprenti aura bien vu travailler l'ouvrier exercé,
qu'il aura reçu ses conseils, travaillé sous sa direction,
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34 LA VOLONTÉ
il agira de lui-même, et refera automatiquement ce
qu'il a fait d'abord avec l'aide d'autrui. Quand l'en-
fant aura bien fixé dans sa mémoire le sens des let-
tres et leurs combinaisons tels que son maître les lui
a indiqués, il pourra lire tout seul et automatique-
ment. Il en est de même partout, et la suggestion
hypnotique même, employée comme moyen théra-
peutique pour combattre certains défauts ou certains
vices n'a pas d'autre but que de remplacer un auto-
matisme inférieur par un automatisme supérieur,
moyennant l'intervention d'une influence étrangère,
nécessaire pour produire un état nouveau qui doit
finir par subsister de lui-même et se maintenir sans
elle.
Ainsi la suggestion dans ses rapports avec l'auto-
matisme nous apparaît avec les mêmes caractères
que la volonté. Comme celle-ci, elle brise l'automa-
tisme, s'en sert et le reconstitue, comme celle-ci
aussi elle est un état nouveau. Nous alfons voir main-
tenant en étudiant la volonté et la suggestion, non
plus dans leurs rapports avec l'automatisme, mais
dans leurs rapports réciproques quelles différences
essentielles séparent ces deux formes de l'activité et
quels liens étroits les associent.
§ 2. — Suggestion et volonté, analogies et différences.
Considéré en lui-même, l'acte accompli par sug-
gestion dans les circonstances communes de la vie,
(il faut écarter les idées que pourraient inspirer les
apparences ordinaires de la suggestion hypnotique),
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LA VOLONTE ET LA SUGGESTION 35
ne diffère pas, à tous les égards, de l'acte volontaire.
Comme celui-ci, la suggestion est une synthèse
active. Qu'une décision soit suggérée ou volontaire
elle consiste également et essentiellement en une
synthèse nouvelle qui vient changer l'orientation de
l'esprit et que nous étudierons dans un prochain
chapitre.
Mais cette analogie qui n'est nullement superfi-
cielle recouvre de graves différences. Celle qui les
résume et les contient toutes, c'est que dans la volonté
ce qui est l'essentiel dans la forme de la décision
vient de la personnalité même de celui qui veut ; dans
la décision suggérée, l'essentiel vient au contraire du
dehors. La nouveauté n'est donc pas la même dans
un cas et dans l'autre. Dans la volonté, l'état est
réellement nouveau, dans le cas de la suggestion,
l'état n'est nouveau que pour l'individu qui le réalise.
Il a déjà été réalisé par d'autres, ou du moins été
imaginé et voulu par d'autres, et c'est pour cette raison
qu'il est réalisé à son tour, par celui qui subit la sug-
gestion. L'état nouveau ne se produit que parce quil
n'est pas absolument nouveau, parce que, sous une
forme ou sous une autre, il a été déjà produiL
ailleurs. C'est là une différence incontestable et essen-
tielle. Il n'y en a pas d'autres. Au point de vue du
mécanisme, que l'influence vienne directement de
l'individu même et de quelques-unes de ses tendan-
ces, ou bien qu'elle vienne indirectement de quelque
autre personne en passant toujours, car on ne sau-
rait guère imaginer même qu'il en fût autrement, par
les tendances et les idées de l'individu, cela ne fait
aucune différence essentielle. La synthèse s'effectuera
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36
LA VOLONTE
à peu près selon les mêmes lois générales et de la
même façon.
§3. — Les rapports de la suggestion et de la volonté.
Si nous considérons maintenant les rapports de la
suggestion avec la volonté, nous trouvons qu'ils
ressemblent également sur plusieurs points à ceux
de la volonté et de l'automatisme. La suggestion est,
par exemple, une condition nécessaire de la volonté
et elle fournit des éléments à la volition, de plus la
volonté arrête dans une certaine mesure la sugges-
tion. Tout en l'utilisant, elle entre en lutte avec la
suggestion comme elle entre en lutte avec l'automa-
tisme.
Nous sommes continuellement soumis aux influen-
ces de tout notre milieu social. Il n'est pas un des
actes commis devant nous, près de nous, et loin de
nous, s'il vient à notre connaissance, pas un senti-
ment exprimé, pas une idée émise, pas une expres-
sion de physionomie, pas un mot, pas un geste qui
ne tende à nous influencer dans une certaine me-
sure, à tourner notre esprit dans un certain sens, à
faire naître en nous des idées et des impressions ca-
pables de diriger notre intelligence, notre sensibi-
lité et notre activité. Contre ces influences, même
subies, même acceptées, nos tendances réagissent
toujours instinctivement quelque peu, avec une
intensité qui va de la révolte ouverte au plaisir de se
laisser influencer (car il y a quelque réaction même
contre les influences qu'on est heureux de subir).
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LA VOLONTÉ ET LA SUGGESTION $*]
Mais notre volonté doit assez souvent intervenir pour
préserver notre personnalité d'invasions dangereuses,
et, toutes les fois qu'elle intervient réellement, un
des caractères de l'acte de volition c'est de réagir,
en même temps que contre l'automatisme, contre la
suggestion aussi, au moins contre une partie des
suggestions qui nous arrivent. L'homme qui prend
un parti quelconque par un acte de volonté doit for-
cément se soustraire à certaines influences qui l'assail-
lent. Il lui faut toujours rompre avec les enseigne-
ments qu'il a reçus, repousser les conseils et les
insinuations, etc. La constitution du moi est toujours
une lutte et l'acte de volonté est bien plus une lutte
que l'acte automatique. Lorsqu'il n'y a pas lutte,
lorsqu'on s'abandonne volontiers à la suggestion, la
volonté n'intervient pas sensiblement, il a produit une
simple combinaison de la suggestion et de l'automa-
tisme.
Cela est un cas très fréquent et qui constitue à lui
seul une bonne part de notre vie mentale. L'in-
fluence des autres vient sans cesse diriger nos ten-
dances, leur fournir certains éléments qui leur man-
quent pour leur permettre de se satisfaire facilement,
et sans heurt suffisant pour provoquer un acte de vo-
lonté. A table, par exemple, l'appétit des convives
se combine avec les suggestions de la maîtresse de
la maison leur faisant offrir un plat ou les invitant à
y revenir sans qu'un acte de volonté proprement dit
ait à intervenir. La combinaison de l'activité spon-
tanée et de l'activité suggérée suffit à régler la con-
duite.
La suggestion peut même suppléer la volonté pour
Paulhan. 3
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38 LA VOLONTÉ
développer l'automatisme. En effet, dans les cas où
nos tendances ne peuvent, par leur activité spon-
tanée, adapter l'organisme à ses nouvelles con-
ditions d'existence, il se peut que la suggestion y
parvienne. Nous avons vu tout à l'heure qu'elle était
plus efficace quand l'automatisme était encore faible
ou peu formé, dans les changements de milieu ou de
situation, pendant la croissance et le développement
de l'esprit. Ce sont aussi les conditions qui amènent
en général la production d'actes de volonté. Mais'
l'acte de volonté peut être affaibli, et même rendu
inutile, . supprimé par la suggestion. Le maître évite
à l'élève non pas tous les efforts, mais un grand
nombre d'efforts, les parents évitent — et parfois
avec trop de zèle — bien des actes de volonté à leurs
enfants. Dans une foule de cas la suggestion, comme
la volonté, vient remplacer l'automatisme insuffisant
et lui permettre de se développer. Elle peut égale-
ment résoudre quelques conflits internes des tendances
agissant spontanément. Un conseil, un ordre, une in-
sinuation terminent ainsi des luttes intérieures.
§ 4- — La suggestion prépare les conditions de l'acte
volontaire.
Mais la suggestion ne suffit pas toujours, même
combinée à l'automatisme. Parfois elle reste impuis-
sante et parfois elle devient dangereuse. Il arrive que
c'est la suggestion qui tend à rendre insuffisante notre
activité spontanée. C'est par suggestion, ou par imi-
tation que naissent en nous les premiers germes de
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LA VOLONTÉ ET LA SUGGESTION 3j)
désirs que notre activité spontanée ne pourra satis-
faire aisément. Cela est très fréquent. Les sentiments
des autres, leurs goûts, leurs impressions, leurs
idées s'insinuent en nous et déterminent des aspi-
rations que la continuation de nos habitudes ne
pourra satisfaire. Ils provoqueront ainsi des chan-
gements d'existence qui ne pourront être réalisés et
maintenus que par des efforts de la volonté. Par là,
la suggestion devient une des conditions de manifes-
tation de la volonté. Elle le devient encore quand elle
provoque des conflits qui ne pourront être résolus
que par la synthèse active, réfléchie et nouvelle qui
constitue la volition. Rien de plus fréquent que le
conflit entre nos habitudes et les suggestions diverses
que nous recevons, surtout si nous venons à changer
de milieu, à faire de nouvelles connaissances, rien de
plus fréquent encore que les conflits entre les sug-
gestions diverses qui s'adressent à nous, entre l'in-
fluence de nos parents et de nos amis, de no6 cama-
rades et de nos maîtres, des auteurs divers que nous
lisons, etc. De toutes façons la suggestion prépare les
insuffisances et les conflits qui sont les conditions,
comme nous l'avons vu dans le chapitre précédent, de
l'acte de volonté.
La suggestion ne prépare pas seulement cet acte,
elle lui fournit des éléments. Il n'est, en effet, pas un
acte de volonté qui, en même temps que des éléments
d'automatisme, n'utilise aussi des éléments suggérés.
La volonté ne tire pas tout d'elle-même. Quand la
synthèse volitive se produit, elle unit forcément des
éléments dont un grand nombre existaient déjà et
ceux qu'elle transforme, elle ne les transforme pas
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t\Ù 1A VOLONTÉ
entièrement. Parmi les éléments psychiques et les
éléments d'éléments qu'elle unit ainsi, un grand
nombre ont été préparés, façonnés par la suggestion.
Sur toutes les idées, sur tous les sentiments qui sont
en nous, la société a plus ou moins mis son
empreinte. Les esprits les plus originaux ne savent
rien, ne sentent rien qu'on ne leur ait, dans une cer-
taine mesure, suggéré de savoir et de sentir. Se
révolter même contre une influence, c'est être
influencé par elle. Notre volonté ne peut se manifester
qu'en empruntant des matériaux préparés par l'auto-
matisme et par la suggestion.
§ 5, — La suggestion dans V activité volontaire.
Parfois, elle diffère aussi peu que possible de la
suggestion et de telle façon qu'on ne saurait guère
les distinguer, comme en d'autres cas on ne saurait
guère la distinguer de l'automatisme. Ce caractère de
personnalité qui distingue la volonté de l'activité
suggérée est, en effet, un caractère très variable et
souvent difficile à apprécier. Il arrive qu'on s'y
trompe, comme on se trompe sur l'originalité d'une
production littéraire. Il y a des imitations inconscien-
tes pour l'imitateur et inaperçues de ceux qui le con-
naissent, dans le domaine de l'activité comme dans
le domaine de l'intelligence. Ce qui constitue le
caractère personnel d'une action, c'est souvent le
simple choix de la suggestion subie. Entre toutes les
influences qui tendent à déterminer ses actes et à
diriger sa conduite, l'individu en choisit une, pour
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LÀ VOLONTÉ ET LA SUGGESTION 4l
la subir, celle qui s'accorde le mieux avec sa person-
nalité, il l'accepte, il la fait sienne, il la « veut »
et il veut avec elle. La synthèse qui se forme chez lui
a toutes les apparences de la volition, elle peut-être
énergique et prompte, tenace et puissante. Mais tout
de même celui qui la veut ainsi n'est pas un grand
volontaire, au sens propre du mot, bien qu'il soit
généralement jugé tel. Ce n'est pas un créateur, c'est
plutôt un vulgarisateur. Il veut avec la volonté d'un
autre. Peut-être est-il un vulgarisateur remarquable.
Peut-être fait-il prospérer, mieux que celui qui la lui
a suggérée, la volition qu'il a créée. Il ressemble
alors aux grands vulgarisateurs qui empruntent à
d'autres leurs principales idées, mais qui les dépouil-
lent du fatras dont elles étaient accompagnées, qui
les développent, les harmonisent, les accommodent
aux besoins du moment. Et il a les mêmes mérites.
On voit qu'il peut rester beaucoup d'activité sug-
gérée dans l'activité volontaire, au point qu'il n'est
pas possible de bien distinguer toujours l'une de
l'autre. Il ne faut pas s'étonner si, de même qu'on
peut prendre pour des volontaires certaines person-
nes en qui l'automatisme domine, on commet une
erreur analogue pour quelques-unes de celles que
dirige la suggestion. L'activité suggérée est la vo-
lonté de ceux qui n'ont pas la puissance créatrice
dans le domaine de l'activité mais qui sont vifs,
remuants, tenaces. Ils sont dans ce domaine comme
des « échos sonores » qui renforceraient le son qui
leur arrive. Ils agissent beaucoup sans vouloir pré-
cisément, comme d'autres écrivent beaucoup sans
rien inventer. On s'en aperçoit le jour où, réduits
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4 2 LA VOLONTÉ
à leurs propres ressources, ils se trouvent impuis-
sants en face d'obstacles que les suggestions ordi-
naires leur feraient surmonter sans difficulté.
Mais, à des degrés différents, tout le monde en est
là. De même qu'il y a toujours quelque imitation
dans la création intellectuelle, il y a toujours de la
suggestion dans la création active. D'abord, parce
que, comme je l'ai dit tout à l'heure, la création
volitive emploie des matériaux fournis par la sug-
gestion, mais aussi parce que la nature de ces élé-
ments ne les laisse pas entrer indifféremment dans
n'importe quelle combinaison. Elle détermine un
peu, à quelques égards tout au moins, la nature de
la synthèse où ils entreront. De plus cette synthèse
même est toujours plus ou moins influencée par les
suggestions de notre milieu. Sa forme, sa direction,
sa façon de naître et de se développer, tout cela est
plus ou moins modifié par lui. Je ne puis vouloir
exactement de la même manière que si j'étais dans
un autre pays, avec une autre famille, d'autres
amis, ayant lu des livres tout à fait différents, ayant
reçu une autre instruction et une autre éducation.
Les innombrables suggestions que j'ai subies ont
d'ailleurs contribué à former ce qu'il y a en moi
d'automatique et d'instinctif et qui intervient aussi,
nous l'avons vu, en plusieurs manières, dans la for-
mation delà volonté. De tous les côtés nous arrivons
à cette conclusion qu'il reste toujours une part de
suggestion dans la volonté, que celle-ci ne peut
même être supposée exister sans celle-là. Et si l'acti-
vité suggérée simule si bien l'activité volontaire, c'est
qu'elle lui ressemble sur bien des points très impor-
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LA VOLONTÉ ET LA SUGGESTION 4 3
tants, essentiels même, et que d'ailleurs elle s'y
mêle constamment.
§ 6. — La volonté dans V activité suggérée.
De même qu'il reste de la suggestion dans la
volonté, de même il y a toujours quelque volonté
dans l'activité suggérée. Les cas où le caractère génn-
ral du phénomène peut être douteux et où Ton peut
se demander si l'action commise a été commise par
influence ou par volonté personnelle nous montrent
le milieu d' une série qui conduit par degrés insensé
blés d'une part à la volonté la plus originale, de l'au-
tre à la soumission la plus passive. Mais si les deux
éléments que nous considérons vont en s'ac croissant
ou en diminuant à mesure qu'on suit la série dans
un sens ou dans l'autre, aucun d'eux ne devient
jamais nul, aucun d'eux ne devient jamais le domi-
nateur exclusif. Ils subsistent tous deux dans des
proportions très variables.
Accepter une suggestion ne peut se faire sans que
la personnalité intervienne plus ou moins. L'homme
n'est jamais complètement passif et si l'on y regarde
de près on verra même que la passivité absolue n'of-
fre aucun sens acceptable. C'est toujours notre nature
propre qui nous expose à subir certaines influences
et nous en fait rejeter certaines autres. Il arrive ainsi
que dans les actes qui ressemblent tant à la volonté,
mais qui sont le résultat d'une suggestion, il y a bien
toujours à quelque degré ce caractère personnel,
caractéristique de la volonté, le seul qui manque à
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44 LA VOLONTÉ
l'activité suggérée pour se confondre avec l'activité
volontaire. Il n'est pas possible qu'une personnalité
différente vienne se substituer complètement à la
nôtre. Cette transformation radicale ne s'observe pas
même chez les hypnotisés. Dans leur façon d'accep-
ter la suggestion et de l'exécuter, on remarque encore
certaines différences individuelles, si affaiblies que les
fasse l'état hypnotique. A plus forte raison en est-il
ainsi dans la vie normale. L'acceptation d'une sug-
gestion de préférence aux autres qui se proposent
aussi à l'esprit est toujours forcément un choix de
notre esprit, la manifestation plus ou moins impor-
tante, plus ou moins consciente, plus ou moins
significative aussi de notre propre personnalité.
Lorsque nous commettons un acte quelconque, cet
acte ne décèle pas seulement la nature d'esprit, ou
les intentions de celui qui nous l'a suggéré, il montre
aussi les nôtres, dans une mesure variable, et avec
plus ou moins de fidélité, par la façon dont nous
avons accepté la suggestion et aussi par la façon dont
nous l'avons réalisée.
On peut dire qu'il reste d'autant plus de volonté
dans l'activité suggérée que la suggestion est exté-
rieurement moins forte et qu'elle doit sa puissance à
notre choix personnel. Notre personnalité intervient
relativement très peu quand nous nous laissons
influencer par des idées et des sentiments qui sont
ceux de tous les nôtres et que rien ne combat autour
de nous. Au contraire nous faisons preuve de beau-
coup plus d'initiative si nous modelons notre con-
duite sur celle d'un homme qui est généralement
ignoré ou méprisé, avant, bien entendu, qu'il n'ait
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LA VOLONTÉ ET LA SUGGESTION 45
acquis la minorité de disciples fervents qui est une
condition si favorable aux enthousiasmes. En ce cas
c'est bien notre personnalité qui intervient, elle a été
dégagée, excitée par une influence extérieure, mais
généralement elle n'a pas cessé d'être elle-même pour
prendre 1'appar.ence d'une autre.
La réalisation de la suggestion ne comporte pas
moins que le fait de l'accepter l'intervention efficace
de la personnalité. On ne se modèle jamais complè-
tement sur autrui. Alors même qu'on s'y applique-
rait de son mieux on n'y parviendrait pas. Nous pou-
vons assez souvent observer une personne qui agit
sous l'influence d'une autre. Entre la conduite de
l'une et de l'autre, ou entre le conseil, l'insinuation
de celle-ci et l'acte de celle-là nous remarquons tou-
jours de sérieuses discordances. Il n'y a pas seule-
ment de l'une à l'autre la différence essentielle du
modèle à la copie, mais ce qui est hardi ou généreux
chez la première pourra fort bien être prudent ou
mesquin chez l'autre. Tous nos actes sont marqués
plus ou moins nettement de notre empreinte, un acte
est une résultante très compliquée et les conditions
qui le produisent ne peuvent que différer avec chaque
individu. Nos personnalités, malgré des ressem-
blances profondes, n'ont pas un seul élément, ni
une seule forme d'association de ces éléments absolu-
ment identiques. Si original que soit un homme, on
retrouve toujours chez lui bien des choses qu'il doit
aux autres et si peu original qu'il puisse être, il n'en
marque pas moins tous ses actes d'un cachet per-
sonnel.
3.
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CHAPITRE III
LA VOLONTÉ
ET LES FAITS PSYCHIQUES EN GÉNÉRAL
§ i. — Les caractères de la synthèse volitive.
Nous venons de voir quelques-unes des conditions
générales de la volonté et aussi quelques-uns des
faits psychologiques qui ressemblent le plus à des
volitions. Nous devons maintenant aborder l'acte de
volonté lui-même, le décrire et l'analyser, en dégager,
si nous pouvons, le mécanisme interne.
L'acte de volonté est une synthèse. Si je décide
de sortir de chez moi pour aller voir un ami, je
combine une grande quantité de représentations,
d'idées, de sentiments avec des images de mouve-
ments qui, une fois la synthèse effectuée, vont se
transformer, au moment opportun, en mouvements
réels, d'une manière généralement automatique.
Quel que soit l'acte de volonté que nous considé-
rions, nous pouvons faire des constatations analogues.
Il s'agit toujours d'unir des idées et des sentiments
à d'autres représentations. Il s'agit surtout de faire
du nouvel ensemble ainsi fixé un élément domi-
nateur de notre esprit et de notre organisme, c'est-
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LA VOLONTÉ ET LES FAITS PSYCHIQUES EN GÉNÉRAL 4 7
à-dire un élément actif. Nous pourrions faire la
même combinaison et n'avoir comme résultat qu'une
idée ou un désir dont le développement serait
enrayé. Je puis, par exemple, par la synthèse indi-
quée plus haut, aboutir non à une volition, niais
simplement à l'idée d'aller voir mon ami. La diffé-
rence entre les deux cas est une différence de syn-
thèse : des éléments absents d'un des états viennent
se joindre à l'autre : c'est-à-dire la suite logique des
idées, des désirs et des images, Inactivité réelle
que tout état psychologique tend à provoquer
mais qui est souvent arrêtée. Cette activité se résout,
elle aussi, en tendances, en idées, en représentations
et plus tard en sensations de mouvements. Enfin un
des caractères de l'acte volontaire, c'est son asso-
ciation intime avec le moi, avec la personnalité
presque entière. Nous pouvons avoir des idées sans
les accepter, des sentiments sans nous y abandonner,
c'est dire que dans des cas de ce gen rc , il n'y a pas
d'association systématique complète entre l'idée ou
le sentiment et l'ensemble de la personnalité. La
personnalité, tout en acceptant provisoirement, sous
bénéfice d'inventaire, pour ainsi dire, Tétaf. de con-
science, ne l'adopte pas complète ment, elle ne le
fait pas absolument sien, elle ne le laisse pas se
développer, aboutir à ses conséquences logiques.
Nous pouvons avoir l'idée de croyances que nous ne
partageons pas, nous pouvons comprendre, c'est-à-
dire éprouver à un degré faible des sentiments que
nous n'acceptons pas comme outres, que nous ne
voudrions pas laisser se développer en nous. L J acte
de volonté au contraire est par lui-même et essentiel-
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48 LA VOLONTÉ
lement l'acceptation bien plus nette par le moi d'un
état d'âme auquel on laisse donner plus librement ses
conséquences. Entre avoir l'idée, ou être tenté de com-
mettre un meurtre, et se décider à tuer, c'est là la
différence essentielle.
§ 2 . — Synthèse volitive
et synthèse psychique en général.
Nous devons trouver dans ces caractères de la
volition des moyens de la distinguer des autres faits
psychiques. Cela n'est pas si aisé qu'on le pense
communément ; tout au moins n'est-il pas inutile de
montrer les ressemblances fondamentales qui ratta-
chent la volonté à tous les autres états de l'esprit.
Nous venons de voir qu'elle était parfois difficile à
démêler d'avec l'automatisme, et d'avec l'activité
suggérée, et en tout cas intimement mêlée à eux.
Mais ses rapports avec tous les ordres de phéno-
mènes psychiques doivent être aussi brièvement exa-
minés.
Tout phénomène psychique est comme la volition,
une synthèse d'éléments étroitements unis et systéma-
tisés, de plus tout phénomène psychique tend à sus-
citer par association les autres phénomènes qui peu-
vent s'unir à lui en vue d'une fin commune. C'est la
loi de Y association systématique 1 . Un sentiment,
comme l'amour par exemple, est un composé d'un
très grand nombre d'impressions, d'idées et d'élé-
i. Pour l'étude delà loi d'association systématique, voir V Ac-
tivité mentale et les éléments de l'esprit. Paris, Alcan, 1889.
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*m 1 ^
LA VOLONTÉ ET LES FAITS PSYCHIQUES EN GÉNÉRAL ^Q
ments inconscients, une synthèse d'innombrables élé-
ments, et, il tend constamment à susciter des phéno-
mènes qui s'harmonisent avec lui (recherche de la
personne aimée, lettres, vers, tendres propos , toute la
gamme des caresses, etc). En même temps, confor-
mément à la loi d'inhibition systématique, il tend à
réprimer tout ce qui s'opposerait à lui (certaines
idées, certains devoirs parfois, ou bien les soucis et
les occupations ordinaires, la sympathie pour l'en-
treprise d'un rival, etc.). Ces deux grandes lois nous
en retrouverons l'application dans la volonté comme
dans tous les autres phénomènes psychiques, et c'est
un point que nous aurons tout à l'heure à examiner.
Ces ressemblances entre les volitions et les phéno-
mènes psychiques quelconques sont moindres que
celles qui rapprochaient la volonté de l'automa-
tisme et de l'activité suggérée. Toutefois elles sont
réelles et importantes. Il suffit, pour s'en rendre compte,
de remarquer qu'il y a dans tout phénomène psy-
chologique, quel qu'il soit, une part d'activité auto-
matique et une part d'activité suggérée, ce qui im-
plique qu'il s'y trouve aussi quelque chose comme
un rudiment d'activité volontaire.
On est trop habitué, en suivant d'anciens erre-
ments et malgré quelques tentatives récentes, à séparer
l'activité (et la volonté qui s'y rattache) de rinLelli-
gence et de la sensibilité. Il faut se convaincre que
c'est là une séparation tout à fait artificielle- L'intel-
ligence et la sensibilité sont par elles-mêmes des acti-
vités. Si on les distingue de l'activité c'est surtout par
une différence de point de vue. Nous considérons
alors les phénomènes en eux-mêmes, fixés dans une
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50 LA VOLONTÉ
attitude qu'en réalité ils ne conservent jamais, car la
vie de l'esprit, comme la vie du corps, est une trans-
formation perpétuelle, et isolés, séparés de leurs
causes et de leurs effets. Mais c'est là un procédé tout
à fait artificiel. Notre esprit est dans une activité
perpétuelle, et aucun fait ne s'y maintient sans chan-
gement. Dans toute idée, dans tout sentiment, il y
a des réactions continuelles des éléments com-
posants les uns sur les autres, et le fait lui-même,
pris dans son ensemble, agit continuellement pour
susciter d'autres idées, pour éveiller des sentiments,
pour susciter des actes. Sans cesse nos idées se déve -
loppent, se transforment, se résolvent et se recons-
tituent, sans cesse elles influent sur le reste de la vie
mentale. De même, nos sentiments, nos tendances,
nos images. Et cette activité est dans une grande
mesure instinctive et régulière quand elle se répète.
Elle est aussi suggérée en ce sens que mes idées, mes
sentiments, et leurs modes d'action sont toujours
influencés par l'activité d'autrui. Il n'y a pas un fait
psychique qui ne relève de l'automatisme et de la
suggestion. Ce n'est que par l'habitude et la routine,
ce n'est aussi que par les rectifications continues que
leur apportent nos relations avec d'autres personnes
que nos idées et nos sentiments se précisent et se
développent. Et ce que nous appelons « une idée »>
ou « une impression », ou « un sentiment », ce
n'est jamais un tout fixe, c'est une réalité vivante et
toujours changeante, où sans cesse quelques éléments
sont remplacés par d'autres, où les uns s'effacent ou
s'amoindrissent, pendant que les autres se dévelop-
pent, où toujours les rapports de ces éléments chan-
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LA VOLONTÉ ET LES FAITS PSYCHIQUES EN GÉNÉRAL 5l
gent, où de nouvelles synthèses partielles et de nou-
velles décompositions s'opèrent sans cesse. On n'a qu'à
examiner à ce point de vue la vie d'un sentiment
à longue évolution, un amour durable, une amitié
solide, une passion de collectionneur, par exemple,
pour voir combien de nuances variées, quelle vie
profonde et diverse, quelle activité incessante
recouvre le mot qui peut faire croire à l'existence
d'une réalité uniforme et généralement fixée.
§ 3. — 11 y a partout de la volonté dans l'esprit.
Toute cette activité n'est pas absolument automa-
tique et suggérée. Sans doute bien des choses s 1 )
répètent; sans doute tout phénomène y porte l'em-
preinte du milieu dans lequel il prend naissance. Mais
on ne se répète jamais absolument soi-même et on ne
répète jamais absolument les autres. La vie psychique
est une chose trop compliquée pour que deux étals
puissent être identiques. C'est dire qu'il y a partout
de l'invention, et partout quelque volonté, ou du
moins, quelque rudiment, une sorte d'élément
infinitésimal de volonté.
Partout, en effet, nous voyons s'accomplir ces
combinaisons nouvelles, ces synthèses actives qui
sont la caractéristique même de la volonté. En ce
sens, il n'est pas une de nos idées, pas une de nos
croyances, pas un de nos sentiments qui ne soit,
on peut le dire, une invention si nous le considérons
par rapport à ce qui le précède, et une volition si
nous le considérons par rapport à l'activité qu'il
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52 LA VOLONTÉ
provoque et qu'il dirige en nous» Il y a là, en eflet,
une masse de volitions élémentaires, naissant et agis-
sant continuellement et portant toujours la marque
de notre propre personnalité»
Ceci nous permet de comprendre ce qu'il y a de
vrai dans la théorie de la croyance volontaire qui a
été très en faveur il y a quelques années. Adopter
une croyance, cela ne se peut sans cette synthèse
personnelle et active qui constitue la volonté. Il y a
entre la croyance et l'idée à peu près le même rap-
port qu'entre le sentiment et l'acte. Toute idée tend à
devenir une croyance, comme tout sentiment tend à
devenir un acte, c'est-à-dire que l'un et l'autre
tendent à se faire adopter par le moi, à lever les
inhibitions qui s'exercent sur eux. L'idée acceptée
comme vraie, c'est la croyance, le sentiment accepté
comme guide de conduite c'est la volition. L'analogie
est très réelle et très profonde. On doit seulement
généraliser. Comme il suffit qu'un état se produise
pour être accepté par le moi, pour qu'il fasse plus
ou moins partie de notre personnalité, pour qu'il
s'accorde en une certaine mesure avec elle et aussi
pour qu'il ait désormais quelque influence sur le
cours de nos pensées et de nos actes, il y a toujours
dans l'apparition d'un phénomène quelconque quel-
que chose de personnel et quelque chose de volon-
taire. On peut dire en un sens que nous voulons
toutes nos idées, tous nos sentiments, toutes nos
impressions. Mais ce sont là, en quelque sorte, des
volitions élémentaires, partielles, ce n'est pas le
moi tout entier qui les veut, ce sont plutôt quelques
éléments du moi. Quand une idée naît en moi que
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LA VOLONTÉ ET LES FAITS PSYCHIQUES EN GÉNÉRAL 53
je repousse comme fausse, quand je réprouve un sen-
timent que je m'efforce de combattre, il est bien vrai
que quelque chose en moi a voulu cette idée et ce
sentiment, c'est-à-dire qu'ils ont été suscités, évo-
qués, créés par certaines de mes tendances, de mes
idées antérieures. Comme tout se tient plus ou moins
étroitement dans l'esprit, l'ensemble du moi en est
quelque peu responsable. Mais cette solidarité des
éléments du moi est très inégale. Ici l'ensemble de
la personnalité s'en est dégagé dans une certaine
mesure. Le moi n'accepte pas Vidée, le sentiment qui
se sont produits en lui, et il peut s'efforcer de les re-
jeter, vouloir contre eux. Et c'est plutôt à l'action
qui engage plus complètement l'ensemble de la
personnalité que nous réservons le nom de vo-
lonté.
§ 4- — La synthèse volitive.
La volonté personnelle se distinguera donc de
cette sorte de volonté générale, éparse dans tout
l'esprit un peu comme un régiment se distingue
d'un individu. Elle est un fait analogue mais qui
intéresse soit la personnalité entière, soit au moins
une grande partie de la personnalité. Et la synthèse
qu'elle forme a précisément pour éléments des phé-
nomènes qui, à certains points de vue, en sont des
ébauches et des germes. Elle synthétise des synthèses
assez semblables à elle, des faits d'intelligence, des
faits de sentiment, des représentations motrices, des
sensations de mouvement et d'autres perceptions va-
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54 LA VOLONTÉ
rices, des produits de l'automatisme et des produits
de la suggestion. Mais précisément parce qu'ici le
phénomène est plus grand, plus développé, plus im-
portant, les caractères en sont plus visibles, et l'étude
des éléments devra sans doute plus à l'étude de l'en-
semble que celle-ci ne lui devra.
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CHAPITRE IV
L'ACTE DE VOLONTÉ
I — LA VOLITION SES TROIS MOMENTS, ET LES LOIS
D'ASSOCIATION SYSTÉMATIQUE ET D'INHIBITION SYSTÉ-
MATIQUE.
§ I er . — La préparation de l'acte volontaire,
ses conditions*
L'acte de volonté est toujours préparé par l'insuf-
fisance de l 7 automatisme ou le conflit fies tendances ,
souvent à la fois, par les deux causes qui ne se dis-
tinguent pas toujours bien nettement l'une de l'autre .
L'activité sous une ou plusieurs de ses formes est
arrêtée, troublée- Nous avons à choisir entre deux
partis et nous ne savons lequel prendre, ou bien nous
n'avons qu'un parti à prendre mais nous ne pouvons
nous y décider spontanément et par simple entraîne-
ment. Il se produit alors une série de phénomènes
complexes qui, lorsque l'évolution s'accomplît régu-
lièrement, aboutît à un acte de volonté.
L'acte de volonté a normalement trois phases
lorsqu'il se produit surtout sous sa forme la plus
nette et la plus caractéristique* Ces trois phases
sont ; la délibération , la décision et l'exécution.
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56 LA VOLONTÉ
C'est la seconde, la décision, qui est la plus essen-
tielle, la première n'en est guère qu'une préparation
et la dernière qu'une conséquence. Mais plus la pre-
mière est écourtée, plus l'acte se rapproche de l'auto-
matisme et quant à la troisième, son absence ou sa
faiblesse fait douter de la réalité ou du sérieux de
la décision.
Parfois la décision n'arrive pas à se produire.
L'esprit en reste à la délibération, ou même il la
commence à peine. C'est ce qui caractérise la fai-
blesse de volonté. Tenons-nous en au cas normal,
celui où l'adaptation se produit d'une manière appré-
ciable et où la volonté aboutit sinon complètement,
au moins assez bien.
Pour préparer l'acte de volonté, il ne suffit pas,
en général, d'une défectuosité latente de l'adaptation
ou d'un conflit caché des tendances. Il faut que l'in-
suffisance se manifeste et que le conflit éclate. Il faut
aussi que l'homme soit poussé — ce qui est natu-
rel — à mettre un terme à cet état. L'état qui va
amener la production de l'acte de volonté, surtout
sous ses formes les plus nettes, est un état de désarroi
et de trouble, accompagné du besoin ressenti de
l'ordre et de l'harmonie. Encore est-il bon que ce
désarroi ne soit pas trop considérable et que l'ur-
gence de l'harmonie ne soit pas absolue. Chacun
sait que, lorsque l'on est trop pressé de prendre un
parti, ou bien on ne peut arriver à rien, on ne peut
ni délibérer, ni décider, ni agir, ou bien on décide
sans délibérer, ou plutôt on agit sans décider, impul-
sivement, automatiquement, par le simple effet
d'une tendance qui, se trouvant la plus forte par ua
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l'acte de volonté 57
accident quelconque, l'emporte momentanément
sans qu'il y ait eu réflexion et acte réel de volonté.
Toutes les observations et toutes les analyses qui
précèdent nous amènent à cette conclusion que l'acte
de volonté se produit sous la pression d'un désir,
d'une tendance ou d'un groupe de tendances qui
ne parvient pas à se satisfaire aisément. Son activité
arrêtée donne lieu à des quantités de faits psychiques
divers, phénomènes affectifs 1 ou intellectuels. I/acte
de volonté viendra souvent à la suite de ces phéno-
mènes. Soit que la tendance ne puisse pas aboutir
parce qu'elle n'est pas encore assez organisée ou
qu'elle ne puisse triompher de la résistance que
d'autres lui opposent, le phénomène est à peu près le
même. Toujours nous voyons le processus automa-
tique et parfois inconscient s'interrompre et une
sorte d'effervescence morale se produire, un peu
comme une inflammation suit la lésion qui blesse
notre organisme et contribue à la réparer. Si je res-
pire paisiblement, je n'y prends pas garde, et si je
me trouve dans une salle où l'air se vicie trop, au
bout d'un moment, je sors presque automatique-
ment sous la simple pression du besoin de respirer,
mais si des raisons assez puissantes me retiennent
ou si la sortie n'est pas facile, les impressions de gêne
vont se manifester de plus en plus, parallèlement
d'autres impressions affectives, les sentiments qui me
font rester s'accentueront, en même temps. que naî-
1. J'ai montré ailleurs que l'arrêt des tendances était une
condition de la production d'un fait affectif (émotion» senti-
ment, etc.). Il est pour des raisons analogues une condition de
l'acte de volonté.
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58 LA VOLONTÉ '
tront continuellement de nouvelles idées relatives aux
raisons que j'ai de sortir ou de rester. Les phénomènes
psychiques pullulent autour de la tendance à respirer
et cela est très différent de ce qui se passe d'ordinaire,
cette tendance se satisfaisant normalement sans vo-
lonté et même sans conscience. La situation peut Se
prolonger ainsi et le trouble s'accroître jusqu'au mo-
ment où j'aurai pris une décision. Dans tous les cas
où la volonté se produit, nous avons un pareil trouble
plus ou moins accentué,
§ 2. — La délibération.
C'est alors que la délibération commence. La
durée en est extrêmement variable. Tantôt elle est
presque supprimée, et l'acte volontaire se distingue
à peine de l'acte automatique ou de l'acte simple-
ment suggéré. Tantôt au contraire elle dure des
années sans pouvoir aboutir à la décision, et parfois
même elle n'aboutit jamais, se prolonge indéfini-
vement. Sous une forme ou sous une autre elle
constitue une partie importante de l'acte de volonté
proprement dit.
La délibération est la mise en rapport avec le moi,
l'épreuve, avant le choix décisif, des tendances qui
aspirent à se satisfaire et à diriger l'activité, des idées
qui viennent contrôler ces tendances, en montrent les
avantages et les inconvénients, des impressions, des
sentiments qui accompagnent naturellement ces
idées et l'activité entravée ou commençante de ces
tendances, des tendances secondaires avec leur cor-
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l'acte de volonté 5g
tège nouveau d'idées et d'impressions qui viennent
appuyer les unes ou combattre les autres.
Pour pouvoir apprécier tous les motifs, il faut
d'abord qu'ils existent et se manifestent, Quelques^
uns préexistent au conflit. La tendance h respirer se
manifeste et est sentie, dans l'exemple choisi plus
haut, avant que la délibération ne commence. Mais
il n'en est pas toujours ainsi, et il arrive que cer-
tains motifs se forment peu à peu, ou tout au moins
se précisent et se compliquent par la réflexion. Il ne
faut pas se représenter des motifs comme des choses
toutes faites que l'esprit regarderait ainsi qu'un ache-
teur examine les marchandises que le marchand lui
présente. Ils sont continuellement en train de se trans-
former, d'évoluer, ils sont évoqués souvent sous une
nouvelle forme en même temps qu'ils sont examinés
et l'examen que nous en faisons les transforme, les
rend différents d'eux-mêmes, c'est-à-dire en évoqué
de nouveaux. Alors même qu'ils restent intrinsèque-
ment à peu près les mêmes, les idées qu'ils éveillent,
les sentiments qu'ils excitent diffèrent. Ils se modifient
continuellement, et comme nous ne pouvons guère
séparer le motif des idées qu'il éveille et de l'impres-
sion qu'il fait sur nous on peut dire que la transfor-
mation des motifs est toute la délibération. Et, en
effet, il s'agit toujours d'arriver à faire triompher
l'un d'eux, de le rendre plus fort que les autres,
dominateur au moins momentané de l'esprit.
L'évocation des motifs est déjà le commencement
de leur essai et de leur comparaison, car on ne peut
guère évoquer un motif quelconque que par des asso-
ciations et avec des associations d'idées et de senli-
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GO LA VOLONTÉ
ments qui sont déjà un essai. En tout cas, une fois
le motif évoqué, l'essai se poursuit, c'est-à-dire que
le motif est mis en relation avec le moi, avec les
diverses tendances. Nous essayons un motif en l'adop-
tant provisoirement, et en le contrôlant par la réac-
tion de nos idées et de nos désirs. Sans lui donner
la prépondérance réelle, nous le supposons pré-
pondérant, et nous nous rendons compte, d'une ma-
nière plus ou moins précise et qui laissera plus
ou moins de traces, de l'effet qu'il produit ainsi.
En prenant comme il faut le faire tout d'abord
pour avoir une idée des faits aussi nette que pos-
sible, un cas où la délibération est marquée et lon-
gue, nous voyons très clairement cette évocation des
motifs. Si un homme doit prendre une décision im-
portante, et s'il est de caractère réfléchi, il aura
soin de chercher toutes les raisons qui peuvent venir
appuyer ou contrarier le projet dont il s'occupe.
S'il doit penser au choix d'une profession pour ses
enfants par exemple, et diriger dans un sens ou dans
un autre leur éducation, il tâchera de se renseigner
sur les avantages et les inconvénients de chaque pro-
fession acceptable, il se rappellera divers faits indi-
quant les aptitudes ou les goûts de l'enfant, il instituera
au besoin diverses expériences, l'interrogera directe-
ment, fera appel à l'observation des autres, demandera,
s'il le juge utile, leur avis, tiendra compte de leurs
remarques, etc. Pour chaque acte de volonté un peu
important la même phase d'information se représente.
Tous ces renseignements cherchés, ce sont autant de
motifs qu'on évoque, que l'on construit patiemment
et dont on achèvera ensuite l'examen.
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L*ACTE DE VOLONTÉ 6l
Si l'évocation est déjà une appréciation, inver-
sement l'appréciation est encore une évocation ou
une transformation des motifs. Un motif que Ton
juge bon ou faible ne reste pas absolument le même,
le jugement porté sur lui accroît encore ou diminue
sa force et son influence, et le met en rapport dans
l'esprit avec d'autres phénomènes, il l'associe avec
certains faits, le dissocie d'avec quelques autres. Sa
nature change ainsi continuellement.
L'appréciation se fait par le contact, par l'établis-
sement de rapports variables selon les cas entre les
faits nouveaux qui constituent les motifs invoqués, et
les idées, les tendances anciennes, les habitudes de
l'esprit. Souvent les motifs que nous allons apprécier
existaient déjà dans l'esprit, au moins en germe et
sous une forme plus ou moins développée, mais ils
n'avaient pas été mis en contact les uns avec les autres,
ni les uns et les autres avec les tendances qui con-
stituent notre moi organisé. Souvent l'on n'entre-
voit pas la portée et les conséquences de tout ce
qu'on sait, de tout ce qu'on pense, de tout ce qu'on
sent. C'est le cas habituel. La délibération a préci-
sément pour but et pour effet, en la supposant sous
sa forme la plus développée, de faire ressortir toutes
ces conséquences mal connues. En évoquant les
motifs, en fixant notre attention sur eux, nous les
amenons à tenter de s'associer avec l'ensemble de
nos croyances et de nos désirs. Par cette opéra-
tion les harmonies méconnues ou les discordances
encore cachées se révèlent. Les motifs se dévelop-
pent spontanément et aussi sous notre influence per-
sonnelle, ils se précisent et se complètent, et leur
Paulhan. 4
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6îl LA VOLONTÉ
appréciation en devient d'autant plus nette et plus
solide.
Les différents partis à prendre qui se posent ainsi
successivement devant le moi comprennent en géné-
ral une synthèse d'idées et d'impressions qui tend à se
développer et à s'imposer à l'esprit en se complétant
par l'adjonction au noyau primitif des éléments qui
amèneront son triomphe définitif et son acceptation,
son installation dans notre personnalité. Si je délibère
pour savoir si j'irai chasser demain, avec des amis, ou
si je resterai à travailler, la partie de plaisir qu'on me
propose se présente sous la forme d'une synthèse
d'idées, d'images, d'impressions, de sentiments (idée
et impression du plaisir de la chasse, de la marche
au grand air, de la rencontre avec des amis, etc.
tout cela comprenant mille détails divers, qui se
présentent à l'esprit avec une vivacité variable) et cette
synthèse tend à s'organiser complètement, à fixer
l'orientation du moi, à annuler les désirs qui s'oppo-
sent à elle, à déterminer dans un sens précis la série
de mes actes, etc.
Et l'autre projet est constitué de même par une
synthèse différente qui agit de semblable manière. Ici
c'est l'idée du travail en train, des raisons que j'ai de
ne pas l'interrompre (Il est pressé, j'aurai plus de
peine à m'y remettre après une journée perdue, on
est bien chez soi à travailler dans une pièce chauf-
fée, etc.).
Dans les cas les plus marqués, la volonté ne se
constitue pas en une seule fois, surtout si la décision
à prendre est grave. Chacun des systèmes qui se
proposent est contrôlé plusieurs fois, aucun ne fixe
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l'acte de volonté 63
l'esprit à une première épreuve, et tous sont succes-
sivement rejetés pour un nouvel examen. Paribis la
lutte s'établit surtout entre chaque système et sa néga-
tion, le projet est provisoirement accepté et provisoi-
rement nié. Son acceptation éventuelle soulève géné-
ralement toutes les objections qu'il est susceptible de
provoquer. C'est quand on se représente un acte
à accomplir, un parti à prendre que les raisons de ne
pas agir dans le sens indiqué par lui arrivent à
l'esprit. Le projet représenté tend à se faire accepter
complètement, mais comme toujours quelques-uns de
nos désirs, quelques-unes de nos idées sont froissées
par lui, il se produit irrésistiblement quelque réaction.
Et, dans la délibération, cette réaction — qui sera peut-
être vaincue plus tard — est encore assez forte pour
arrêter momentanément l'envahissement de l'esprit
par le système d'idées et d'actes qui se propose
à lui.
Mais souvent cette réaction entraîne la représenta-
tion d'un projet opposé au premier, les désirs, les
tendances, les idées excités par le premier, et surtout
ceux qui sont froissés par lui, en réagissant ne tendent
pas seulement, en bien des cas, à le repousser, ils
tendent aussi à en susciter un autre qui ne les froisse
pas, ou qui les satisfasse mieux. Si l'on me propose
une partie d'écarté et si ce jeu m'ennuie, cette propo-
sition peut provoquer en moi soit l'idée de refuser
simplement, soit l'idée de travailler ou d'aller me pro-
mener, soit Tidée de jouer à un jeu qui nie plaise
davantage. Quand il s'agit de choses habitue Iles et
peu importantes, la réponse se fait à peu près auto-
matiquement, mais, dans le cas contraire, les actions
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u
LA VOLONTE
ri !<-s réactions que nous venons d'analyser se pour-
suivent et se compliquent. Les projets suscités par
réaction, en tentant, eux aussi, de se développer,
suscitent à leur tour, par une réaction inverse de la
première, le premier projet ou bien ils font appa-
raître des projets encore différents, et l'opération se
poursuit d'après les mêmes procédés et avec des oscil-
lations plus ou moins nombreuses et plus ou moins
fortes.
Le moi doit intervenir pour éprouver ainsi, accepter
ou rejeter provisoirement tous les systèmes qui s'of-
frent pour diriger son activité. La réflexion, l'attention,
l'examen \olontaire et instinctif, la critique sont les
procèdes île son action, ils consistent tous essentielle-
ment dans le processus que nous venons d'indiquer et
s T y ramènent sans exception. Réfléchir, c'est arrêter
l'impulsion pour permettre aux tendances habituelles,
aux idées acquises d'entrer en contact avec elle et de
réprouver, pour lui permettre aussi bien de se dé-
velopper, de donner ou de laisser entrevoir toutes ses
conséquences tout en l'empêchant d'aboutir à l'acte
et ù la fixation définitive de l'esprit. Porter son atten-
tion sur t\i\^ résolution à prendre c'est encore se mettre
dans les conditions voulues pour que les idées, les
images, les sentiments qui la représentent se dévelop-
pent librement. Critiquer, juger, c'est établir entre
l'état nouveau et les habitudes prises par le caractère
et l'intelligence les rapports que nous avons étudiés
et qui seront selon le cas une harmonie ou une lutte
suscitant une réaction, rapports que constateront la
critique faite par l'esprit et le jugement qu'il por-
tera»
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l'acte de volonté 65
§ 3. — Délibération et décision.
La délibération varie beaucoup d'importance et de
durée selon les actes et selon les individus. Elle
est une sorte de lutte, de tournoi où divers systè-
mes psychiques essayent tour à tour de conquérir et
de se soumettre la personnalité. L'issue de la lutte
ne peut pas toujours être prévue. Tantôt il semble
que l'un d'eux va l'emporter, fixer l'orientation de
l'esprit et un moment après, c'est un autre qui paraît
triompher. Quelquefois même la lutte paraît terminée,
quand elle n'est que suspendue. Une sorte de résolu-
tion provisoire s'est formée, puis les désirs vaincus se
réveillent, reprennent le combat. Il y a eu une ébauche
de vblition complète, de décision qui n'a pu se cons-
tituer définitivement. Il arrive très souvent, et chacun
en aura sans doute observé des exemples, que l'on
croit être arrivé au repos de la décision et qu'un re-
virement dont la cause n'est pas toujours appréciable
vient remettre tout en question et prolonger la phase
de délibération.
Quoi qu'il en soit, quand l'acte de volonté est
complet, elle doit nécessairement avoir une fin. C'est
la décision qui la termine et la remplace.
Alors, plus ou moins visiblement, plus ou moins
brusquement, l'orientation générale de l'esprit se mo-
difie. La décision se fait, c'est-à-dire que l'inhibition
qui empêchait jusqu'ici la nouvelle tendance d'abou-
tir a disparu et que la systématisation de l'esprit est
faite par cette tendance et selon cette tendance.
4.
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66 LA VOLONTÉ
La décision se manifeste par deux traits essentiels :
la systématisation dans le sens de la nouvelle tendance
des éléments psychiques qui restent en activité et
Tinhibition des éléments qui s'opposaient à elle et ne
pouvaient s'accorder avec sa domination. Ces deux
faits n'ont rien d'absolu. Ils sont généralement incom-
plets, mais ils sont très marqués cependant et cons-
tituent le fond même de la phase de la volition que
nous examinons à présent.
Voici l'analyse que j'ai donnée ailleurs de la systé-
matisation dans la décision. Je crois pouvoir la repro-
duire après treize ans, sans y rien changer. « Pen-
dant quelque temps les dernières tendances dont
l'activité s'est manifestée ont essayé le nouvel état qui
tend à s'imposer, mais l'activité est restée assez faible,
au moment de la décision, brusquement, une orien-
tation nouvelle s'établit dans l'esprit, une coordination
particulière apparaît, les tendances dont l'intervention
n'est plus utile, ou qui ne pourraient s'accorder avec le
le nouvel état, retournent à l'état latent. Je suis
quelque temps indécis, entre sortir ou bien rester à
travailler, j'hésite, les divers avantages de l'un ou
l'autre parti se présentent à mon esprit, des tendances
diverses s'éveillent en moi et essayent de s'harmoniser
avec la représentation de l'un et de l'autre système
d'actes à accomplir. Il s'établit une sorte de lutte plus
ou moins vive, puis, tout d'un coup, et bien souvent
sans que la conscience du fait soit très nette, on se
trouve avoir fait son choix, un des termes de l'alter-
native s'est imposé à l'esprit, ou a été accepté par
lui, une des tendances ou un système de tendances a
vaincu.; aussitôt les autres tendances disparaissent ou
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TRACTE DE VOLONTÉ 67
retournent au second plan, et les éléments psychiques
en activité se trouvent lous associés selon le mode
voulu pour T exécution de Tac te décidé. A. l'essai, a
l'éveil partiel de tout un groupe de tendances, a suc-
cédé la coordination, selon un certain mode, de tous
les phénomènes actuels ou de presque tous. Si j'ai
décidé de sortir, tous mes actes se dirigent vers cet
acte, je me lève, je prends mon chapeau, etc. ; si je
Teste, — à part peut-être quelques regrets, protesta-
tion des tendances évincées, — toutes mes pensées
viennent converger vers le travail que j'ai h (aire, je
prends ma plume, je consulte des livres, j'écris. Dans
les deux cas, après un tâtonnement, après que les
diverses tendances qui constituent le moi se sont mani-
festées assez pour permettre un choix qui convienne à
la personnalité, l'orientation se forme d'une manière
hrusque, en général, et les phénomènes psychiques
se trouvent associés dans un système déterminé.
u Noua retrouvons ici le jeu des élémenls psychi-
ques, mais nous trouvons aussi le fonctionnement
général de la personnalité. Chaque tendance, chaque
désir, ch aque c roy a n oc , & lutté, a co mh a I tu pour e 1 le-
même, seulement le moi, l'ensemble des tendances
déjà organisées, est intervenu et un équilibre s^st
établi, la force rie l'un des éléments qui luttaient
s'est mieux accordée que la force de l'autre avec notre
organisation mentale et l'orientation fie l'esprit s'est
établie par la mise en activité de tendances, d'idées,
de sentiments, convergeant tous vers le même but 1 . »
Et voici comment j'analysais également l'inhibition :
i. L'activité mentait, p, 171-173.
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68
LA VOLONTE
« Tant que la délibération dure, des tendances opposées
naissent, se développent, disparaissent presque sans
qu'une coordination définitive se dégage, puis brusque-
ment cette coordination définitive se fait, l'orientation
de l'esprit change, les phénomènes se sont classés, et
ce fait qui est caractérisé d'un côté par une association
systématique que nous avons déjà examinée, est
caractérisé aussi par une inhibition. Les phénomè-
nes qui ne peuvent trouver leur place dans la nou-
velle forme de l'esprit disparaissent, le moi change en
quelque sorte, en ce sens que les tendances en activité
qui le composent ne sont plus tout à fait les mêmes Si,
par exemple, je me décide à faire un voyage, il y a, au
moment où je prends mon parti, inhibition plus ou
moins complète des tendances qui m'auraient poussé
à rester chez moi. En général .on oublie momentané-
ment les raisons qui ont fait hésiter, les sentiments qui
ont longtemps contesté, combattu la décision prise.
Sans doute, ces sentiments, ces idées peuvent se ma-
nifester encore, mais elles sont au second plan, elles
déterminent des regrets sourds, des impressions péni-
bles de divers genres, mais elles ne luttent plus, c'est-
à-dire que certaines de leurs associations sont rompues.
Quand on a décidé de faire une chose, on peut éprou-
ver quelquefois des regrets, on pense qu'on aurait pu
agir autrement, mais on ne se représente plus l'autre
terme de l'alternative comme étant actuellement possi-
ble, on ne se le représente que sous forme de propo-
sition verbale, et à moins que la délibération recom-
mence, ce qui arrive parfois, les idées et les sentiments
qui peuvent persister encore et qui sont opposés à la
décision semblent sur un autre plan, ils forment pour
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^^^*^w| fl ^p^v,. + TW^ ■
L*ACTE DE VOLONTÉ 69
ainsi dire, partie d'un autre moi, on sent que quelque
chose les empêche d'arriver à la pleine conscience et
de jouer un rôle actif dans l'esprit. On a, si j'en crois
mon expérience propre, un sentiment très net de ce
genre d'arrêt quand il vient à cesser ou bien quand
il s'est produit, et que l'on compare les deux états.
Je me représente une chose que je sais ne pas devoir
arriver, par exemple que demain, je partirai pour
l'Italie, je puis penser aux préparatifs à faire, je puis
rêver aux agréments du voyage, etc., je puis désirer,
je puis me représenter même assez vivement certaines
choses, mais quoi que je fasse, je sens que tout cela
n'est pas sérieux, que cette activité est arrêtée, qu'elle
ne peut pas avoir de suite et je me suis d'autant
mieux rendu compte de cet arrêt, qu'il m'est arrivé
comme à tout le monde, je pense, de commencer par
rêver à des choses qui me paraissaient impossibles,
que je me représentais pourtant comme réelles et qui
ensuite devenaient possibles et étaient l'objet d'une
volition ou d'une série de volitions. La différence
entre les deux états est très marquée. De même quand
j'ai pris une décision qui contrarie certains de mes
goûts, je puis penser que je ne l'ai pas prise, je puis
me représenter moi-même n'ayant pas pris cette ré-
solution, et n'ayant pas à faire ce qui me contrarie,
mais je n'en sens pas moins que cette décision est
prise, qu'elle s'accomplira, que mon esprit est orienté
d'une certaine manière, accordé sur un certain ton,
et que sans que je m'en mêle davantage, l'acte suivra,
et, désormais, presque automatiquement ; les tendances
contrariées sont inhibées en tant quelles tendraient à
détruire cette organisation, à déterminer des séries
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70 LA VOLONTÉ
d'actes autres que ceux que mon esprit a décidément
choisis et qui ont été l'objet d'un acte de volonté. En
un mot, elles ont perdu le pouvoir de diriger au moins
à certains égards, l'organisme, elles sont, pour un
temps, impuissantes à s'associer les phénomènes d'ac-
tivité musculaire qui s'harmoniseraient avec elles 1 . »
§4. — La décision, créée par le moi, le transforme.
Cette systématisation nouvelle et les inhibitions qui
l'accompagnent, qui la complètent, constituent en
somme une transformation du moi.
L'esprit crée la volition, cela ressort de tout ce qui
précède, la volonté est une invention analogue à
l'invention intellectuelle et s'oppose comme celle-ci à
la routine et à l'imitation, mais il est aussi vrai
de dire que la volonté crée l'esprit. En effet l'esprit,
après la volition, une fois la décision prise, n'est plus
ce qu'il était avant. Le changement accompli peut être
plus ou moins considérable, mais il est proportionnel
à l'importance de la volition. Une volition insignifiante
n'entraîne que des transformations insignifiantes,
une volition considérable nous change d'une manière
notable. César avant et après le passage du Rubicon,
le Jean Valjean de Hugo après l'épreuve de la « tem-
pête sous un crâne » et la décision prise de révéler
son identité pour éviter la condamnation d'un inno-
cent, ne sont plus les mêmes hommes qu'aupara-
vant. Sans doute ce qu'ils sont maintenant, ils l'étaient
1. L'activité mentale, p. 292-294.
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ippv j.jPWKf:'
7 1
en germe, mais ils étaient peut-être en germe
bien d'autres hommes également. Une circonstance peu
importante aurait suffi peut-être pour aiguiller dans
un autre sens le développement de leur personnalité,
ou, au moins, pour enrayer ce développement dans une
certaine mesure. Après la décision prise , le change-
ment d'orientation est une chose acquise, ou le dé-
veloppement s'est affirmé, rendu nécessaire. Et plus
l'acte de volonté aura été volontaire, c'est-à-dire plus
il différera de l'activité automatique et de l'activité
suggérée, plus la transformation sera considérable,
car l'état nouveau différera proportionnellement davan-
tage de l'état ancien. Un homme jusque-là honnête et
qui commet une bassesse, n'a pas seulement accompli
une mauvaise action, il a avili sa personnalité. Si au
contraire il se décide volontairement à une action
héroïque, il se grandit. Dans les deux cas, il a inau-
guré un automatisme nouveau, préparé, si peu que ce
soit, une routine supérieure, il a étroitement associé
à ses tendances essentielles, à son moi, des idées, des
sentiments, des actes qui auparavant lui étaient étran-
gers, plus ou moins extérieurs.
L'association systématique nouvelle, qui constitue
la volition avec les inhibitions qu'elle provoque, or-
ganise en effet l'esprit, elle est elle-même une orga-
nisation nouvelle, tout au moins un commencement
d'organisation. La nouveauté est un de ses caractères
et, d'autre part, son acceptation par le moi est un
caractère essentiel sans lequel il n'y aurait pas de vo-
lition. Il est nécessaire qu'elle s'incorpore au moi,
qu'elle s'organise avec lui. Ce caractère de nou-
veauté, et cette entrée dans la personnalité donnent
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72 tA VOtONTÉ
la mesure de la transformation du moi par la voli-
tion.
§ 5. — La décision comme transformation du moi.
Cette transformation est tout à fait analogue à
tout un ensemble de phénomènes que j'ai signalés ail-
leurs dans le processus d'une invention intellectuelle
dans la genèse d'un roman, d'un poème. Ici aussi
chaque pas en avant, chaque invention nouvelle fixe
et serre la trame de l'esprit. La prédétermination
n'est généralement pas régulière et l'on ne peut
dire à l'avance, pour peu que l'on v ignore quel-
qu'un des hasards intérieurs et extérieurs qui doivent
se produire, quelle est la nature précise de l'œuvre
qui va s'accomplir. Mais une première invention
restreint déjà le champ des possibilités, et chaque
nouvelle invention en rétrécit encore l'étendue. Une
idée littéraire peut devenir, je suppose, un drame,
un roman, une étude. Une fois le choix fait, bien
des possibilités disparaissent. Le choix d'un ouvrage,
d'un groupe de personnages pour héros en fait dis-
paraître encore d'autres, car des personnages diffé-
rents auraient pu aussi bien, peut-être, incarner
l'idée principale. Et ainsi de suite, chaque pas en
avant, chaque invention nouvelle précise de plus en
plus la voie à suivre en transformant l'œuvre com-
mencée de façon à diriger toujours avec plus de
netteté les transformations futures.
L'homme se fait lui-même, selon sa nature et
selon les circonstances, comme le poète fait son
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l'acte de volonté 73
poème et le romancier son récit. Lorsqu'il fait un
acte de volonté, et que sous la pression de ses désirs,
et l'influence des circonstances, il choisit tel ou
tel parti plutôt que tel ou tel autre, il se transforme
lui-même, mais aussi il se fixe, et il se ferme
toujours une part de l'horizon. L'homme qui a
pris une profession lorsqu'il pouvait choisir entre
plusieurs renonce à tout ce qu'il aurait pu être en
choisissant les autres. De même celui qui se marie
renonce aux mariages qu'il ne fait pas et qui auraient
Orienté autrement sa vie, développé peut-être dans
un autre sens sa personnalité. On peut dire, à ce
point de vue, que tout développement est une
restriction croissante des virtualités de l'être. Même
un enrichissement de la personnalité en fait est tou-
jours, si l'on y regarde bien, un appauvrissement de
l'idéal, une diminution du champ où peut s'exercer
notre activité.
A chaque nouvel acte de volonté, l'homme se
transforme ainsi et se développe, comme se déve-
loppe un roman à chaque nouvelle invention du
romancier. Si chaque volition ferme un certain nombre
de voies encore ouvertes, elle montre aussi les
ressources les accidents, les bifurcations de celle
où l'on s'est engagé. La décision, une fois prise,
aura des conséquences multiples et compliquées, qui
mettront l'individu en demeure de choisir encore
plusieurs fois par des volitions nouvelles entre les
partis qui se présentent, de se fermer encore et de
s'ouvrir des voies comme il l'a déjà fait. Choisir
une profession c'est se mettre dans l'obligation
d'acquérir une routine nouvelle, et, pour cela, de
Paul h an. 5
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LA VOLONTE
choisir les moyens de l'acquérir. Si l'on veut être
professeur, je suppose on aura le choix entre un cer-
tain nombre de formes d'enseignement. On pourra
hésiter entre les lettres et la grammaire, la philosophie
ou l'histoire, la physique ou les mathématiques. Puis
il faudra choisir entre les moyens d'arriver au profes-
sorat, en passant soit par l'École normale, soit par la
Sorbonne, soit par une Faculté de province, puis on
pourra avoir à choisir un poste, puis il faudra se dé-
cider à faire une thèse, à rechercher une chaire de
Faculté, se résigner à rester dans un lycée de pro-
vince, ou tâcher d'arriver à Paris. Là chaîne ne
finit jamais et chacun de ses anneaux est un poids
de plus. Chacune des décisions que l'on prend suc-
cessivement a toujours quelque chose d'irrévo-
< able, alors même que plus tard, ce qui n'est pas
la règle, elle serait effacée, dans la mesure du pos-
sible par une décision contraire. Et chacune d'entre
elles développe l'esprit dans un certain sens et le
transforme directement ou indirectement, par sa
réalité seule d'abord, et ensuite par ses innombra-
bles conséquences. L'état d'esprit d'un élève de
TEcole normale n'est pas celui d'un élève de la
Sorbonne, l'état d'esprit d'un professeur de Faculté
nVstpas celui d'un professeur de lycée, etc. L'homme
l-sL une sorte d'œuvre d'art qui s'invente elle-même
h mesure qu'elle se fait, et qui d'ailleurs, dans la
plupart des cas, n'arrive qu'à la médiocrité, sinon à
la laideur. Comme le roman est une vie possible et
virtuelle, la vie est une sorte de roman réalisé par
son auteur même, jusqu'à son dénouement par la
mort et même plus loin. Les volontés de nos ancêtres
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L*ÀCTE DE VOLONTÉ *j5
exercent encore, en effet, leur influence sur nous, elles
contribuent à nous former et à restreindre devant nous
le champ des transformations possibles en nous aidant
à réaliser quelques-unes de celles qui restent réali-
sables, et les nôtres pèseront ainsi jusqu'à la fin des
siècles sur la tête de nos descendants.
§ 6. — Formes différentes de la décision.
La décision, comme la délibération, peut prendre
des formes assez différentes selon les cas. Parfois elle
arrive presque sans trouble et sans heurt. L'examen
des motifs a suffi pour donner à l'un d'eux une pré-
pondérance à peu près incontestée. Les autres ont
été affaiblis par la délibération, ils ont contrarié les
idées et les goûts de la personnalité. Un seul s'est
trouvé fortifié, il s'est adapté à l'organisation psycho-
logique et il l'a adaptée à lui, il a été jugé le meilleur.
Dans ces cas-là, la décision tranche à peine sur le
cours habituel de la vie et ne se détache que faiblement
sur l'activité automatique ou suggérée. De cette voli-
tion pâle, effacée, jusqu'à la décision très nette et qui
change brusquement l'orientation de la personnalité,
on trouve tous les degrés et ces degrés correspondent
aux proportions variable de l'automatisme et de la
volonté proprement dite dans notre activité.
Les autres caractères de la décision et ses consé-
quences varient corrélativement, la transformation
de la personnalité, l'inhibition des désirs évincés,
sont plus ou moins marqués selon que la volition
s'éloigne plus ou moins de l'activité spontanée ou
suggérée.
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76 LA VOLONTÉ
§ 7. — L'Exécution.
L'exécution est la conséquence logique de la déci-
sion. Elle est un élément de l'acte de volonté, mais
non un élément aussi essentiel que la délibération et
que la décision. L'acte de volonté ne se distingue
pas aussi nettement de l'automatisme et de la sugges-
tion par l'exécution que par ses deux premières
phases.
On peut même dire que dans l'exécution l'automa-
tisme reprend le dessus. Je veux dire que l'activité
de l'esprit redevient automatique, mais cet automa-
tisme est subordonné à l'acte de volonté, à la déci-
sion et il vient la corroborer.
Que l'on considère, en effet, ce que c'est que
l'exécution, et l'on verra, ou qu'elle est entièrement
automatique, ou suggérée, ou qu'elle comprend de
nouveaux actes de volonté avec délibération et décision.
Une fois que j'ai décidé de sortir de chez moi, je
suppose, le reste s'ensuit à peu près spontanément.
La décision prise, l'esprit est naturellement orienté
vers l'acte, l'état mental dominant tend selon la loi
de l'association systématique, et selon la loi de l'inhi-
bition systématique, à susciter les idées, les impres-
sions, les images, les actes qui s'accordent avec lui,
c'est-à-dire qui le complètent, à refouler les autres
ou à les empêcher de se produire. La décision a
précisément mis l'esprit dans la situation la plus favo-
rable pour que la tendance puisse aboutir sponta-
nément à l'acte et développer toutes ses conséquences.
Alors les idées, les images, les déterminations spon-
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l'acte de volonté 77
tanées qui, pour suivre le même exemple, se ratta-
chent à l'acte de sortir, le préparent ou le compo-
sent, sont successivement et spontanément évoqués.
Sans presque y penser, sans nouvel acte de volonté,
je passe mon pardessus, je mets mon chapeau, je
regarde le temps pour savoir si je dois prendre un
parapluie, j'ouvre la porte, je la referme et je des-
cends mon escalier. Une fois la décision prise, tous
ces phénomènes s'ensuivent automatiquement comme
sa conséquence logique et, je peux le dire, comme sa
conclusion organique.
Mais les choses ne se passent pas toujours aussi
simplement. Il arrive que l'automatisme, encore ici
soit insuffisant. Si j'ai décidé d'écrire un article, par
exemple, sur un sujet, pour lequel je suis déjà à peu
près documenté et préparé, l'exécution ne s'ensuit
pas aussi gisement que si j'ai décidé de faire une
promenade. Sans doute nous retrouvons encore ici
une grande part d'activité automatique. Prendre du
papier, un encrier, tremper une plume dans l'encre,
cela va sans difficulté et sans volition spéciale, mais
ce n'est là qu'une faible partie de l'exécution. Je serai
probablement arrêté plusieurs fois et amené à faire
encore de véritables actes de volonté, pour choisir
entre tel et tel ordre des matières, entre telle et telle
conclusion, pour savoir si je dois développer de pré-
férence telle partie du sujet. Tout cela n'est pas
évidemment purement intellectuel. Il y a là des choix
à faire et des volitions s'imposent. Il se peut aussi
que, ayant décidé, par exemple, de faire une excursion
à tel endroit, j'aie de plus à exercer ma volonté pour
le choix de l'heure, des moyens de transport, des com-
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J
78 LA VOLONTÉ
[KLgQons de voyage, de l'itinéraire, de bien des détails
qui ne sont pas absolument imposés par la volition
primitive.
L'exécution est en ces cas un véritable développe-
ment de l'état primitif, analogue encore au déve-
loppement d'une invention intellectuelle qui s'effectue
psir une série d'opérations analogues à celle qui l'a
inaugurée. Comme une invention se complète par une
^'1 ie d'inventions, une volition s'exécute au moyen
(l'une série d'autres volitions. Bien souvent, une fois
que nous avons pris une décision, pour peu qu'elle
soît importante et compliquée, il nous faut encore de
I ritips en temps vouloir des moyens que l'automatisme
si m il même avec l'aide de l'activité suggérée resterait
impuissant à réaliser.
§ 8. — L'exécution est un signe de la décision.
On peut dire d'ailleurs que l'exécution ainsi
ri imprise est une suite, un développement de la voli-
tion, plutôt qu'elle n'en est un élément ; l'acte de
Milonté peut être considéré comme virtuellement
complet aussitôt la décision prise. La décision à elle
-mie est en un sens la véritable « exécution » puis-
que c'est elle qui transforme l'esprit. Elle est au
moins l'acte initial et décisif de l'exécution. Suppo-
sons que, une fois la décision prise, nous venions à
n lourir subitement, à être frappé de paralysie, à être
mis, pour une raison quelconque, dans l'impossibi-
lité d'agir, nous n'en aurons pas moins « voulu ».
i 1 Voir à ce propos ma Psychologie de l'invention.
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*rp?7,J)$
l'acte de volonté 79
Nous serons, moralement, aussi bien responsables de
notre décision, à la supposer sérieuse, que si nous
avions eu le temps et la possibilité de l'exécuter.
L'exécution complète un système d'idées et de désirs
déjà constitué. C'est la décision qui est le germe dont
le reste doit sortir logiquement par un développement
plus ou moins accidenté et sur lequel vont souvent se
greffer des volitions nouvelles avec leur suite logique.
Ainsi la délibération est surtout une préparation
et l'exécution un complément de l'acte de volonté.
Ce qui constitue la partie essentielle de cet acte c'est la
décision même. Seulement l'exécution est aussi un
signe de l'existence réelle ou tout au moins de la qualité
de la décision sur laquelle on pourrait parfois hésiter.
La volonté, en effet, a ses illusions, comme toute
la vie consciente. Parfois on croit vouloir alors
qu'on n'a qu'une faible velléité, un désir peu persis-
tant dont la première circonstance qui se présentera
va montrer la défaillance. La synthèse volitive est
faible et reste instable, elle ne peut résister à sa réa-
lisation. Cela se voit, par exemple, quand on a pris
une résolution grave, pénible. Souvent les tendances
que la décision a inhibées provisoirement, plus rude-
ment froissées par l'exécution, ife réveillent, se ré-
voltent et déterminent un nouveau changement de
l'orientation de l'esprit. Assez souvent un criminel
s'arrête dans l'exécution d'un crime, un père ou une
mère, après avoir résolu de châtier sévèrement leur
enfant, s'arrêtent dans l'exécution de leur volonté,
malgré toutes les belles assurances qu'ils s'étaient
données à eux-mêmes. Ils se leurraient évidemment
sur la nature et sur l'efficacité de leur décision.
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80 LÀ VOLONTÉ
C'est là un fait très fréquent. Si nous n'interro-
geons pas avec soin notre propre expérience, il nous
est bien difficile de savoir à quoi nous en tenir sur la
solidité de notre vouloir, et généralement on préfère
s'illusionner soi-même, si même on n'a pas besoin
de tromper les autres. Une conscience qui n'est pas
rigoureusement entraînée* à l'examen scientifique voit
dans l'esprit ce qu'elle veut y voir. Constamment
on se trompe sur ses idées, sur ses propres senti-
ments, sur ses volitions mêmes et l'on prend pour
des réalités solides de pâles images construites sou-
vent pour satisfaire A notre désir de nous estimer ou
de nous admirer nous-mêmes, ou pour flatter nos pré-
jugés moraux. Peu d'hommes veulent convenir, même
avec eux-mêmes, de leurs bassesses et de leurs tares, et
beaucoup aiment à se donner l'illusion de beaux sen-
timents absents et d'une volonté qu'ils ne for-
meront jamais sérieusement.
L'exécution, ici, est une assez bonne pierre de
touche. Il ne faut pas non plus s'en exagérer la
valeur : quelquefois elle est le résultat â"une sorte d'en-
traînement, elle ne pourrait plus se faire si l'on
attendait un peu, si l'on laissait à l'esprit le temps
de se reprendre. Mais enfin, elle indique toujours au
moins un certain degré de sincérité et de force %
dans la décision. Celui qui, après avoir délibéré et
décrété, exécute réellement, celui-là a voulu. Peut-
être, s'il s'était laissé le temps de se reprendre avant
d'agir aurait-il reculé et fût-il revenu à ses hésita-
tions, mais enfin, même en ce cas, et en mettant les
choses au pire, l'état d'âme qui a amené la décision et ^
qui s'est ensuite objectivé dans l'acte, était bien un
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8i
état réel, et, dans une certaine mesure, l'expression
réelle et sincère, au moins pour un moment, de la
personnalité.
§ 9. — Les rapports de l'exécution avec V inhibition
et l'association systématique.
Il n'est pas besoin sans doute d'insister longue-
ment, sur ce fait que l'exécution, comme la délibé-
ration et la décision est une application des grandes
lois psychologiques de l'association systématique et
de l'inhibition. Ce que nous avons dit de la décision
pourrait suffire à le montrer puisque la décision est
déjà une exécution et que l'exécution est le dévelop-
pement systématique de la décision.
L'exécution, en effet, c'est d'une part, au point
de vue de l'association systématique, un enchaîne-
ment d'idées secondaires, de sentiments et d'actes en
harmonie avec la décision, formant avec elle un
système d'autant plus rigoureux et mieux enchaîné
que l'exécution est moins imparfaite, assez serré
en bien des cas*, pour que l'ensemble de la décision et
de l'exécution prenne un caractère d'unité frappant
et nous apparaisse comme une seule et même chose.
Au point de vue de l'inhibition systématique,
l'exécution continue la décision, toutes les tendances
qui avaient agité un moment l'esprit et cherché à le
diriger, et qui ont été contrariées par la décision,
momentanément ou définitivement inhibées, conti-
nuent à Fêtre pendant l'exécution si celle-ci se fait
régulièrement. Mais il arrive, comme nous avons eu
déjà l'occasion de le dire, que l'exécution réveille
ces tendances antagonistes, et que celles-ci repren-
5.
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LA VOLONTE
nent la lutte. Elles n'étaient donc pas, en bien des
cas, supprimées, mais simplement assoupies. Elles
restaient virtuellement dans l'esprit, prêtes à se re-
constituer dès que la faiblesse de celles qui l'avaient
momentanément emporté viendrait à le leur permettre.
Nous avons ainsi, semble-t-il, une conception
assez nette de l'acte de volonté avec ses trois phases,
et ses rapports aux grandes lois de l'esprit dont il est
une manifestation assez singulière. Nous avons vu
ce qui le rapproche de l'automatisme et de l'activité
suggérée et nous avons vu aussi ce qui l'en sépare et
fait son originalité. Il nous faut, maintenant, péné-
l rer un peu plus avant dans les détails mêmes du
phénomène, nous en comprendrons mieux la
nature en voyant la place qu'y tient l'activité relati-
vement indépendante des éléments psychiques dont
nous avons surtout examiné jusqu'ici l'activité
coordonnée et régulière et nous différencierons mieux
encore la volonté de l'automatisme et de la sugges-
tion 1 .
i. On peut consulter pour la psychologie de la volonté:
Fouillée, Psychologie des idées forces, tome II, livre vi. Paris.
Alcan, 1893. — Maudsley, Physiologie de l'esprit, ch. vu. Trad,
frunç. de Herzen. Paris, Reinwald, 1879. — Ribot, Maladies de
h Volonté. — Harald HofTding, Esquisse d'une psychologie fondée
mir l'expérience, trad. française de M. L. Poitevin, ch. vu. Paris,
Vlcan, 1900. — Janet (Pierre), Un cas d'aboulie et d'idées fixes,
tn Névroses et idées fixes, tome I. Paris, Alcan, 1898. Spencer (H.),
Principes de psychologie. Trad. franc, de Ribot et Espinas, tome I,
partie IV, ch. ix. Paris, Germer- Baillière, 1874.— Taine (H),
Dr la volonté. Fragments inédits. Revue Philosophique. No-
vembre 1900. — Wundt (W.). Eléments de psychologie physio-
hitjique. Trad. franc, de E. Rouvier, tome II, chap. xx et xxi.
Paris, Alcan, 1886, etc.
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CHAPITRE V
L'ACTE DE VOLONTÉ
II. — LA VOLITION ET L'ACTIVITÉ INDÉPENDANTE
DES ÉLÉMENTS PSYCHIQUES
§ i . — L'activité indépendante des éléments
psychiques.
C'est une idée qui paraît maintenant assez répandue
et que j'ai, je crois, contribué pour ma part à faire
accepter 1 , que les éléments de l'esprit: idées, images,
sentiments, tendances qui peuvent se grouper, s'as-
socier en systèmes complexes, peuvent aussi, dans
certains cas, agir d'une manière indépendante, comme
des individus au sein d'une société qui les emploie
sans se les assimiler entièrement. On voit ainsi, assez
souvent, une idée s'implanter en nous malgré les
efforts que nous faisons pour nous en débarrasser,
un geste nous échapper malgré notre désir, etc. C'est
surtout dans les moments de trouble et de désac-
cord que se manifeste cette activité indépendante des
éléments. Si les systèmes supérieurs qui en règlent
i. Voir mon Activité mentale, i re partie.
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84 LA VOLONTÉ
le jeu se désorganisent ou ne sont pas encore for-
més, les éléments agissent par eux-mêmes, d'une
manière individuelle et pour ainsi dire égoïste, comme
les soldats d'une armée privée de commandement,
et où la discipline ne maintient plus les désirs parti-
culiers de chacun. Aussi est-ce dans les cas de dé-
sorganisation par la ruine d'une grande affection, par
la chute de croyances longtemps dominantes, par la
démence progressive, etc., qu'on peut la remar-
quer, mais c'est aussi dans le cas où l'organisation su-
périeure commence à s'ébaucher, par exemple chez
l'enfant, chez le savant qui tâtonne pour arriver à sa
théorie, chez l'homme religieux qui a perdu sa foi
primitive et qui cherche à la remplacer, chez l'esprit
qui doit agir et que ses tendances ne peuvent décider
aisément à l'acte. C'est dire que l'invention et que
la volonté sont des faits où doit se manifester plus ou
moins cette indépendance des éléments psychiques
dont le rôle est si considérable dans la vie mentale.
C'est une ressemblance de plus et qui dérive de celles
que nous avons déjà reconnues entre elles. Je me
suis occupé de l'invention dans un autre livre et j'ai
tâché d'y montrer le rôle qu'y prenaient l'anarchie
mentale, l'activité indépendante des éléments et le
désordre mental qui en résulte. J'aurai des remarques
analogues à faire ici sur la volonté.
§ 2. — L'activité indépendante des éléments à l'origine
de l'acte de volonté et dans la délibération.
L'activité indépendante des éléments est un mode
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L ACTE DE VOLONTE
85
de fonctionnement de l'esprit tout à fait opposé à
l'activité automatique. Sans doute un élément psy-
chique, une idée, un désir peut fonctionner auto-
matiquement et d'une manière indépendante, mais ce
ce que je veux dire, c'est que ses éléments à lui sont,
en ce cas, rigoureusement enchaînés, subordonnés à
son but général. Dans l'activité automatique, l'indé-
pendance des éléments est en général réduite au mi-
nimum. Dans un réflexe, l'indépendance des éléments
est à peu près nulle, dans l'instinct elle est encore
extrêmement faible, les divers anneaux qui composent
un acte instinctif sont très fortement et rigoureuse-
ment enchaînés entre eux et aucun d'eux n'est mis
indépendamment en activité, relié à d'autres chaînes
qui ne se rattacheraient pas à la première. Au con-
traire quand nous rêvons ou quand nous délibérons,
il existe en général plusieurs idées, plusieurs images,
plusieurs tendances en présence dont chacune, prise
à part, peut bien agir automatiquement mais qui ne
s'unissent pas en un tout unifié et gardent une cer-
taine individualité, une activité indépendante.
C'est ce qui se produit aussi quand nous avons à
faire un acte de volonté. Alors, comme nous l'avons
vu tout à l'heure, une synthèse spontanée des phéno-
mènes psychiques ne peut s'opérer. C'est dire que les
tendances qui sont actuellement en exercice agissent
indépendamment (dans une certaine mesure, bien
entendu), et même l'une contre l'autre, ne s'unissent
pas en un tout unifié. Par exemple si j'hésite entre le
travail et la promenade, les deux tendances qui cor-
respondent aux deux partis à prendre agissent indé-
pendamment l'une de l'autre et même elles agissent
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86
LA VOLONTE
Tune contre l'autre et ne peuvent s'unir pour une un
commune. Chacune d'elles lutte pour la suprématie et
cherche à reconstituer à sa façon l'unité de l'esprit.
C'est cette unité que refera momentanément l'acte
de volonté en subordonnant ou en annihilant pour
un temps quelques-unes des tendances, pendant que
l'autre dominera l'esprit et orientera dans un même
sens toute son activité.
L'activité indépendante des phénomènes est donc
une condition de l'acte de volonté, elle en marque le
point de départ. Elle continue, dans une certaine
mesure, pendant la délibération.
La délibération, en effet, est un tâtonnement. Elle
consiste en ce que les désirs opposés qui sont en jeu
viennent essayer l'un après l'autre de s'harmoniser
avec l'ensemble des tendances qui constitue le moi
ou qui le représente d'une manière plus ou moins
fidèle. En sorte que la délibération nous montre à la
fois l'activité régulière et systématisée du moi qui
choisit, examine et repousse les divers motifs,
Ûtii arrête et critique les divers désirs, et aussi l'acti-
\'\\é indépendante des différents éléments en lutte qui
v îonnent chacun se proposer et tâcher de s'harmoniser
joec le moi aux dépens des autres. Et chaque désir
agit encore d'une manière indépendante en évoquant
les idées, les images, les impressions, les souvenirs
tjui peuvent le renforcer et l'aider à triompher, en
luisant sortir de l'inconscient une multitude de phé-
nomènes capables de le soutenir. Sans doute il arrive
souvent que le moi, l'ensemble de la personnalité
intervienne dans cette recherche des motifs et des con-
séquences mais souvent aussi son rôle est moins
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l'acte de volonté 87
actif, il assiste un peu comme spectateur au dévelop-
pement de chacune des tendances qui cherche à s'a-
dapter à lui et aussi à l'adapter à elle. Nous sommes
même parfois surpris des impressions nouvelles ou
des idées qui sont ainsi évoquées.
Quant à la décision elle est précisément la fin de
cette activité indépendante et non coordonnée des élé-
ments psychiques, auxquels elle a pour principal effet
de substituer une coordination nouvelle en associant
l'un des éléments au moi, en le rattachant étroite-
ment à la personnalité, tandis que l'activité des autres
est rigoureusement inhibée. L'activité indépendante
des éléments cesse donc ici, d'une part parce que l'un
de ces éléments se systématise avec l'ensemble de ten-
dances qui constitue le moi, d'autre part parce que les
autres cessent d'agir. L'activité indépendante disparaît
d'un côté par la fin de l'indépendance et de l'autre par
la fin de l'activité. Tant que je ne suis pas décidé,
je suppose, à changer de genre de vie, de profession,
de lieu d'habitation, mes différents désirs luttent, se
heurtent, se développent chacun pour soi, suscitent
des motifs, évoquent des idées, des impressions, des
sentiments. Ils sont dans une certaine mesure indé-
pendants les uns des autres, mal coordonnés entre
eux et, aussi mal coordonnés avec le moi qui n'a encore
adopté aucun d'eux, et indépendants de lui. Au
moment où la volition se produit, où la nouvelle
synthèse se fixe, l'accord avec le moi est fait, il y a
combinaison, annexion réciproque du moi et de l'élé-
ment choisi, pendant que les autres disparaissent, au
moins pour un temps, de la vie de l'esprit.
La décision est ainsi une combinaison d'un système
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88 LA VOLONTÉ
encore relativement indépendant, l'élément qui l'em-
porte dans la lutte, et d'un système plus fixe de ten-
dances, la personnalité. Ce qui se passe ici est tout à
fait analogue à ce qui se passe dans l'invention, dans
la fixation de la croyance, dans l'attention et aussi
bien d'ailleurs la fixation de la croyance et l'atten-
tion sont, comme la décision prise d'accomplir un
acte, des manifestations de la volonté. Deux idées,
par exemple, sont restées jusqu'ici, dans l'esprit qui
les fait vivre, indépendantes l'une de l'autre, un fait
nouveau, une expérience, une réflexion vient les unir
en les modifiant souvent, c'est une invention. Une
idée est restée longtemps en moi sans que je l'adopte,
sans que je la fasse mienne, je l'ai toujours plus ou
moins tenue à l'écart, puis, un jour, une raison nou-
velle m'arrive d'admettre sa vérité, et la synthèse
s'opère, ma croyance est fixée. Par exemple, j'entends
parler de la théorie de l'évolution, mais cette théorie
me semble invraisemblable, je la repousse, elle reste
isolée dans mon esprit sans pouvoir s'associer systé-
matiquement à mes opinions stables, puis j'étudie un
peu la question, je vois les arguments qu'on donne
pour la défendre, les faits qui viennent l'appuyer.
Peu à peu le doute naît, la délibération commence,
puis à un moment donné, soit par la lutte des an-
ciennes opinions et des nouvelles théories, soit par
l'influence de quelque argument nouveau qui vient se
présenter, mon esprit se fixe. J'adopte la nouvelle
théorie, ma croyance est faite et ma nouvelle opinion
s'est systématiquement associée avec les autres qui se
sont modifiées et ont éliminé quelques-unes d'entre
elles pour la recevoir. De même encore l'attention
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l'acte de volonté 89
fait entrer dans un système d'images, d'idées, de
sentiments une sensation, une idée qui jusque-là res-
tait à l'écart vivant, dans une certaine mesure, de sa
vie propre. Dans la décision volontaire active c'est
l'idée d'un acte ou, plus généralement, d'un état
quelconque qui vient ainsi s'amalgamer à la person-
nalité, se faire recevoir par elle en la modifiant.
§ 3. — L'activité indépendante des éléments dans la
détermination de la décision.
Mais nous retrouvons l'activité indépendante des
éléments dans la manière dont la décision arrive à se
former. Le passage de la délibération à la décision,
cette fusion singulière du motif et de la personnalité
nous en présente de nombreux exemples. C'est se le
représenter d'une manière trop simple et un peu
convenue, que de dire, comme on le fait communé-
ment, que lé moi choisit, parmi les motifs, celui qui
lui convient le mieux. Sans doute il arrive, il peut
arriver que l'opération se réduise presque à cela, et
alors c'est surtout l'activité systématique des ten-
dances dominantes qui se remarque, mais souvent
les choses sont bien plus compliquées et moins régu-
lières. Nous retrouvons presque toujours, quand
l'hésitation dure, une grande complication de phéno-
mènes et l'immixtion de petits éléments psychiques
plus ou moins accidentellement évoqués. Dans la voli-
tion, comme dans l'invention, c'est parfois une cir-
constance en apparence assez insignifiante qui vient
fixer l'orientation et faciliter la synthèse nouvelle.
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90 LA VOLONTÉ
Une excitation quelconque peut favoriser l'invention.
Quelquefois c'est une excitation spécialisée et qui peut
entrer dans le nouveau système, c'est, par exemple,
la lecture du traité de Malthus, les idées de l'écono-
miste anglais arrivant à l'esprit de Darwin et venant
précipiter la formation de la théorie de la sélection na-
turelle, c'est aussi parfois une excitation générale et
diffuse, sans rapport bien étroit avec l'invention qu'elle
détermine: la musique qui fait penser trop fortement
Darwin à l'objet de ses études, un vin grec inspirant une
mélodie à M. Massenet, un bain forcé faisant trouvera
Berlioz une mélodie longtemps cherchée. Les choses se
passent de même pour la volonté.
A côté des motifs logiques qui déterminent nos
volitions, il y a ce qu'on pourrait appeler des exci-
tants illogiques ou alogiques. Un verre de vin, une
cigarette peuvent, par exemple, hâter une décision,
dans un sens ou dans l'autre selon le moment. Sou-
vent un petit détail assez insignifiant vient jouer
ce rôle de l'excitant nécessaire, assez semblable, mal-
gré l'illogisme relatif de l'opération, à celui de la
mineure du syllogisme. Il vient en effet unir indissolu-
blement une des tendances avec la personnalité même
comme la mineure dans un syllogisme vient rattacher
la majeure et la conclusion.
Les faits de ce genre sont de tous les jours: on n'en
trouve guère la narration dans les traités scientifiques,
parce que ce sont des faits qu'on observe dans la vie
ordinaire bien plus que dans les laboratoires ou les
hôpitaux, mais chacun a pu les remarquer. Les ro-
manciers, surtout depuis un demi-siècle peut-être,
les ont bien souvent décrits. On en trouverait beaucoup
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L ACTE DE VOLONTE <) 1
dans Flaubert. Je rappelle, par exemple, le cas de
M me Bovary décidée à l'adultère par l'idée de revêtir,
pour ses promenades à cheval, un costume d'ama-
zone.
Ce petit motif qui détermine la volition et qu'on
peut comparer au petit cristal qui détermine la pré-
cipitation d'une solution sursaturée, est bien cu-
rieux. Souvent il agit quand les plus graves raîeoaa
sont restées impuissantes à vaincre l'inertie de l'esprit,
Ce serait une vue un peu simple encore que de le pan i
parer au poids très léger qui vient faire pencher ht
balance. Les choses ne se passent pas tout à fait ainsi.
Le petit motif n'agit pas toujours seulement en s'ajou-
ta nt aux autres, et bien souvent même, quand c'est,
par exemple, une excitation diffuse comme celle de la
musique ou d'un verre de vin qui détermine un acte,
la comparaison n'aurait guère de sens. Le petit motif
opère dans l'esprit une sorte de déclenchement, il
détourne l'attention et, supprime ainsi l'inhibition
qui arrêtait jusque-là le triomphe d'une tendanre*
Parfois aussi l'esprit, épuisé par une longue délibé-
ration, reste insensible aux raisons trop souvent en-
visagées, aux sentiments trop souvent évoqués. Tout
lui devient indifférent. Dans cet état, parfois une
impression presque insignifiante, mais qui n'a point
encore été excitée, apparaît avec une fraîcheur, avec
une vivacité extraordinaires et si elle est spécialement
en harmonie avec une des tendances qui ont vaine-
ment lutté jusqu'ici, elle peut fixer immédiatement
dans le sens de cette tendance l'orientation de l'esprit.
Il n'est pas impossible que l'idée d'essayer un para-
pluie neuf détermine un homme raisonnable à faire
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92 LA VOLONTÉ
une visite qui l'ennuie. Au reste c'est un fait assez
habituel que les motifs n'ont pas du tout en ce qui
concerne leur action sur la volonté une importance,
proportionnée à la profondeur et à la solidité des
tendances auxquelles ils se rattachent. Un désir pas-
sager, qui sera bientôt oublié, est parfois assez vif
pour faire échec à de vieilles et toujours fortes habi-
tudes, pour l'emporter sur la personnalité elle-même.
Il est assez ordinaire de constater les regrets ou les re-
mords qui suivent ce genre d'action. Des faits de cet
ordre, qu'on pourrait multiplier, témoignent d'un
manque de coordination de l'esprit, c'est-à-dire qu'ils
montrent l'activité relativement indépendante des élé-
ments. On voit que ce mode d'activité intervient tou-
jours dans la formation de l'acte volontaire quand
l'activité volontaire n'est pas parfaitement régulière.
C'est dire que tel est le cas général, car le propre
de l'activité volontaire est de n'être pas, en général,
parfaitement régulière, et c'est en partie par là qu'elle
se distingue de l'activité automatique. Le caractère
de nouveauté de la synthèse volontaire implique à
peu près forcément quelque désordre et quelque activité
indépendante des éléments, pour les mêmes raisons
que le caractère de nouveauté de la synthèse inven-
tive.
§ 4. — L'activité indépendante des éléments
et l'exécution.
Dans l'exécution le rôle de l'activité indépendante
des phénomènes peut être réduit, car l'exécution
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9 3
doit être une suite logique de la décision et comporte
une large part d'automatisme. Souvent même le
principal effet de la décision est de préparer une
série d'actes automatiques. Si je me décide à sortir et
à marcher, par exemple, l'automatisme dont le rôle
a été faible pendant la décision prend, au contraire,
un rôle prépondérant dans l'exécution, surtout s'il
s'agit de refaire une marche déjà faite bien souvent.
Mais souvent aussi l'activité indépendante des phé-
nomènes se manifeste encore çà et là, l'automatisme,
en effet, n'est jamais absolument parfait, et, en cer-
tains cas, de nouveaux actes de volonté sont nécessaires
pour l'exécution d'une volition précédente. Nous re-
trouvons en ce cas les mêmes phénomènes que pré-
cédemment.
En somme, l'état d'indépendance des éléments cor-
respond à peu près et à certains égards à ce qu'il y a
de volontaire dans notre activité, et au contraire l'état
de systématisation avancée, de coordination parfaite
correspond à ce qui s'y trouve d'automatique et de
spontané. Comme les deux choses se mêlent constam-
ment et que surtout il n'y a pas de volonté sans
quelque automatisme, il faut s'attendre à trouver par-
tout le jeu coordonné des éléments et aussi quelques
imperfections de ce jeu et une certaine indépendance
des idées et des désirs. Et c'est bien en effet ce que
l'expérience nous paraît montrer autant que nous
pouvons nous en rendre compte.
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CHAPITRE VI
L'ÉVOLUTION DE LA VOLONTÉ,
DES CAPRICES OU POUVOIR PERSONNEL
I. — LES CAPRICES
Ainsi la volonté comporte deux conditions essen-
r îi Iles : une activité régulière, systématisante, harmo-
nieuse et aussi un certain jeu relativement indépen-
dant des éléments psychiques. Si la systématisation
si iapproche de la perfection, l'activité se rapproche
tin l'automatisme, mais si le jeu indépendant des
éléments psychiques l'emporte, l'activité tend vers
une incohérence absolue qui diffère autant que l'auto-
matisme le plus net de ce que nous entendons
par volonté. De l'un de ces extrêmes à l'autre
nous trouvons une immense quantité de formes
variables de l'acte volontaire et si nous suivons la
s('iie, nous voyons se former ce qu'on a appelé
jadis le pouvoir personnel, la puissance coordonnée
vi coordonnatrice de la volonté, de la personnalité
agitante. Nous allons voir ces formes diverses de
la volonté, et cette création progressive du pouvoir
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l'évolution de la volonté 95
personnel, que Ton a peut-être un peu trop confondu
jadis avec la volonté même.
§ 2. — Le caprice. Sa nature.
Au plus bas degré nous trouvons une activité no-
toirement incoordonnée, constituée par des actes
incohérents; ce que M. Ribot a appelé le règne des
caprices. Le caprice est un acte de volonté assez im-
parfait. L'une des phases principales de la volition,
c'est la délibération que je veux dire, y est, sinon
complètement supprimée, au moins singulièrement
écourtée. La décision au contraire, et c'est une con-
séquence naturelle de l'affaiblissement de la délibé-
ration, si ce n'en est pas la cause, y est prompte et
vive et souvent aussi très nette. L'exécution n'est
pas toujours parfaite et s'arrête parfois avant d'être
achevée.
A mon avis, l'étude du caprice est très importante
et le caprice est un élément considérable dans l'évolu-
tion de la volonté. Nous y retrouvons, à un très haut
degré, quelques-unes des conditions qui caractérisent
l'acte volontaire, et le grossissement, l'exagération
même de ces conditions nous permet de les mieux
comprendre et de les étudier plus aisément.
Le caprice est une sorte d'impulsion consciente,
qui n'aboutit pas à l'acte sans quelque lutte plus ou
moins visible. L'impulsion contrarie toujours, ici,
quelques tendances importantes. Visiblement, et c'est
1. Voir Ribot: Maladies de la volonté.
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96 LA VOLONTÉ
un des caractères du caprice, elle n'est pas coordon-
née avec l'ensemble des désirs. Elle est l'activité
propre d'une tendance, activité assez forte pour se
faire sentir très vivement et pour aboutir assez sou-
vent à l'acte, mais trop peu importante pour déter-
miner une orientation complète et durable de la per-
sonnalité.
C'est à cause de ce désaccord que le caprice s'op-
pose à l'activité automatique. Sans doute il suppose
tout d'abord une certaine activité automatique de la
tendance qui le produit, mais cette activité ne peut pas
se satisfaire automatiquement parce qu'elle n'est pas
coordonnée avec celle de l'ensemble des tendances.
C'est ce manque de coordination qu'on fait ressortir
quand on oppose le caprice à la raison. Ce que l'on
trouve « raisonnable » étant précisément ce qui est
en harmonie avec l'ensemble des tendances ou avec
quelques-unes d'entre elles prises comme symboles
de l'ensemble. C'est un caprice, par exemple, que
le désir d'une friandise qui risque de fatiguer l'es-
tomac, d'une promenade par un temps humide si
l'on est de santé délicate. Dans tous ces cas on
voit sans difficulté l'impulsion produite par une
tendance et son désaccord avec les principales ten-
dances de l'organisme et de l'esprit. Ce n'est pas un
caprice que d'avoir envie de manger quand vient
l'heure du déjeuner ou de sortir pour prendre l'air
quand le temps çst beau.
Cette incoordination des tendances qui est, nous
l'avons vu, une des conditions de la volonté, est
aussi une des conditions du caprice. Cela suffit à
rapprocher ces deux faits. L'activité capricieuse peut
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l'évolution de là volonté 97
ressembler encore à l'activité volontaire par d'autres
côtés. Je ne parle pas du fait même de l'impulsion
qui est, évidemment, un des éléments essentiels du
caprice et de la volition, mais qui, sous diverses
formes plus ou moins conscientes, est également un
élément essentiel de l'activité automatique et de
l'activité suggérée, et, même de l'activité en gé-
néral.
Le caprice peut avoir, comme l'acte de volonté, un
caractère .de nouveauté. Il l'a même 'd'une manière
générale, à la condition de bien s'entendre sur lé mot
et d'en étendre un peu le sens. Le caprice ne porte
pas toujours sur un acte qui n'ait jamais été accom-
pli, pas plus d'ailleurs que la volonté, mais comme
la volonté, il le fait accomplir dans des circon-
stances différentes, dans des conditions nouvelles. Un
caprice a facilement quelque chose d'imprévu, de
bizarre, d'extraordinaire. Dès qu'il se répète trop et
dans les mêmes circonstances ce n'est plus précisé-
ment un caprice, c'est une routine vicieuse, une
sorte de manie. Comme la volonté, le caprice rompt
l'automatisme régulier des tendances et comme elle
aussi il diffère quelque peu de l'activité suggérée,
quoiqu'il doive conserver toujours quelque part d'auto-
, matisme et qu'il puisse devoir beaucoup à la sugges-
tion. Gomme la volonté il est une synthèse assez ori-
ginale, et comme elle encore, on peut le rapprocher de
l'invention intellectuelle dans ses formes inférieures.
Gela est si vrai que l'on se sert également bien du
mot caprice pour désigner les fantaisies de la volonté
et celles de l'intelligence. On parle couramment des
« caprices de l'imagination » et, en effet, les divaga-
Pauluan. 6
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yS LA VOLONTÉ
lions plus ou moins neuves, les idées qui jaillissent à
["improviste dans l'esprit et qui ne se développent pas,
k-s images, sans rapports bien logiques avec nos préoc-
cupations générales qui viennent assaillir l'esprit,
l'amuser un moment et parfois le distraire de sa tâche
sont tout à fait analogues aux désirs subits qui vien-
nent modifier notre conduite, inspirer tout à coup des
m tes peu importants en général, mais surtout peu
raisonnables et assez mal harmonisés avec l'ensemble
<le notre conduite et de nos tendances, avec les désirs
fi mdamentaux de la vie organique et de la vie men-
tale.
S 3 ■ • — Le caprice et les trois phases de la volonté.
Enfin on peut retrouver avec quelques modifica-
tions, dans le caprice, les trois moments de la vô-
li raté. Celui qui y est le plus modifié, la délibération,
n'y disparaît pas entièrement. Il en reste au moins
tins traces, des rudiments, insuffisants sans doute
pour garder le nom de délibération — car les noms
t lu délibération et de caprice s'associent assez mal
Pli vérité — mais dont nous pouvons cependant
reconnaître la nature.
La phase de la délibération est représentée, dans
Le* caprice, par l'hésitation, assez fréquente dans l'ac-
I i vite capricieuse. Le désir qui naît ne se satisfait
pas toujours sans éveiller quelques scrupules, sans
( ►mvoquer quelques combats, Assez fréquemment il
n Yst pas satisfait du premier coup, il éprouve un
Lorlain retard dû précisément à ce qu'il choque les
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l'évolution de la volonté 99
idées admises et les tendances dominantes. Les
inconvénients qu'il peut y avoir à lui céder se pré-
sentent à l'esprit, et parfois avec assez de vivacité.
Mais, en ce cas, il ne se produit pas normalement un
examen approfondi et méthodique, c'est plutôt une
suite rapide de pensées différentes et opposées, une
oscillation de l'esprit entre deux attitudes incom-
patibles. Il va et vient de l'une à l'autre et finit
par se fixer brusquement sans avoir jamais com-
paré les deux avec beaucoup de soin et pesé avec
précaution leurs inconvénients et leurs avantages res-
pectifs.
Parfois aussi la phase délibérative est bien moins
marquée encore. Cette oscillation de l'esprit, cette
lutte entre le caprice et la raison est moins visible.
La délibération n'est plus qu'un léger arrêt dans la
satisfaction du désir, une hésitation irraisonnée et à
peine perceptible, l'apparition dans la conscience
d'une idée vague et d'un sentiment confus représen-
tant la protestation des tendances qui s'effacent
devant le désir vif et passager qui les inhibe momen-
tanément.
Si l'on diminue encore leur résistatnce, il ne
reste plus qu'un phénomène assez singulier. La pro-
testation est remplacée par une augmentation du
plaisir avec lequel se satisfait le caprice. Ce plaisir
prend une saveur spéciale, une vivacité remarquable
précisément parce que le désir qui se satisfait est
vaguement combattu et que l'automatisme régulier
n'est pas tout à fait établi. Le fonctionnement par-
faitement coordonné des tendances ne s'accompa-
gnerait d'aucune conscience, la connaissance d'abord,
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IOO LA VOLONTÉ
puis le plaisir, puis la douleur sont en général les
symptômes d'une activité toujours plus difficile. Nous
respirons sans y prendre garde quand nous respirons
librement. Nous remarquons une fonction si, quoi-
qu'elle s'accomplisse assez bien, elle est cependant un
peu gênée. Si notre activité en s'exerçant triomphe
facilement de quelques obstacles nous éprouvons du
plaisir, si elle triomphe moins aisément, ou si elle
est arrêtée, de la gêne ou de la douleur. Tout ceci
est schématique et comporte bien des nuances et des
réserves mais cela est exact en gros. On sait bien,
c'est une observation courante et mille fois notée,
qu'un léger arrêt, une légère contrariété de la tendance
augmente le plaisir que cause sa satisfaction. Je rap-
pelle seulement le « doux nenni avec un doux sou-
rire » demandé par Clément Marot, et le mot de
la dame qui regrettait qu'il n'y eût pas de péché
mortel à prendre du chocolat.
Ainsi cet arrêt de tendance qui se manifeste par
la délibération dans le cas de volonté réfléchie se tra-
duit ici par le plaisir qu'on éprouve à satisfaire un
caprice, plaisir plus vif, en certains cas, que celui
que donne l'activité « raisonnable». Ce plaisir est le
remplaçant, le succédané de la délibération. Il peut
lui-même être remplacé simplement par la conscience
du désir et de sa satisfaction, au delà, si le désir se
satisfait sans plaisir apparent et même sans con-
science nette, on retombe dans l'activité automa-
tique.
Ainsi, l'épreuve des sentiments actuels par les
tendances et les idées acquises est réduite dans le
caprice à une sorte de minimum. Cela rend la déci-
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L ÉVOLUTION DE LA VOLONTE IOI
sion plus prompte, plus brusque. Avec quelques dif-
férences elle est semblable à celle de la volonté
réfléchie. Elle constitue comme celle-ci un change-
ment d'orientation de l'âme, la fixation de l'esprit
dans une attitude nouvelle. Elle aussi transforme
l'esprit dans une certaine mesure, et à certains
égards.
Mais l'importance de la décision est ici relativement
assez faible. Le caprice est un désir qui générale-
ment ne joue pas dans la vie normale un rôle pré-
pondérant. Aussi la décision, plus prompte, a-t-elle
moins d'ampleur, elle n'est qu'une création assez se-
condaire, une transformation de l'esprit assez peu
grave dans la plupart des cas, et parfois insigni-
fiante. L'unité nouvelle qu'elle accomplit manque de
profondeur et de solidité et quoiqu'elle possède
plusieurs des caractères essentiels de l'unité produite
par l'activité volontaire, elle les possède à un degré
assez faible pour en paraître parfois une caricature
plutôt qu'une reproduction.
Même observation à faire à propos de l'exécution.
Elle suit généralement de très près la décision.
Celle-ci n'a pas, en ce cas, d'influence à longue
portée. Il faut qu'elle dirige immédiatement la con-
duite, et que le désir soit satisfait sans retard. Sou-
vent si quelque circonstance vient empêcher l'exé-
cution, même de façon à la retarder simplement,
elle ne s'accomplit jamais. Le désir disparaît, la
décision demeure inactive, non-avenue. Mais les
caractères généraux de la délibération sont bien ici
tels que nous les avons vus dans l'acte de volonté en
général.
6.
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102 LA VOLONTE
§ 4- — Différences de la volition et du caprice.
Le caprice et la personnalité.
L'analyse qui précède suffit déjà à montrer ce
qu'est le caprice par rapport à la volonté réfléchie.
Les principales différences qui existent entre eux,
dérivent des relations du caprice d'une part et de la
volonté réfléchie de l'autre avec la personnalité. La
volonté réfléchie est le produit, l'expression de la
personnalité prise dans son ensemble, ou tout au
moins, d'une grande partie de la personnalité. Le
caprice, au contraire, n'est que l'expression d'un
très petit élément du moi, d'une tendance parfois
accidentelle et souvent peu solide et peu durable. Il
n'est pas en relation systématique régulière avec un
grand ensemble de tendances, et, au contraire, il est
un élément relativement indépendant.
Si ce qu'on prend pour un caprice se rattache, ce
qui arrive, à des tendances puissantes, c'est alors au
mode d'association des tendances qu'est due l'apparence
capricieuse des désirs. Certaines personnes paraissent
agir par caprice même lorsqu'elles sont raisonnables,
parce que leur activité est irrégulière, parce que
leurs tendances, au lieu de se satisfaire harmonieu-
sement, se satisfont par saccades. Ces personnes pas-
sent aisément d'un extrême à l'autre, du repos
excessif à l'activité fébrile, de l'affection expansive à
l'indifférence affectée, etc. Elles se rattachent sou-
vent au type de contraste 1 . L'équilibre chez elles ne
1. On peut voir, à ce sujet, mes Caractères. a e éd. Paris,
Alcan, 190a.
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l'évolution de la. volonté io3
résulte pas de la régularité de l'activité, mais plutôt
d'excès successifs en sens inverse. Dans ces condi-
tions la volonté peut prendre l'apparence du caprice
même lorsqu'elle répond à des désirs puissants et à
des conditions importantes de la vie. (On pourrait
étudier à ce point de vue la conduite de Musset.)
L'activité devient alors une véritable activité volon-
taire, et c'est surtout la forme, non les caractères
essentiels du caprice qu'elle conserve.
Mais si nous ne considérons que le caprice vrai
nous pouvons retenir qu'il diffère de la volonté réflé-
chie en ce qu'il n'est pas comme celle-ci l'expression
de la personnalité. Toutes les autres différences déri-
vent plus ou moins directement et plus ou moins
simplement de celle-là. Le caprice est l'expression
d'un élément psychique qui agit pour lui-même
d'une manière relativement indépendante. Il arrive
souvent à ses fins malgré l'opposition des autres
tendances, mais grâce aussi évidemment au concours
de quelques-unes, car il ne faut pas exagérer son iso-
lement dans le moi, isolement qui n'est jamais com-
plet. La personnalité dans ce cas se subordonne à une
partie très peu importante d'elle-même, elle se laisse
diriger, elle se laisse momentanément représenter par
cette partie.
Il n'en est plus de même dans le cas de la volonté
réfléchie. Ici c'est au contraire le moi qui dirige les
tendances inférieures au lieu de se laisser absorber
par elles, c'est l'ensemble qui détermine l'orientation
de la conduite et qui dirige les éléments au lieu de
se laisser diriger par un d'entre eux.
C'est à cette forme d'activité que l'on réserve
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104 LA. VOLONTÉ
assez généralement le nom de volonté. On oppose la
force de la volonté aux caprices et l'homme qui se
laisse diriger par ses caprices passe généralement
pour n'être doué que d'une faible volonté. Cette
manière de parler n'est pas sans exactitude. Un
homme, pris dans son ensemble, considéré dans sa
personnalité synthétique, n'a évidemment qu'une
volonté assez faible s'il ne peut pas coordonner et au
besoin réduire les impulsions qui naissent en lui,
mais si l'ensemble est faible, les éléments peuvent
être vigoureux et vouloir mieux que lui-même.
On peut dire, en effet, qu'il y a en nous, non pas
une volonté, mais des volontés comme il y a des
mémoires, des intelligences et des sensibilités. C'est
au moins un cas fréquent, et sous sa forme absolue
l'unité de la volonté n'est jamais atteinte, pas plus
que l'unité de la personnalité dont elle serait l'ex-
pression, pas plus que l'unité de la mémoire, de
l'intelligence ou de la sensibilité.
Le caprice marque l'état le plus diviséde la volonté,
ou, du moins, l'un des plus divisés, car on pourrait
descendre encore plus bas, seulement les phéno-
mènes d'activité qu'on observerait alors mériteraient
moins encore le nom de volonté.
§ 5. — La part de la personnalité dans le caprice.
Au contraire, on peut encore, en s'en tendant
bien, conserver ce nom au caprice. Nous avons vu
que les caractères généraux de la volonté, tels que
nous les avons reconnus, y sont encore assez appa-
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l'évolution de la volonté io5
rents. Il nous reste à y examiner d'un peu plus près
le rôle de la personnalité.
Ce rôle est assez effacé et j'ai tâché de le montrer
tout à l'heure. Il n'est pas nul cependant. La per-
sonnalité ne domine pas, dans l'évolution, ordinaire-
ment courte, du caprice, mais elle n'est pas tout à
fait absente, elle ne saurait l'être. Quand nous avons
obéi à une impulsion passagère, quand nous l'avons
laissée aboutir à un acte que de sérieuses raisons
auraient pu nous empêcher de commettre, c'est bien
dans une certaine mesure, nous, qui l'avons au moins
laiss4 faire et qui souvent même y avons pris plaisir.
Notre moi tel qu'il est ordinairement constitué s'est
laissé diriger exactement comme une assemblée
obéit parfois, par une sorte de surprise, à un ora-
teur dont elle ne partage pas les opinions mais
qui l'a momentanément subjuguée par son élo-
quence, par la force de sa croyance et la vivacité de
ses expressions. Et ce qu'elle fera dans de tels mo-
ments sera l'œuvre du meneur bien plutôt que la
science propre, cependant il serait inexact de dire
qu'elle y reste absolument étrangère. Ce n'est qu'en
prenant sa force, en empruntant, pour ainsi dire,
son esprit et son corps que le meneur a pu aboutir
à quelque chose, et comme une assemblée entière
n'est jamais absolument et pour tout de l'avis de
celui qui parle, il n'y a qu'une différence de degré
entre les cas où ce désaccord est à son maximum et
celui où il est à son minimum, entre les cas où dans
l'action de l'ensemble c'est l'influence individuelle
d'un meneur, d'un élément de l'ensemble qui se ma-
nifeste, et ceux où c'est l'influence de plusieurs élé-
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106 LA VOLONTÉ
ment s, «l'un groupe de membres de plus en plus im-
portant, enfin de tous ou de presque tous.
Kl rie même il n'y a que des différences de degrés
entre le caprice et la volonté réfléchie et l'on trouve-
rail en Ire les deux bouts de la série qui va de celle-
ri à celui-là une infinité de termes intermédiaires.
De T indépendance des éléments aussi grande que le
comporte la continuation de la vie psychique à la
systématisation aussi serrée que le permet l'imper-
fection do notre monde ou peut-être même la nature
essentielle des choses, on peut passer à des groupe-
ment de plus en plus considérables, et ces groupe-
ments peuvent s'unir en systèmes de plus en plus
larges pour arriver à la volonté qui est l'expression
d'une personnalité maîtresse d'elle-même et de ses
éléments.
g 6 , — Le caprice comme forme « élémentaire »
de la volonté.
Ainsi, le caprice nous apparaît comme la forme
« élémentaire » de la volonté, comme la volonté des
éléments de l'esprit, plutôt que de l'esprit même.
[1 Suppose, donc, en un sens, à la volonté si l'on
ne vàtil parler que de la volonté réfléchie, mais il s'op-
pose h celle-ci, comme une espèce d'un genre
s'oppose i\ une autre, et ce genre commun ne peut
guère être désigné, par opposition à l'automatisme
et h la suggestion que par le nom de volonté. C'est
dire que la volonté n'implique pas toujours la for-
mai inn «Tune personnalité bien unifiée, ou plutôt la
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L ÉVOLUTION DE LA VOLONTÉ 107
volonté n'existe que pour les ensembles, éléments,
tendances, personnalités, qui sont déjà solidement
organisés. Si la personnalité elle-même est bien orga-
nisée, la volonté sera l'expression de la personnalité
entière, si quelques tendances seulement sont très
bien organisées, ce sont ces tendances-là qui vou-
dront, et si rien n'est bien solidement organisé dans
l'esprit, ce sont les éléments, des tendances secon-
daires, des désirs subits et passagers qui montreront
à leur tour de la volonté. Jusqu'à un certain point
la volonté est proportionnelle à l'organisation, elle
en est l'expression, elle en montre précisément la
nature et le degré.
La première proposition n'est vraie qu'avec la res-
triction que j'indique, car l'automatisme indique —
toutes choses égales d'ailleurs — une organisation
encore supérieure à celle de la volonté. Mais la vo-
lonté implique déjà une organisation assez avancée.
L'activité capricieuse, quand elle se généralise,
correspond à cet état de l'esprit où les grandes coordi-
nations ne sont pas encore faites ou ont déjà dis-
paru, mais où les éléments conservent, ou ont déjà
acquis une assez bonne organisation, suffisante au
moins pour diriger un moment l'activité, quoique
parfois assez faible encore si on la compare aux
tendances tenaces et fortes que montrent certains
esprits.
§ 7. — Le caprice et ses formes pathologiques.
Nous prendrons une idée des formes inférieures
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îo8 LA VOLONTÉ
de la volonté et des types psychologiques que déter-
mine leur prépondérance par l'examen de certains cas
pathologiques. Les hystériques ont été souvent citées
comme exemple d'incohérence mentale et les auteurs
semblent bien s'entendre sur les faits eux-mêmes,
sinon toujours sur leur interprétation. Legr\nd du
Saulle montre les hystériques s'abandonnant à des
impulsions de nature très différente selon les cas,
mais ne montrant toujours qu'une activité variable,
capricieuse, « élémentaire », sans suite et sans pro-
fondeur, qu'elle simule la vertu ou le vice. « Qu'une
famille soit frappée dans son honneur, dans ses
espérances les mieux fondées, dans sa fortune,
dans son repos et dans son bonheur, et l'hys-
térique charitable, en pénétrant dans le milieu
désolé, aura des élans surprenants et des sponta-
néités émouvantes. Elle pleurera avec celui-ci,
séchera les larmes de celui-là, réconfortera les plus
accablés, ouvrira des horizons inattendus à tout le
monde. A la façon d'un apôtre elle pare d'autant
mieux aux douleurs d'autrui que ces douleurs sont
plus poignantes. Vienne le calme et elle s'éteindra
presque aussitôt. Essentiellement mobile et paroX
mystique, elle n'est point bienfaisante à froid. La
vertu véritable se reconnaît, au contraire, à des
signes absolument opposés à ceux qui viennent d'être
décrits. Le diagnostic différentiel est facile à établir.
« L'hystérique charitable est susceptible d'accom-
plir des traits de courage qui sont cités et répétés et
qui deviennent même légendaires. Qu'un incendie
éclate et elle pourra faire preuve d'une présence d'es-
prit tout à fait supérieure, donnera des conseils
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L
l'évolution de la volonté 109
excellents, fera mettre à l'abri les objets mobiliers et
les bestiaux, ou se précipitera au milieu des flammes
pour sauver un infirme, un vieillard ou un enfant.
Qu'une insurrection se lève et attaque un édifice
communal ou une caisse publique, et une névropa-
the, dans un élan tout pathologique, en imposera,
les armes à la main, à une troupe de révoltés. Cela
s'est vu. Que des inondations surprennent tout à
coup une localité, et une femme pourra déployer la
bravoure la plus secourable.
« Au lendemain de l'incendie, de l'insurrection ou
de l'inondation, si l'on examine et si l'on interroge
ces héroïnes, on les trouve complètement accablées 3jj
et quelques-unes disent avec candeur : « Je ne
sais pas ce que j'ai fait, je n'ai pas eu conscience du
danger. »
Même absence de sérieux dans le vice, Nulle part
on ne voit la volonté réfléchie et la coordination
complexe des tendances, la profondeur des désirs,
c'est-à-dire leur durable et solide attache à la person-
nalité entière. «... L'hystérique peut spontanément
présenter une surexcitation des organes génitaux qui
la pousse à rechercher les rapports sexuels. Mais le
fait est beaucoup moins fréquent qu'on ne l'a cru, il
ne faut pas l'oublier. D'ailleurs, dans ce cas, les appé-
tits sensuels ne sont jamais aussi impérieux que dans
la nymphomanie vraie. Nous dirons volontiers qu'il
s'agit là d'une pseudo-nymphomanie, mobile dans
ses désirs et ses penchants comme elle l'est dans ses
goûts, ses affections et son humeur. L'hystérique se
jettera aujourd'hui dans les bras d'un amant, avec la
même ardeur, souvent plus apparente que réelle,
Paulhan. 7
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à
ÎIO LA VOLONTÉ
qu'elle mettra demain à s'abîmer dans la contempla-
tion, la mélancolie ou la prière ; mais comme tout
est différent ici de cette fixité d'idées, de cette conti-
nuelle obsession des mêmes désirs impérieux et
ardents qui caractérisent le délire systématisé de la
nymphomanie 1 ! »
Et j'emprunte aussi à M. Ribot quelques lignes
où le genre de vouloir des hystériques, le « règne des
caprices », comme dit M. Ribot, est très nettement
décrit. Elles sont « tour à tour douces et empor-
tées, ditMoREAu (de Tours), bienfaisantes et cruelles,
impressionnables à l'excès, rarement maîtresses de
leur premier mouvement, incapables de résister à des
impulsions de la nature la plus opposée, présentant
un défaut d'équilibre entre les facultés morales supé-
rieures, la volonté, la conscience, et les facultés
inférieures, instincts, passions et désirs.
« Cette extrême mobilité dans leur état d'esprit et
leurs dispositions affectives, cette instabilité de leur
caractère, ce défaut de fixité, cette absence de stabi-
lité dans leurs idées et leurs volitions, rendent compte
de l'impossibilité où elles se trouvent de porter long-
temps leur attention sur une lecture, une étude ou
un travail quelconque.
« Tous ces changements se reproduisent avec la
plus grande rapidité. Chez elles, les impulsions ne
sont pas, comme chez les épileptiques, privées abso-
lument du contrôle de l'intelligence ; mais elles sont
vivement suivies de l'acte. C'est ce qui explique ces
i. Legrand du Saulle, Les Hystériques. Paris, J.-B. Baillière,
i883.
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l'évolution de la volonté
îlt
mouvements subits de colère et d'indignation, ces
enthousiasmes irréfléchis, ces affolements de déses-
poir, ces explosions de gaieté folle, ces grands élans
d'affection, ces attendrissements rapides, ou ces brus-
ques emportements pendant lesquels, agissant comme
des enfants gâtés, elles trépignent du pied, brisent les
meubles, éprouvent un besoin irrésistible de frapper.
« Les hystériques s'agitent, et les passions les
mènent. Toutes les diverses modalités de leur carac-
tère, de leur état mental, peuvent presque se résumer
dans ces mots : elles ne savent pas, elles ne peuvent
pas, elles ne veulent pas vouloir. C'est bien, en
effet, parce que leur volonté est toujours chance-
lante et défaillante, c'est parce qu'elle est sans cesse
dans un état d'équilibre instable, c'est parce qu'elle
tourne au moindre vent comme la girouette sur nos
toits, c'est pour toutes ces raisons que les hystéri-
ques ont cette mobilité, cette inconsistance et cette
mutabilité dans leurs désirs, dans leurs idées et leurs
affections i . »
M. Ribot, commentant cette description, ajoute
que dans cet état mental, « il n'y a plus que des
caprices, tout au plus des velléités, une ébauche in-
forme de volition * ». Cela est très vrai si l'on
considère l'individu dans son ensemble. On ne trouve
plus, ici, cette unité de la personnalité qui fait de la
volonté l'expression d'un moi solide et permanent.
Celle-ci n'est plus guère que le résultat et le signe de
i. Axenfeld et Huchard, Traité des névroses, 2 e édition, i883,
p. 958-971. Cité par Th. Ribot, Les Maladies de la volonté,
p. Ii4-n5.
a. Ribot, ouvr. cité, p. 117.
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IÎ2 LA VOLONTE
l'activité indépendante d'éléments psychiques, de
désirs et d'idées variables et mouvants.
§8.
Voilà ? à peu près, quelle est la forme inférieure,
or élémentaire» de la volonté. De cette forme à la com-
plète maîtrise de soi, à la volonté une, expression d'un
esprit bien organisé la distance est grande et les
intermédiaires nombreux. Nous pourrions ranger
parmi ceux-ci et étudier successivement, comme je
j'ai fait ailleurs, les impulsifs, les composés, etc. *.
On y verrait la volonté devenir l'expression d'une
tendance de plus en plus forte et de mieux en
mieux organisée, de désirs plus soutenus, de grou-
pes de tendances plus compacts, de croyances plus
stables et plus vigoureuses. En même temps la
personnalité s'organise et prend part de plus en
plus à toutes les volitions, celles-ci sont de moins en
j nui us indépendantes et de plus en plus rattachées à
un ensemble systématisé, dirigées, ou tout au moins
contrôlées par lui. On marche ainsi vers un état où
toutes les tendances seraient harmonisées, et cons-
tamment contrôlées et dirigées les unes par les autres
où chaque acte engagerait l'organisme entier étroite-
ment solidaire de chacune de ses parties et de leur
activité, si minime fût-elle.
Au reste il ne faut pas se figurer tous ces états
divers comme forcément séparés les uns des autres.
i. Voir qic s Caractères.
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"Tgnr^vv.
l'évolution de la: volonté ii3
Ils se rencontrent fréquemment chez la même per-
sonne. Si la personnalité n'est pas nulle chez les hys-
tériques, elle n'est pas parfaite chez les esprits les
plus équilibrés. Il n'est point d'homme si maître de
soi qu'il ne puisse, à un moment donné, avoir un
caprice, laisser agir des désirs qui s'insurgent et veu-
lent recouvrer leur indépendance. Seulement tout cela
peut être vite réprimé.
Sans nous attacher à reconstituer ici la série des
types possibles, nous allons examiner maintenant le
mode de volonté le plus opposé à celui que nous
venons de voir, au caprice. Nous allons étudier la
maîtrise- de soi, le pouvoir personnel sous ses formes
les plus hautes. Il sera plus facile, peut-être, après
avoir vu les deux états extrêmes de la volonté, d'en
comprendre les formes intermédiaires.
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CHAPITRE VII
L'ÉVOLUTION DE LA VOLONTÉ. DES CAPRICES
AU POUVOIR PERSONNEL
Il - LE POUVOIR PERSONNEL ET LA MAITRISE DE SOI
£ i . — Définition sommaire du pouvoir personnel.
Le fi pouvoir personnel » qui s'oppose nettement à
l;i i h uni nation des caprices a été assez peu étudié par
les psychologues de l'école expérimentale. C'est, en
n \;mrhr, la forme de volonté dont parlaient le plus
\o|onlirrs les psychologues de l'école philosophique
spi rit nu liste. C'est à eux que nous en demanderons une
première description qui sera notre point de départ,
mais i\ laquelle nous ne nous en tiendrons pas. Cette
description, en effet, s'applique à un fait certainement
réel cl qui a sans doute été depuis longtemps trop
négligé, niais elle est incomplète au point de vue de
l'analyse et trop excessive dans sa forme générale.
Voici rnmment Jouffroy définit le pouvoir person-
nel : ë ( V qui distingue une chose d'une autre, dit-il,
<"i-< < pi Vile a des propriétés ou des capacités naturelles
(lillrivrilrs: l'homme, ayant des capacités spéciales,
rst ;< ce litre, comme toutes les choses possibles, un
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l'évolution de la volonté ii5
être d'une espèce particulière et qui mérite un nom
particulier. Mais, indépendamment de cette spécialité
de nature qui lui est commune avec tputes les choses
du monde, car toutes les choses du monde ont leur
nature spéciale, il jouit d'un privilège tout particulier
et qui le sort de la foule, c'est celui de pouvoir dis-
poser de ses capacités naturelles. Il a non seulement
des capacités spéciales comme chaque chose en a et
par exemple celles de penser, de se souvenir, de se
mouvoir, mais, de plus, il gouverne ses capacités,
c'est-à-dire qu'il les tient dans sa main et s'en sert
comme il veut. Ainsi il se meut comme il veut, il
dirige sa mémoire, il applique sa pensée où il veut ;
en un mot, il est maître de lui et des capacités qui
sont en lui . Or, il n'en est pas ainsi dans les choses :
elles ont aussi des capacités naturelles, mais il n'y a
point en elles de pouvoir autonome, qui s'approprie
ces capacités et qui les gouverne. Ainsi, l'arbre a
beaucoup de capacités naturelles, mais elles se déve-
loppent en lui sans sa participation ; ce n'est pas lui
qui les dirige, c'est la nature, elles existent en lui,
elles opèrent en lui, mais elles ne lui appartiennent
pas et ce qu'elles produisent ne saurait lui être attribué.
a Le pouvoir que l'homme a de s'emparer de ces
capacités naturelles et de les diriger fait de lui une
personne et c'est parce que les choses n'exercent pas
ce pouvoir en elles-mêmes qu'elles ne sont que des
choses... »
« De l'existence du pouvoir personnel dans l'homme
et de son absence dans les choses résulte une différence
entre les capacités naturelles de l'homme et celles des
choses. En effet, nous régnons sur nos capacités natu-
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Il6 LA. VOLONTÉ
relies et nous nous en servons, tandis que les choses
ne disposent pas des leurs et ne s'en servent pas... La
capacité de marcher ne serait en nous qu'une simpje
propriété comme celle de sécréter la bile, si nous n'a-
vions pas le pouvoir de marcher ou de ne pas marcher,
de marcher vite ou lentement, à droite ou à gauche
selon notre volonté. Mais comme nous gouvernons
cette capacité naturelle, elle devient en nous une faculté.
Telle est la véritable force de ce mot. Si donc, pour le
dire en passant, nous n'étions, comme le prétendent
quelques physiologistes et même quelques philosophes,
qu'une espèce d'alambic où les idées, les images, les
souvenirs, les déterminations et les actes se distillent
sous l'influence d'une excitation extérieure, il faudrait
commencer par réformer la langue qui consacrerait
de vaines distinctions entre des choses identiques... »
Je ne relèverai pas maintenant les assertions contes-
tables ou erronées que renferme ce morceau. Je l'ai
dit ailleurs et je le pense toujours : « il y aurait beau-
coup à critiquer ou à interpréter dans la description
de Jouffroy, on ne peut nier qu'elle se rapporte à un
fait réel et qu'elle en donne une idée exacte. Il est vrai
qu'il y a une différence entre voir et regarder, entre
réfléchir et rêver, entre l'automatisme et la volonté :
quelle est la nature de cette différence 1 ? »
Nous le verrons en analysant les faits et nous com-
prendrons, sans que j'aie sans doute besoin de le dire
expressément, ce qu'il y a d'erroné dans certaines
affirmations de Jouffroy et en même temps quelles
sont les apparences qui ont pu le tromper et comment
I. L'activité mentale, p. 159-160.
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-W *'-
l'évolution de la volonté 117
il faut les interpréter. On peut apercevoir, dans le pas-
sage que j'ai cité, à travers les interprétations de Jouf-
froy, les deux grands éléments de l'activité qui prend
la forme volontaire, l'automatisme d'une part, et, de
l'autre, l'impuissance de cet automatisme et le jeu
relativement indépendant des éléments. On peut y
retrouver cette vérité que la volonté est une systéma-
tisation nouvelle, encore assez éloignée de la perfection.
Mais l'analyse des faits doit nous renseigner sur la
nature et les tendances du pouvoir volontaire et nous
permettre de rectifier et de compléter les idées de
Jouffroy.
§ 2. — Analyse du pouvoir personnel.
Nous pouvons, pour notre analyse, prendre le fait
mentionné par Jouffroy, celui de la marche. Nous
devons y voir nettement dans quel sens et jusqu'à
quel point on peut dire que « nous régnons sur nos
capacités naturelles et nous nous en servons, tandis
que les choses ne disposent pas des leurs et ne s'en
servent pas » .
a La capacité de marcher, dit Jouffroy, ne serait
en nous qu'une simple propriété, comme celle de
sécréter la bile, si nous n'avions le pouvoir de mar-
cher ou de ne pas marcher, de marcher vite ou len-
tement, à gauche ou à droite selon notre volonté.
Mais comme nous gouvernons cette capacité naturelle,
elle devient en nous une faculté. Telle est la véritable
force de ce mot. »
Il est incontestable que, d'une manière générale,
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Il8 LA VOLONTÉ
l'homme normal peut marcher selon son désir et selon
sa volonté réfléchie. Ce pouvoir se retrouve encore à
des degrés affaiblis chez l'animal et un pouvoir ana-
logue n'est peut-être pas aussi nul chez le végétal que
le dit Jouffroy, mais il n'est pas douteux qu'il y soit
bien moins visible et bien moins" développé que dans
l'homme. Qu'est-ce donc que ce « pouvoir personnel »
et de quel état des phénomènes est-il l'indice ?
Trois grands faits semblent surtout indiqués par
lui : la complication des systèmes dans l'être vivant et
le choix qu'elle nécessite, l'imperfection de l'automa-
tisme et enfin la formation d'un système général de
tendances qui est à peu près ce que nous entendons
par la personnalité et qui supplée aux défauts de l'ac-
tivité automatique.
Je puis marcher ou non, aller à droite ou à gauche,
vite ou lentement selon mon désir. C'est-à-dire que
les différents éléments de la marche peuvent se modifier
selon le besoin que j'en ai et se systématiser ainsi avec-
des désirs très différents et même opposés. Sortant de
chez moi, je puis remonter ma rue si j'ai décidé de
marcher vers l'Observatoire ou la descendre si je veux
aller vers la Seine. Il y a là une adaptation remarquable
des moyens à la fin, une souplesse qui ne se trouve
pas en général au même degré dans les fonctions
organiques et qui disparaît à peu près complètement
dans la manifestation des propriétés purement phy-
siques. Cette systématisation précise et variable des
différents phénomènes qui constituent l'activité est
une des caractéristiques du pouvoir personnel.
Cette complexité impose naturellement un choix.
Tous les possibles ne peuvent se réaliser parce qu'ils
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L ÉVOLUTION DE LA VOLONTE 1 1 9
ne s'adaptent pas au désir le plus fort au à celui
que la personnalité fait dominer à un moment
donné. Ou, si l'on désire plus de rigueur dans les
termes, tous les possibles abstraits ne sont pas réelle-
ment possibles dans certaines circonstances données
et la manifestation de la possibilité ne s'obtient parfois
que par un long tâtonnement. Je demande encore ici
la permission de reproduire un passage de mon
Activité mentale où j'ai analysé le choix du pouvoir
personnel : « Je puis marcher plus ou moins vite. Il
arrive que je marche plus ou moins vite sans m'en
rendre compte, sans que la volonté intervienne, parce
que l'air est plus vif, parce que le temps est lourd,
mais aussi je puis prendre une allure déterminée après
une délibération raisonnée. Je me dispose à prendre
le train, je suis à deux kilomètres de la gare, je dois
aller à pied et j'ai vingt minutes devant moi, je puis
hésiter pour savoir si je dois retourner et continuer
ma route et si je prends ce dernier parti, je sens qu'il
me faut aller au pas de six kilomètres à l'heure envi-
ronne connais à peu près les impressions musculaires
et autres que fait naître cette allure ou une allure plus
rapide et je les suscite volontairement. Nous avons ici
un exemple de l'activité du pouvoir personnel qui
peut servir de type. En quoi consiste au juste cette
activité ?
« Elle consiste en ceci que le nouveau fait psychique
qui tend à s'établir a été mis successivement en rela-
tion avec un grand nombre de tendances et que ces
tendances, soit séparément, soit réunies, ont essayé
de se l'assimiler, l'ont éprouvé pour voir s'il pouvait
entrer comme élément dans un système coordonné
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120 LA VOLONTÉ
dont elles feraient partie. L'allure que je devais prendre
a fin être représentée comme devant amener une cer-
taine fatigue, d'un autre côté l'intérêt que je puis avoir
à ne pas retarder mon voyage et par suite mon arrivée
;i du se présenter à l'esprit et servir à apprécier la
\ àleuj de la considération précédente, mes dispositions
personnelles à ce moment-là, l'état de fatigue ou de
repos de mes muscles, la température, la qualité de
la rau te, tout cela a pu être évalué ; d'un autre côté,
l'idée des personnes qui m'attendent a dû se présenter
aussi. Une grande quantité d'éléments psychiques sont
j<insî mis en activité, ils doivent s'harmoniser, se coor-
ilnnner d'une certaine façon, de manière à produire
snil l'arrêt ou le retour, soit la marche en avant. Il y
u une sorte d'essai de divers systèmes psychiques,
rliiicun tendant à s'imposer jusqu'à ce que tous se soient
<-'''Mi|>lètement ou à peu près réunis pour déterminer
une manière d'être définitive. Le pouvoir personnel
consiste ici dans cet essai, fait par un certain nombre
âv tendances, d'un nouveau phénomène qui tend à
*Y(ablir dans l'esprit. Il s'oppose à l'automatisme en
i t que celui-ci se produit quand il n'y a pas éveil de
srnfirnents et d'idées complexes, quand, par exemple,
mie personne craint d'être en retard et se met à courir
suis que l'idée des inconvénients possibles de la course,
- %i elle a une santé générale délicate ou une maladie
organique particulière, — se présente à elle, sans qu'il
i ihlisse une sorte d'épreuve de la tendance mise en
activité par les autres tendances de l'organisme et la
['m me même de leur association 1 . »
p L'Activité mentale, p. 160-161.
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l'évolution de la VOLONTÉ 121
Cette complexité dans les possibilités de phéno-
mènes, dans les sentiments éveillés, dans les rap-
ports des uns avec les autres sont assez caractéris-
tiques du pouvoir personnel. Pour que celui-ci se
manifeste, il faut qu'il y ait hésitation entre plusieurs
partis à prendre, qu'il y ait plusieurs désirs plus ou
moins éveillés et qui ne peuvent se satisfaire à la fois.
Cela saute aux yeux quand on compare le pouvoir
personnel à l'automatisme et même quand on le com-
pare au caprice. Dans le caprice en général la déli-
bération est moindre, le choix moins hésitant. Cepen-
dant cela n'est pas absolu et ce n'est pas là qu'il faut
chercher la principale différence entre l'activité volon-
taire capricieuse et l'activité volontaire réfléchie.
§ 3. — Le pouvoir personnel et les imperfections de
V automatisme.
Selon notre désir, notre activité prend telle ou
telle forme et telle ou telle voie. A chaque instant la
fin que nous poursuivons détermine notre choix.
Mais dans l'activité automatique, ce choix se fait spon-
tanément, sans réflexion. Dans l'activité volontaire,
au contraire, la spontanéité reste impuissante, au
moins pour un temps. Nos désirs se combattent et
s'équilibrent, ou bien ils ne sont pas encore assez fer-
mes, assez solides pour déterminer des actes. Dans un
cas comme dans l'autre, l'activité s'arrête. Nous avons
déjà examiné ces deux cas pour distinguer l'automa-
tisme de la volonté. Je n'y reviens pas ici, je les
signale seulement comme se présentant nettement
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122 LA VOLONTÉ
dans les manifestations du pouvoir personnel, qui sont,
à certains égards, la forme la plus accusée de la vo-
lonté. Le moi doit intervenir pour décider si je vais
continuer à marcher afin de prendre le train ou me
retourner, c'est que mes désirs spontanés ne suffisent
pas à régler ma conduite. Dans l'exemple que j'ai pris
tout à l'heure, ils sont à peu près équilibrés. Si au con-
traire il était un quart d'heure plus tard ou un quart
d'heure plus tôt, si je découvrais tout à coup que ma
montre est en retard ou en avance, l'automatisme du
désir suffirait soit à me faire retourner dans le premier
cas, soit à me faire poursuivre ma route dans le second.
Mais les désirs ne sont pas naturellement assez bien sys-
tématisés pour abou tir à l'acte sans heurt et sans trouble,
quand il n'y a entre eux que de petites différences d'in-
tensité ou que les conditions de leur satisfaction sont
un peu mêlées et compliquées. Chacun d'eux éveille
alors par association systématique un certain nombre
d'impressions, d'idées, de sentiments, qui peuvent
s'harmoniser avec lui et tendre à déterminer l'acte
dans le sens indiqué par lui, et la délibération, plus
ou moins longue, plus ou moins compliquée, s'im-
pose.
La volonté doit venir forcément renforcer l'auto-
matisme inefficace. Mais, on le voit, si la compli-
cation est une cause d'intervention de la volonté, si
elle caractérise souvent les actes du pouvoir per-
sonnel, il n'est pas absolument nécessaire qu'il en
soit ainsi. En fait, un acte compliqué peut, s'il est
devenu assez habituel, s'effectuer automatiquement
et un acte relativement simple peut exiger l'inter-
vention de la volonté, s'il est accompli pour la pre-
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l'évolution de LA VOLONTÉ 123
mière fois. Seulement il y a deux remarques à faire.
Relativement , et toutes choses égales d'ailleurs, un
acte accompli par la volonté est plus compliqué que le
même acte automatiquement accompli. Il suffit, pour
le voir, de se rappeler que l'intervention du pouvoir
volontaire suppose soit un conflit de désirs, c'est-à-
dire l'existence du désir qui l'emportera et d'un ou de
plusieurs autres, soit une imperfection du désir, c'est-à-
dire un état moins unifié de l'esprit, un état d'ébauche
vague qui contient en général des éléments discor-
dants, et que, en outre, la volonté, par la délibération,
complique forcément l'état psychologique. D'autre
part, il est assez naturel que les actes les plus simples
deviennent plus facilement habituels et automatiques
que les actes les plus compliqués. Dans tous les cas,
la complication fait par conséquent présumer cette
impuissance de l'activité spontanée, qui est une
des conditions de l'intervention du pouvoir per-
sonnel.
§ 4- — Le pouvoir personnel et le caprice.
Le choix conscient devient donc nécessaire, par
suite de l'impuissance de l'automatisme. Mais com-
ment ce choix se fera-t-il ? C'est ici que nous trou-
vons la grande différence, différence qui admet d'ail-
leurs tous les intermédiaires possibles, entre le règne
des caprices et le pouvoir personnel.
Ce choix peut se faire, après une courte délibé-
ration, ou plutôt après une certaine hésitation, par le
triomphe de l'activité relativement indépendante d'un
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124 LA VOLONTÉ
des désirs en présence. Par exemple, toujours en nous
tenant au même cas, l'idée du plaisir que j'aurai à
revoir telle ou telle personne, se présente tout à coup
si vivement à moi que mon hésitation cesse, je cours
vers la gare et, faute d'avoir assez réfléchi au temps qui
me restait effectivement, ou faute d'avoir justement
apprécié celui qui m'était nécessaire, j'arrive après le
départ du train. C'est là un exemple d'activité capri-
cieuse, une manifestation inférieure de la volonté. Un
désir est intervenu vivement et a fait cesser la délibé-
ration sans avoir été suffisamment éprouvé. (Ce qui,
dans l'exemple que j'ai pris, peut servir de circonstance
explicative et atténuante, c'est qu'une trop longue ré-
flexion pourrait m'amener à manquer aussi le train,
mais il serait facile de trouver d'autres exemples où la
même circonstance n'interviendrait point, et d'ail-
leurs il n'est point toujours impossible d'apprécier
vite et d'une manière suffisamment complète une
situation).
J'ai donné tout à l'heure un assez grand dévelop-
pement à l'examen des caprices pour ne pas avoir à
y revenir longuement. Nous avons vu que le rôle du
moi y était très effacé. Le moi assistait simplement
au jeu des éléments psychiques, ou bien il se laissait
entraîner par l'un d'eux qu'une circonstance spéciale
ou un ensemble particulier de circonstances faisait
momentanément triompher. Il est un mot qui revient
assez souvent dans la bouche de ceux dont le pouvoir
personnel est faible, et ne peut triompher du jeu
indépendant des éléments. Ils disent volontiers :
« Cela à été plus fort que moi, je n'ai pas pu
résister à mon envie. » Ce mot nous montre bien
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l'évolution DE LA VOLONTÉ 125
clairement l'opposition du premier personnel au ca-
price. Dans le premier, le moi est le plus fort et di-
rige les actes, dans le second, il est complice ou vic-
time.
Il est complice ou victime, en effet, et souvent les
deux en même temps toutes les fois qu'il consent à ce
qu'un désir l'emporte quand il est en opposition avec
l'ensemble des tendances qui constitue le moi, ce qui
est la définition même du caprice. Sacrifier sa santé
pour un plaisir d'un moment (à moins qu'on n'ait
le désir de se tuer), laisser perdre sans réflexion, en
un instant d'égarement, le bénéfice d'une longue vie
d'honnêteté, voilà des faits pris au hasard et qu'on
peut réaliser de bien des façons, qui montrent le
mécanisme essentiel du caprice, et le rôle sacrifié
de la personnalité. Quand le pouvoir personnel
est fort, au contraire, c'est le moi qui dirige toute
l'activité, et il peut se tromper ou faire le mal, mais
ce n'est point alors par irréflexion ou par étourderie,
c'est parce que le mal qu'il commet ou l'erreur qu'il
adopte expriment bien sa réalité propre et le fond
même de sa nature. Il se traduit par elles, et si l'acte
est mauvais, c'est que le moi est mauvais. Dans l'ac-
tivité capricieuse, au contraire, il arrive qu'un acte
bon soit accompli inconsidérément par une mau-
vaise personnalité et qu'un acte blâmable échappe
à une personnalité d'ailleurs bonne. L'acte n'est
ici qu'une expression très partielle et très incom-
plète de la personnalité qui le commet, il n'en
représente guère qu'un élément et l'on commettrait
une erreur grave en jugeant l'ensemble d'après
lui.
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12 fi LA VOLONTÉ
§ 5. — Le moi et son action.
11 nous reste à examiner le rôle que joue le moi
dans la volonté réfléchie, c'est-à-dire ce qu'il y a au
jii>-lç de « personnel » dans le pouvoir personnel 1 .
« L:l personnalité consiste essentiellement dans l'en-
h inble des tendances réunies et associées d'après
q iniques principes généraux, c'est un système plus
ou moins bien coordonné de tendances, c'est-à-dire de
phénomènes psychiques de toute sorte. Or, il est assez
naturel que l'on appelle « personnel » un acte, une
croyance où la personne entière est intéressée, où la
P'i sonne entière a pris part, c'est-à-dire un acte ou
une croyance qui a été éprouvée par toutes les ten-
dances qui entrent dans la personnalité ou au moins
par le plus grand nombre des plus importantes d'entre
elfes. Il est quelquefois des actes, des théories, qui
semblent d'abord s'imposer à nous, qui s'adaptent
merveilleusement à certaines parties de notre person-
nalité et les éveillent rapidement, risquant, si d'autres
tendances n'interviennent pas, de faire adopter des
Idvus fausses, de faire accomplir des actes nuisibles
ou coupables. » C'est là ce que nous avons étudié
su us le nom de caprice. « En ce sens le premier mou-
vcmettt est souvent le mauvais — en effet, une idée
lend facilement à n'éveiller dans l'esprit que ce qui
rst favorable à son admission définitive — mais si
r Je crois pouvoir emprunter encore quelques pages à mon
livre Y Activité mentale, n'ajant rien d'important à modifier dans
I analyse que j'y donnais du pouvoir personnel.
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l'évolution de la volonté 127
l'esprit est bien organisé, si l'assimilation de la nou-
velle impression ne se fait pas trop vite, d'autres ten-
dances latentes, indirectement ou directement froissées
par le nouveau phénomène, entreront en activité et
jugeront à leur tour la nouvelle idée. Nous n'avons à
nous occuper ici que de celles qui s'éveillent selon la
loi d'association systématique, mais un certain nom-
bre prennent la forme du contraste. Dans un esprit bien
équilibré, dont la personnalité est fortement consti-
tuée, c'est-à-dire chez lequel les diverses tendances sont
suffisamment solidaires les unes des autres et assez étroi-
tement reliées entre elles selon une loi d'association sys-
tématique, une tendance ne peut entrer en activité sans
que les autres tendances ne s'éveillent faiblement, mais
assez pour pouvoir entrer complètement en activité
si le besoin s'en fait sentir, c'est-à-dire encore selon
la loi d'association systématique. Le pouvoir person-
nel se réduit donc à un mode particulier de la finalité
de l'esprit — celui où toutes les tendances de l'orga-
nisme, ou au- moins les principales, sont en connexion
assez étroite pour que l'activité de l'une éveille fai-
blement d'abord, et surtout éveille complètement s'il
le faut l'activité des autres, afin que nulle nouvelle
tendance, nulle croyance, nulle théorie nouvelle, ne
puisse s'établir dans l'esprit qui ne soit susceptible de
s'accommoder au moins aux plus importantes des
tendances acquises et à l'ensemble qu'elles forment,
c'est-à-dire à la personnalité.
« Ce qui précède nous permet aussi de comprendre
comment le moi semble s'isoler de ses états, se tenir
à part comme un être qui persiste, tandis que ses
états paraissent et disparaissent tour à tour, qui juge,
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128 LA VOLONTÉ
qui choisît, qui décide. Il en est réellement ainsi, il
y a bien un moi qui persiste et qui agit, mais ce
n'est pas dans une substance métaphysique qu'il faut
chercher sa réalité. Cette collection systématisée de
tendances, qui s'éveille faiblement ou fortement cha-
que ibis qu'un, phénomène important se produit, qui
reste sensiblement là même pendant un temps très
long, car les tendances ne varient pas très vite, ni
surtout Tordre dans lequel elles sont coordonnées,
nous finissons par les reconnaître, par les considérer
à part, par les regarder comme un tout naturel et
indivisible — et, en effet, nous les vojons agir géné-
ralement dans le même sens, et elles sont bien réel-
lement, h certains égards, abstraites des phénomènes
particuliers qui peuvent en certains cas les compléter.
Si jai h juger une théorie psychologique, je n'ai pas
en généra) besoin de faire revivre en moi tout ce que
je sais de psychologie ; les tendances qui correspon-
dent a des faits souvent répétés, souvent organisés,
s'éveillent d'une manière abstraite, je sens qu'elles
s'accordent ou ne s'accordent pas avec la nouvelle
théorie qui m'est proposée. Si, par exemple, on me
dit que tout fait psychique est comme tel parfaite-
ment connu par le sens intime, je sens immédiatement
que celte idée ne s'accorde nullement avec mes opinions
— et sans doute je puis, si je veux, me développer
tous les motifs que j'ai de croire que ce désaccord
existe réellement et aussi toutes les raisons qui me
font trouver mon opinion bonne, mais si mes opi-
nions sont snflisamment formées, je n'en ai pas be-
soin, — il se peut que je le fasse par scrupule de
conscience , mais immédiatement je sais que je ne
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r
L'ÉVOLUTION DE LA. VOLONTÉ I2Q
pense pas comme mon interlocuteur et que j'ai
des raisons pour ne pas penser ainsi, et même,
je le sais sans me le dire, sans le formuler comme je
viens de le faire. Mon esprit rejette la nouvelle pensée,
et l'état de conscience qui se manifeste alors est un
état abstrait, contenant implicitement, mais non ex-
plicitement, tout ce que je viens de dire que j'en puis
tirer. Toutes les tendances qui sont en nous suffisam-
ment organisées sont susceptibles de se manifester
ainsi et de manifester ainsi leur coordination par des
états abstraits, par l'éveil seulement de quelques-uns
de leurs éléments, sans que les faits qui les ont cons-
titués, les images, les perceptions, les idées nom-
breuses qui relèvent d'elles à quelque degré, aient à
entrer sur la scène de l'esprit — mais elles se mani-
festent par un état de conscience que nous connais-
sons bien — ce qui équivaut à dire que cet état s'as-
socie à certaines idées. 11 en résulte que l'ensemble
de ces tendances souvent éveillées d'une manière
abstraite nous est connu comme se manifestant à la
conscience d'une certaine façon ; l'état de conscience
ainsi suscité pendant la réflexion, la volonté et en
général pendant tous les actes du « pouvoir per-
sonnel » , c'est à peu près ce qui correspond au sens
du moi. Ce sens du moi est ainsi en action dans
les actes volontaires et réfléchis, ce qui justifie encore
le nom du pouvoir personnel, mais jusqu'à un certain
point seulement, car ce sens du moi n'est qu'un
phénomène accompagnant le jeu des tendances dans
les conditions que je viens d'indiquer, et d'autre part
il est loin de constituer la personnalité dont, comme
nous le voyons, il n'est qu'une sorte de représentation
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l3û LA VOLONTÉ
abstraite, correspondant à l'éveil coordonné de quel-
ques-uns des éléments des tendances dont la réunion '
constitue le moi.
« Toutefois, s'il ne constitue pas la personnalité,
il la représente et il la représente d'une manière effi-
cace, car ce simple éveil d'éléments abstraits et coor-
donnés suffit pour déterminer l'adoption ou le rejet
de certaines croyances » et aussi l'accomplissement ou
le non-accomplissement de certains actes, comme
s'adaptant ou ne s'adaptant pas à notre personnalité,
à l'ensemble de nos tendances, considérées ou plutôt
senties, non pas les unes après les autres, mais dans
leur coordination, dans leurs rapports réciproques.
11 est important de bien constater ce fait qui justifie
suffisamment le nom du pouvoir personnel et qui per-
met d'en expliquer la nature par les lois de la psycho-
logie expérimentale 1 .
« Nous voyons, au reste, que le pouvoir personnel
varie beaucoup, et que le sens du moi, s'il est indis-
pensable » pour rendre possible un acte de volonté
réfléchie, de pouvoir personnel, « ne suffit pas à le
constituer. Le fait que je viens de citer en effet, celui
où le moi organisé repousse une opinion qui ne
s'adapte pas à ses habitudes, est à peine un fait de
volonté, il n'est pas un fait de réflexion, mais il nous
montre comment le moi, en tant que groupe d'élé-
ments abstraits, et forme de coordination, peut s'éveil-
ler facilement et se séparer des autres phénomènes. Il
i . Il est à peine besoin de faire remarquer ici que les tendances
organiques, celles qui constituent proprement la vie des organes,
sont largement représentées dans le sens du moi.
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Dévolution de la volonté i3i
nous montre aussi la transition entre la volonté et
l'automatisme marquée par la coordination croissante
des phénomènes et l'éveil d'un moins grand nombre
d'entre eux» .
« Souvent il arrive, si la lutte est vive, si la ré-
flexion est intense, que des phénomènes particuliers,
idées, images, etc., s'éveillent, mais ils sont facilement
considérés à part des tendances ; c'est que ces phé-
nomènes sont variables, tantôt l'un, tantôt l'autre,
selon le cas, se présentera à l'esprit, c'est tantôt telle
tendance, tantôt telle autre qui, pour maintenir son
organisation, aura besoin de se compléter par tel ou
tel phénomène particulier. Au contraire, les tendances
elles-mêmes, et leurs coordinations sont relativement
stables. Il semble donc que dans ce jugement : je vois
ceci, je pense à cela, il n'y a pas seulement, comme l'a
dit M. Taine, le rapport d'un composé à l'un de ses
éléments 1 , il y a aussi le rapport de tendances
abstraites à des phénomènes concrets qui viennent en
certains cas compléter une ou plusieurs d'entre elles.
Il me semble que cette conception du pouvoir per-
sonnel permet... d'expliquer la partie vraie des doc-
trines spiritualistes sur la conscience, la volonté, la
responsabilité, etc., tout en restant absolument indé-
pendante de toute hypothèse sur la substance... Il
ne s'agit jamais que de certaines circonstances parti-
culières du jeu des tendances et d'une forme, que
j'ai tâché de déterminer, de la loi d'association systé-
matique. »
i. Taine, Les Philosophes classiques du XIX e siècle. Paris,
Hachette, a e éd., 1868.
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À
I 3'J LA VOLONTÉ
§ 6- — La marche du pouvoir personnel vers l'automa-
tisme.
Il se forme ainsi, soit peu à peu, soit plus ou inoins
vite, une personnalité bien unifiée, où les tendances,
les désirs, les idées sont étroitement associés avec le
maximum d'harmonie que comporte la condition hu-
maine, cl sont, a niant que possible, solidaires les uns
des autres. Le moi est alors réellement son maître, et
cela veut dire qu'aucun de ses éléments n'agit d'une
manière indépen tante, que tout désir qui nuirait à
l'harmonie de l'ensemble, tout caprice trui tenterait,
de se satisfaire aux dépens des tendances profondes
et des croyances fixées, est arrêté ou même prévenu,
enrayé ou empêché de naître.
Mais a mesure que cet état se précise et se confirme,
le pouvoir personnel marche vers l'automatisme. Il
représente un moment d'un processus qui parlant de
l'incoordination relative des phénomènes d'activité
psychiques et de l'activité indépendante des éléments
va vers leur coordination complète, leur solidarité
absolue et la parfaite régularité de leur fonctionne-
ment.
Nous pouvons à ce point de vue comparer l'évolu-
tion de la personnalité prise dans son ensemble, du
pouvoir €pii lui appartient, de la volonté qui eu est l'ex-
pression a révolution d T im de ses éléments, d'une ten-
dance quelconque. Cette évolution plus ou moins
nette, plus ou moins longue et plus ou moins vi-
sible, s'effectue, en général, à peu près de la même
manière.
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- p. ^mC^ts; ^«çt, ,' J i'.
l'évolution de la volonté i33
Au début c'est l'incoordination et l'indépendance
des systèmes. Le désir ne peut spontanément aboutir
à l'acte et son influence suscite par association sys-
tématique, une quantité de phénomènes psychologi-
ques très divers, idées, désirs secondaires, etc., qui
finissent par changer l'orientation du moi, par dé-
terminer des décisions, des arrangements nouveaux
de phénomènes psychiques, des coordinations des
idées, des désirs et des actes. Quel que soit l'acte
que nous tendions à commettre, quelque soit le désir
qu'il s'agisse de satisfaire, et, en le satisfaisant, de
créer et de développer, les choses se passent au fond
à peu près de même. Mais l'ensemble des phénomè-
nes éveillés peut varier beaucoup de complexité et
d'importance. Il est très considérable si la tendance
nouvelle a de la peine à s'organiser, et généralement
très peu important dans le cas contraire. Peu à peu
l'exercice de la tendance se régularise, les caprices des
éléments diminuent, les éléments parasites sont eux-
mêmes écartés et les phénomènes s'associent d'une
façon de plus en plus systématique et serrée. L'exemple,
si souvent cité, de l'homme qui apprend à jouer du
piano, qui commence par tendre son esprit, par
vouloir avec application pour coordonner les mouve-
ments de ses doigts avec ses impressions visuelles et
chez qui la tendance s'organise peu à peu de façon
à devenir automatique et inconsciente est un exemple
de cette évolution.
L'évolution du moi ne diffère pas essentiellement
de cette évolution d'une tendance. Ici aussi, au
début, nous avons des caprices, des idées, des désirs,
des actes mal coordonnés. Cependant quelques désirs
Paul h an, 8
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ï34 LA VOLONTÉ
plus profonds, plus tenaces représentant les tendances
essentielles de la vie organique et de la vie psychique
s'harmonisent entre eux et tendent à soumettre les
autres, à les transformer ou à les inhiber. Ce travail
qui ne va jamais jusqu'à conduire l'esprit à l'harmo-
nie parfaite et à l'unité absolue l'en rapproche plus ou
moins selon les cas. Il laisse subsister beaucoup d'in-
cohérences chez certains individus, et relativement très
peu chez d'autres. Dans ce dernier cas, on voit les
éléments du moi, comme tout à l'heure les éléments
de la tendance, se coordonner de mieux en mieux en se
transformant, ou bien disparaître, et comme tout à
l'heure nous voyions les perceptions visuelles et les
mouvements musculaires du pianiste se combiner à
ses perceptions auditives, de manière à former un
système très bien unifié, nous voyons maintenant des
quantités d'éléments divers, tendances et idées, désirs
et impressions, habitudes automatiques et volitions,
converger vers un même centre, s'unir en un seul tout.
Dans le premier cas, le travail aboutit à une tendance,
élément du moi, dans le second, il aboutit à un moi,
système de tendances, mais dans les deux cas, il est
essentiellement le même, à deux échelles différentes.
11 part de deux états analogues, et par des moyens
identiques il conduit à des états semblables.
§7-
Quand cette unité du moi est arrivée à se consti-
tuer et que le pouvoir personnel se manifeste tel que
nous l'avons analysé tout à l'heure, la volonté est
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l'évolution de la volonté i35
devenue une sorte de forme générale de l'activité,
toujours analogue à elle-même, présentant des carac-
tères généraux toujours semblables. Cela arrive, en cer-
tains cas, pour l'intelligence, pour la sensibilité, pour
quelque grande fonction psychologique. On a beau-
coup dit, depuis quelque temps, que la mémoire se
résout en des mémoires, on a pu ajouter que la vo-
lonté se résout en des volontés, l'intelligence en des
intelligences, etc. Cela est vrai, très certainement, en
un sens, si l'on veut exprimer, parla, que l'activité des
éléments de l'esprit s'exerce parfois d'une manière
individuelle et indépendante, et que cette indépen-
dance subsiste toujours au moins à l'état virtuel. Mais
en fait elle disparaît souvent, dans une assez large
mesure, devant l'unification delà personnalité, comme
les divisions naturelles d'un pays peuvent s'effacer
devant son unification politique. Alors, s'il s'agit de
la volonté, les volitions sont toutes orientées dans le
même sens, elles ne sont plus des caprices, expressions
des désirs des éléments, elles ne sont plus des volontés
indépendantes et séparées, elles sont unies, elles for^
ment un seul ensemble, exprimant la réaction toujours
la même, au fond, d'une personnalité fixée et stable,
elles sont devenues une volonté, tout à fait comme
les mouvements incoordonnés et divers du pianiste dé-
butant sont, chez l'artiste exercé, confondus et réunis
en une tendance.
Le moi entier est devenu, dans -e cas-là, une sorte
de tendance ou de désir très compliqué, le désir de
vivre, mais de vivre d'une cert*ine façon, en faisant
prédominer et en développant els et tels désirs spé-
ciaux. La volonté, le pouvoir r-rsonnel n'est plus que
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f %y*^
i36
LA VOLONTE
l'expression de ce désir, de cette personnalité. Et cette
personnalité se subordonne ainsi et dirige toutes ses
facultés, tous ses actes, car c'est simplement dire que
les actes comme les désirs secondaires, les idées, etc.
sont subordonnés aux tendances principales, au sys^
terne bien coordonné qui constitue le moi et ne laisse
rien s'y produire qui ne soit en harmonie avec lui.
Le pouvoir personnel, tel que l'ont décrit les philoso-
phes spiritualistes, est simplement le cas où la finalité
de l'esprit est arrivée à un degré très avancé, et où
cependant cette habitude du moi, de tout régler à sa
convenance, et de se soumettre, dans une grande mesure,
tous ses désirs et tous ses actes reste encore consciente
et volontaire.
§8.
Mais on voit vite comment et pourquoi un tel état
tend vers un état de coordination plus complète encore,
qui nous ramène à l'automatisme et supprime les
^^onditions de la volonté.
X^volonté, le pouvoir personnel par conséquent,
suppose encore une certaine indépendance des sys-
tèmes psychiques, une certaine hésitation de l'orga-
nisme psychologique, une adaptation déjà assez avan-
cée, mais encore imparfaite. A mesure que l'adaptation
se perfectionne, que toute hésitation dans le choix se
supprime, et que l 'indépendance des systèmes psy-
chiques va s'affaiblissant et tend à disparaître, la
volonté se rapproche de plus en plus de l'automatisme,
et ce dernier peut finir par prédominer presque com-
plètement.
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l'évolution de la volonté i3y
Le pouvoir personnel devientalors toulà fa il semblable
à une tendance automatique ordinaire. La plupart des
. choix auxquels il est obligé sont si bien prédétermi-
nés par la nature fixée du moi qu'on peut les pré-
voir et les prédire avec peu de ehances d'erreur.
Tant que l'individu ne sort pas des conditions habi-
tuelles de son activité, il agit presque aussi régu-
lièrement et aussi sûrement qu'un automate. Le
pouvoir personnel en tant que (orme de vol on lé a
presque disparu, il ne subsiste plus guère qu'en tant
que forme synthétique individuelle de I automa-
tisme.
Les réactions de la personne, en ce cas, expri-
ment toujours sa nature propre, elles en portent la
marque, elles décèlent parfois des nuances de carac-
tères très fines et très spéciales, et l'automatisme
d'un individu ne ressemble pas complètement a l'au-
tomatisme d'un autre. Mais elles onL perdu leur
souplesse, elles n'évoluent plus.
Surtout elles ne témoignent plus de nouvelles
adaptations sous la réserve, bien entendu, des
nuances déjà indiquées à propos de l'automatisme et
du mélange toujours obligatoire de l'automatisme et
de la volonté. Le caractère de nouveauté qui caractérise
l'acte volontaire et qui en fait une création a pres-
que complètement disparu. Sans doute Inactivité de
l'individu reste originale si nous la comparons à
l'activité des autres personnes, elle ne l'est pas, si
nous la comparons à elle-même. L'individu n'innove
plus, sa croissance morale est arrêtée.
Cet état serait évidemment la perlée lion relative si
l'homme qui le présente était adapté à un ensemble
8.
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l38 LA VOLONTÉ
de conditions suffisamment larges et représentant
pour lui l'univers entier, si au moins les conditions
de l'existence restaient, autour de lui, toujours les
mêmes. Il serait arrivé à l'harmonie complète de ses
fonctions, et à l'harmonie avec le monde, il aurait
atteint le seul idéal positif abstrait que l'on puisse
peut-être concevoir.
Sans rechercher ici si cet idéal n'est pas, en lui-
même, contradictoire, il suffira de remarquer qu'en
tout cas il ne saurait, à notre connaissance, être
actuellement atteint par l'humanité. L'individu qui
se laisse envahir par l'automatisme est forcément en
désaccord ayec un ensemble de conditions qui change
sans cesse et qui changera continuellement tant que
le milieu social dont il fait partie ira se transfor-
mant. Son automatisme, sa routine, si bien adap-
tés à ce milieu qu'ils aient pu paraître tout d'abord,
seront bientôt en désaccord avec lui. Il se peut
qu'il ne s'aperçoive pas de ce désaccord, et qu'il
n'en souffre pas, ce désaccord n'en existe pas moins
et la valeur propre de l'individu en est diminuée. Il
y a là une raison générale pour que le passage du
pouvoir personnel à l'automatisme doive être consi-
^ déré comme un mal plutôt que comme un bien. Il
supprime à peu près la possibilité des progrès futurs,
cela ne serait un avantage que si l'on était arrivé au
bout du progrès possible.
L'automatisme, la routine deviennent ainsi, en bien
des cas, terriblement gênants lorsqu'un changement se
produit dans les changements de vie de la personne
qui les a réalisés. On peut voir assez souvent des gens
s'acquitter très bien de leur tâche quotidienne, toujours
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l'évolution de la volonté 139
la même, remplir exactement leurs devoirs de famille,
avoir les sentiments qu'il faut avoir et faire les actes
qu'il faut faire. Ils montrent même du dévouement,
de l'énergie, de la pondération et l'on est porté à leur
attribuer une assez grande puissance de volonté. C'est
que leur personnalité est bien organisée pour certai-
nes conditions d'existence, le « pouvoir personnel » est
assez développé et suffisamment fort pour les condi-
tions ordinaires de la vie. Mais si ces circonstances
viennent à changer, ce pouvoir personnel qui s'est
trop raidi, fixé, rapproché de l'automatisme peut se
trouver en quelques instants amoindri, détraqué,
presque détruit. Des gens qui dans leur routine de
chaque jour paraissaient actifs, énergiques, décidés,
se trouvent, du jour au lendemain, si leur situation
change brusquement, s'ils perdent leur place, si
quelqu'un de leurs proches leur manque, s'ils
se trouvent dans un milieu qu'ils ne connaissent
pas, mous, hésitants, déséquilibrés, incapables de
vouloir avec intelligence et avec énergie.
Le pouvoir personnel, sous sa forme volon-
taire, est donc un moment, important au point de
vue de notre étude, d'une évolution qui va de
l'activité indépendante des phénomènes psychiques,
à la coordination presque parfaite et^ à la soli-
darité la plus grande. Ce moment est celui où le
moi s'est organisé, où il est maître de ses élé-
ments, maître du choix de ses actes, mais où il
n'exerce pas encore cette maîtrise d'une manière
absolument sûre, où cette maîtrise ne s'exerce
pas encore, pour ainsi dire, d'elle-même et sponta-
nément.
Digitized by CjOOQIC
I^O LA VOLONTÉ
§ 9. — La délibération et la décision dans V exercice
du pouvoir personnel.
La délibération, la décision et l'exécution varient
beaucoup suivant les différentes phases de l'évolution
du pouvoir personnel.
La délibération qui est à peu près nulle dans le
caprice se développe au contraire beaucoup quand le
pouvoir personnel arrive à être fort, quand la
personnalité est déjà assez solidement constituée, mais
que cependant elle est toujours très riche en élé-
ments, qu'elle n'est pas tout à fait organisée et que
l'indépendance réciproque de désirs assez vifs et de
tendances assez fortes se manifeste encore d'une
manière sensible. A ce moment, la personnalité n'est
pas encore assez avancée dans l'automatisme pour
supprimer les conflits, mais elle l'est assez déjà pour
que l'appel des motifs et la discussion des tendances
se fassent d'une manière systématique et suivie. Au
heurt des caprices, à la domination tyrannique et
instable de velléités diverses et incohérentes a succédé
l'examen des raisons, l'appel successif et la mise à
l'essai des désirs, des tendances et des idées. Puis, si
l'évolution vers l'automatisme continue, la délibé-
ration diminue d'importance et de durée, les hésita-
tions se font plus rares et plus faibles, l'orientation de
l'esprit est plus facilement déterminée. La délibéra-
tion a donc une importance très petite au début
de l'évolution du pouvoir personnel et son impor-
tance est encore très faible à la fin de cette évolution >
Digitized by CjOOQ IC
r
l'évolution de la volonté i4i
mais pour des raisons opposées. Dans le premier
état c'est le défaut de l'organisation qui produit cette
nullité de la délibération, et dans le second c'est au
contraire sa perfection.
La décision varie aussi, mais d'une autre manière.
Dans le caprice elle est souvent prompte, et souvent
aussi faible. Un caprice s'impose vite à l'esprit, et il
est vite remplacé par un autre. A mesure que le
pouvoir personnel se forme, la décision est retardée
par la délibération, mais son importance est de plus
en plus considérable. Elle engage une partie toujours
plus grande de la personnalité, elle est l'expression
de tendances déplus en plus complexes et ensuite
du moi tout entier, ou peu s'en faut. Elle devient
ainsi plus stable, plus sérieuse, plus importante,
à proportion du nombre et de l'importance des
tendances, des désirs et des idées qu'elle associe
systématiquement, de la grandeur de la fraction de
personnalité qu'elle représente et qu'elle crée. Puis,
quand le moi marche encore vers la systématisation
parfaite et que le pouvoir personnel se rapproche
encore plus de l'automatisme, la décision devient de
plus en plus prompte, et, toutes choses égales, d'ail-
leurs, de plus en plus stable, de plus en plus im-
portante, de plus en plus représentative de l'ensemble
de la personnalité. Quand le moi est bien coordonné,
la personne ne revient plus sur une décision prise,
elle n'éprouve plus ces fluctuations, ces retards qui
sont de règle dans l'activité capricieuse et qui se ma-
nifestent encore dans les premiers états du pouvoir
personnel. La décision prise est irrévocable.
Mais il faut bien spécifier que les choses doivent
Digitized by CjOOQlC
I^a LA VOLONTÉ
rtie égales d'ailleurs. C'est ce qui n'arrive pas tou-
jours. A mesure qu'une routine se forme, que le moi
^r rapproche de l'automatisme il arrive assez souvent
fjue de nouvelles forces qu'il ignore lui-même s'orga-
nisent en lui. Alors l'automatisme, au lieu d'être une
<h mi se de force pour la décision, peut, à cause de son
ihoitesse inévitable, devenir une cause de faiblesse.
U n jour vient où les désirs nés et développés peu à
1 11 u dans l'obscurité de la conscience font irruption
dans la vie mentale et vont briser les habitudes
<li in lia souplesse est trop faible pour qu'une systé-
matisation spontanée puisse s'accomplir. C'est un
ils cas où se montrent les défauts de l'automatisme.
Toutes choses égales d'ailleurs, il représente la
perfection, mais il implique précisément que, par
ji il leurs, les choses ne sont pas égales. Il n'est pas
i ;*rc de voir des hommes satisfaits de leurs occupa-
tions devenues régulières et devenues automatiques,
m mis il n'est pas rare non plus d'en voir qui, à me-
sure précisément que leurs occupations se font plus
routinières, s'y intéressent moins et laissent grandir
i n eux, plus ou moins ignorés, des désirs nouveaux,
jusqu'au moment de la crise qui éclatera tôt ou tard
vi deviendra le point de départ d'une évolution nou-
voile. Remarquons seulement que dans les cas de ce
tirnre la personnalité n'était point tout entière, il
*Yn faut, organisée par les tendances que Tauto-
niiitisme gagnait.
Au point de vue de la création du moi par la
M'Ionté le caractère de la décision change aussi, à
mesure que se poursuit l'évolution du pouvoir per-
-unnel. Au début de cette évolution, dans l'activité
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l'évolution de la volonté 1^3
capricieuse nous ne pouvons guère observer cette
création du moi par la volonté que nous avons indi-
quée tout à l'heure, ou, du moins, elle y prend des
caractères assez particuliers. La satisfaction d'un ca-
price ne transforme le moi, en général, que d'une fa-
çon superficielle et passagère, parce que c'est précisé-
ment un des caractères du caprice d'être une velléité
sans grande importance. Il peut arriver sans doute
que la satisfaction d'un caprice ait des suites graves
et puisse devenir le point de départ d'une grande
modification du moi, mais c'est alors que le caprice
correspondait à une tendance assez puissamment or-
ganisée déjà et qu'il n'avait, vraisemblablement, du
caprice que l'apparence, ou bien encore le caprice
n'a dû qu'à une chance heureuse de commencer un
développement qui s'est longuement poursuivi. Dans
ce cas, généralement, le caprice a été pour le moi
une occasion de se développer et de passer à un genre
d'activité tout à fait différent de l'activité capricieuse.
Ou bien encore le caprice est devenu le point de dé-
part d'une désorganisation du moi par l'affaiblisse^
ment de la coordination générale des phénomènes,
par la désagrégation des quelques tendances qui les
dirigeaient encore un peu.
A mesure que nous passons de l'état du règne des
caprices à celui du règne du pouvoir personnel, le
changement du moi par la volonté prend une autre
apparence. Il y a surtout un moment où ce change-
ment peut être très important. C'est celui où le
moi, commençant à s'organiser, peut encore s'orga-
niser suivant des principes très différents. Il peut ar-
river qu'un seul acte de volonté, ou une petite série
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l44 LA VOLONTÉ
d'actes de volonté forme et transforme ainsi presque
complètement le moi. Nous rencontrons à tout mo-
ment dans la vie des chemins qui bifurquent et nous
peuvent conduire à des points bien différents. Sou-
vent, surtout au début de notre carrière, mais quel-
quefois aussi plus tard, nous hésitons entre plusieurs
voies. Selon celle que nous allons prendre, notre
vie entière peut être changée, et, avec elle, notre per-
sonnalité. La vieille fable d'Hercule ayant à choisir
entre le vice et la vertu symbolisera, si l'on veut,
cette situation. Ici le premier acte de volonté qui va
naître peut déterminer l'orientation de toute une
vie et de toute une âme. C'est qu'il va déterminer
les conditions dans lesquelles cette âme se dévelop-
pera, dans lesquelles cette vie va se dérouler, con-
ditions qui en se combinant avec les traces laissées
dans l'esprit par sa volition, par la synthèse nouvelle
qui va se produire à un moment donné, peuvent fort
bien ne plus permettre jamais aucun retour en ar-
rière. 11 est, dit-on, sur la ligne de partage des eaux en
France, une maison si justement bâtie sur la ligne
de faîte que la goutte d'eau qui tombe sur un côté de
son toit est entraînée vers la Méditerranée, tandis que
celle qui tombe sur l'autre côté se dirige vers l'Océan.
Le moindre vent qui, pendant sa chute, la pousse vers
l'un ou vers l'autre va décider de sa route, et une fois
qu'elle sera tombée sa destinée sera fixée. De même
la moindre circonstance qui vient déterminer la for-
mation dans un sens ou dans l'autre de la synthèse
volitive, peut, en certains cas, fixer d'une manière
irréparable non seulement l'orientation de la vie, mais
le développement d'une âme, le triomphe ou la défaite
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Dévolution de la volonté i45
de ses vertus ou de ses vices, de telle ou telle de ses
aptitudes ou de tel ou tel de ses goûts.
Plus tard et à un état d'organisation plus avancé,
l'influence de la décision sur la transformation du
moi est incomparablement plus faible. Maintenant
le moi est trop formé pour pouvoir se modifier beau-
coup ; les volitions l'expriment toujours, mais elles
ne le transforment plus, elles se bornent à le mainte-
nir, à le faire durer, à lui conserver la systématisa-
tion acquise, tout au plus à l'accentuer encore un
peu. La transformation suppose, en effet, l'existence
dans la personnalité d'éléments encore mal harmoni-
sés dont les uns vont être éliminés tandis que les
autres se développeront, à moins qu'elle ne produise
elle-même cette désharmonie. Mais la transformation
produite par le pouvoir personnel ne peut guère se
manifester que dans le premier cas. Ce qui peut arri-
ver parfois aussi, comme la coordination n'est jamais
parfaite, ni la personnalité complètement unifiée,
c'est qu'un caprice vienne, à un moment donné,
grâce à des conditions. exceptionnellement favorables,
commencer une transformation nouvelle qui va se dé-
rouler selon le même processus que nous avons exa-
miné déjà, mais la transformation ici encore peut
aboutir à l'organisation d'un pouvoir personnel auto-
matique, elle n'en part pas. .Elle a pour germe, au
contraire, la défaite du pouvoir personnel antérieure-
ment établi qu'un caprice a vaincu grâce à une heu-
reuse rencontre de circonstances, et grâce aussi, en
général, à la persistance dans la personnalité d'éléments
mal soumis, de désirs assoupis mais non éteints
qu'une circonstance favorable peut toujours rallumer.
Paulhan. 9
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1/46 LÀ VOLONTÉ
§ 10. — Le pouvoir personnel et V exécution.
Les qualités de l'exécution dépendent dans une
assez grande mesure des qualités de la décision et
nous voyons l'exécution se modifier en conséquence
du caprice au pouvoir personnel. Si dans le caprice
l'exécution est souvent vive, prompte et peu sûre,
car si elle est retardée elle peut être complètement
supprimée, il en est tout autrement d'une manière
générale, dans l'exercice du pouvoir personnel. Quand
le pouvoir personnel est dans la période d'organisa-
tion, l'exécution présente des caractères assez varia-
bles. Parfois elle est précipitée et prompte. On cher-
che volontiers, après avoir pris une résolution grave
et qui nous a fait longtemps hésiter, à se rendre
tout retour impossible, à s'obliger à aller jusqu'au
bout. On, veut, à tout prix, éviter de recommencer
les hésitations et les luttes qu'on a subies, et l'on se
presse d'exécuter après avoir été lent à se décider.
Mais le contraire se produit aussi. Il arrive que l'hé-
sitation se fait sentir encore, quoique à un moindre
degré, une fois la délibération terminée et la dé-
cision prise. Parfois aussi on souffre encore d'avoir
renoncé, par une décision pénible, à des choses aux-
quelles on tenait. On voudrait bien que quelque circon-
stance, plus ou moins prévue, vînt rendre notre
sacrifice inutile. Alors on tarde, on fait traîner
l'exécution, on a de la peine à entrer dans l'irrévo-
cable. Même si on n'espère pas pouvoir l'éviter on
peut y arriver sans enthousiasme. D'autres fois enfin
on ne remarque ni cette hâte ni ce retard de l'exécu-
tion. Parfois un peu de maladresse et de gaucherie,
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l'évolution dk la volonté t^7
résultant du manque d'habitude, vient la troubler.
En ce cas, les caractères de l'exécution ne dépendent
pas complètement des caractères de la décision,
mais de ses rapports avec l'activité ordinaire de l'es-
prit. On peut déciiler péniblement des projets très
faciles à exécuter, et réciproquement. Toutefois en
ce dernier cas, de nouvelles décisions, comme nous
l'avons vu, doivent intervenir et le pouvoir person-
nel a de nouvelles occasions de s'exercer, ce qui com-
plique la question sans la changer essentiellement.
A mesure que le pouvoir personnel se rapproche
de l'automatisme l'exécution prend, elle aussi, un
caractère général de régularité, en tant que, comme
cela est assez ordinaire, les décisions qu'il s'agit
d'exécuter perdent en grande partie leur caractère
de nouveauté et deviennent, à bien des égards, au
moins, et de plus en plus babil uel les. En revanche
l'exécution, comme la décision, d'actes inaccoutumés,
quand la nouveaulé dépasse un certain degré et que
l'adaptation devient pins difficile, se fait, en même
temps, de plus en plus pénible.
§11. — Les formes intermédiaires et les formes
composées.
Nous avons étudié surtout les Cormes extrêmes de
la volonté : les caprices et le pouvoir personnel. La
première exprime une très faible partie de la person-
nalité, la seconde exprime la personnalité presque
entière. De l'une à l'autre il y a bien des intermé-
diaires que j'ai à peine indiqués mais qu'il est assez
facile de restitue^. Il est en effet bien des acles de
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1^8 LA VOLONTÉ
volonté qui, sans engager la personne entière, en
engagent cependant une assez grande partie, qui
sont, beaucoup plus qu'un caprice et bien moins
qu'un acte de volonté réfléchie, une manifestation
d'un pouvoir personnel bien coordonné. C'est ce qui
arrive par exemple chez les impulsifs. On ne pour-
rait définir leur manière d'être en l'appelant une ac-
tivité capricieuse. Ce nom s'appliquerait assez mal, par
exemple, à des caractères comme celui de Benve-
nuto Cellini. Les impulsifs ont souvent des passions vio-
lentes et dont le fond est très durable si les explosions
en sont soudaines et parfois assez brèves. D'un autre
côté on ne peut pas dire que le pouvoir personnel
soit bien développé chez eux puisque, réellement, ils
ne se possèdent pas, puisque leurs désirs, certains de
leurs désirs au moins, sont assez puissants pour do-
miner absolument la personnalité lorsqu'ils viennent
à se manifester, lorsque quelque circonstance, par-
fois insignifiante, les déchaîne. Leur activité est donc
intermédiaire entre l'activité capricieuse et le pou-
voir personnel. Elle exprime plus qu'un désir passa-
ger et bien moins qu'une personne entière. (Je sup-
pose, bien entendu, que nous ne considérons que
les impulsifs chez qui, comme il est fréquent, la per-
sonnalité est assez divisée. En certains cas l'impulsi-
vité peut se rattacher à des caractères psychologiques
différents et elle est alors elle-même une autre chose.)
Du caprice à l'impulsion et de l'impulsion à la vo-
lonté réfléchie on peut encore placer bien des degrés.
Il y a là une série de types sensiblement continue et
l'on peut passer aisément de l'un à l'autre.
De plus il est fréquent que ces différents types
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l'évolution de la volonté i4o,
s'associent plus ou moins dans un même individu.
Si la prédominance de Tune des différentes formes
de l'acte de volonté donne différents types, il ne
faut pas en conclure que ces formes s'excluent au
point de ne pouvoir subsister dans un même esprit.
Rien n'est plus fréquent au contraire que de voir
un homme capricieux sur certains points et réfléchi
en certains cas, impulsif quand il s'agit de certains
sentiments et, à d'autres égards, plein d'empire sur
lui-même. C'est que tous nos sentiments, toutes nos
idées, toutes nos tendances ne sont pas développés
également et associés aux autres de la même manière,
— et pour toutes sortes de raisons, — et qu'il en est
de même et de leurs éléments et de leurs composés,
depuis la plus mince combinaison de phénomènes qui
ait le droit de s'appeler un désir jusqu'à l'ensemble
de la personnalité et à ses grandes subdivisions.
§12.
La volonté est une chose très variable, un phéno-
mène dont les formes différentes sont extrêmement
loin de se ressembler entièrement. Nous n'avons pas
épuisé la série des distinctions qu'on peut établir entre
elles. Cependant nous avons montré comment elle
différait de l'automatisme et de l'imitation et com-
ment elle leur ressemblait, nous avons vu comment
les actes de volonté pouvaient différer les uns des
autres dans leurs rapports avec la personnalité. Nous
devons voir, à présent, comment ils peuvent diffé-
rer les uns des autres selon les phénomènes psychiques
qu'ils dirigent.
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CHAPITRE VIII
LE DOMAINE DE LA VOLONTE
La volonté prend des formes diverses selon les objets
auxquels elle s'applique, selon les faits qu'elle coor-
donne. Ces formes diffèrent assez Tune de l'autre pour
qu'on ait pu souvent méconnaître leurs ressemblances.
Par exemple les rapports de la volonté et de la croyance,
de la volonté et de l'invention ne sont pas étudiés et
connus en partie depuis fort longtemps. Et l'on ren-
contre encore beaucoup d'erreurs très généralement
adoptées qui ont pour point de départ une insuffisante
analyse des caractères essentiels et généraux de la
volonté et des différents phénomènes concrets auxquels
ils peuvent s'associer. Il y a une certaine tendance
dont il faut se défier dans l'appréciation des différentes
classes d'esprits, à confondre la volonté avec l'acti-
vité motrice.
D'autre part, si la volonté a des formes plus variées
qu'on ne l'a souvent voulu reconnaître et si, par là,
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LE D0MÀ1SE DE LA VOLONTÉ t5l
son domaine est plus étendu qu'on ne Ta peut-être
pensé, cependant ce domaine a certaines limites. Ceci
est une vérité qui est très généralement acceptée et
qui ne soulève aucune difficulté — sous les réserves
que nous avons indiquées plus haut et aussi en réser-
vant certaines interprétations métaphysiques ! dont je
n'ai pas à m'occuper ici. Tout le monde distingue
plus ou moins un fait involontaire d'un acte volon-
taire. L'empire de la volonté ne s'étend pas sur tout
l'esprit.
La considération de ces diverses formes el de ces
limites de la volonté soulève bien des problèmes inté-
ressants. Je voudrais, à présent, en examiner quel-
ques-uns.
Pour cela nous devons revenir sur quelques points
de l'analyse de l'acte volontaire et indiquer aussi
quelques points nouveaux que nous n'avons pas encore
eu besoin de considérer et que d'ailleurs nous ne pou-
vions examiner utilement qu'après avoir éLudié le
pouvoir personnel.
§ 2. — Conscience et volonté.
L'acte de ^volonté, surtout l'acte de volonté réfléchie,
la volition sous sa forme la plus accentuée, est une
chose très complexe et comprenant beaucoup d'élé-
ments différents, des désirs, des idées» des tendances,
des souvenirs, des images anticipées de l'avenir, des
i . Celle de Schopenhauer, par exemple.
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I 52 LA VOLONTÉ
représentations de mouvement, des sensations d'effort,
des sensations diverses associant les divers organes du
corps, des représentations plus ou moins compliquées
de ce qui se passe dans le moi, et aussi un grand
nombre d'éléments plus ou moins inconscients, d'ac-
tions automatiques très variées.
C'est une croyance assez naturelle que la volonté
est un acte essentiellement conscient. Cette croyance
n'est pas absolument erronée, car la conscience de
certains phénomènes est, en effet, un des caractères qui
peuvent servir à distinguer la volonté de l'acte réflexe
H de certaines formes inférieures de l'automatisme.
La conscience de la volonté même, la connaissance de
la synthèse même qui s'opère peut distinguer la volonté
de certaines formes de l'automatisme supérieur. Mais
cette croyance est assez grossière et, en somme, par
quelques points, inexacte. Elle s'accompagne généra-
lement d'opinions fausses sur la nature de la conscience
et aussi sur la nature et la portée de l'influence de la
Yolition.
Tout d'abord on se trompe en croyant à une con-
science qui nous révèle immédiatement et sans erreur
possible les actes et les états de l'esprit. La conscience
est une connaissance relative et non immédiate, comme
la perception externe. Nous connaissons nos désirs et
nos opinions exactement comme nous percevons un
mouvement, une couleur, une résistance quelconque,
et notre conscience, si l'on veut employer ce mot,
ne constitue pas plus le fait psychique que nous con-
naissons que notre perception ne constitue le mouve-
ment ou la résistance, elle a avec lui exactement les
mêmes rapports. Je ne saurais examiner ici la ques-
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LE DOMAINE DE LA VOLONTÉ l53
tion de psychologie générale et les problèmes philo-
sophiques que soulève cette conception de la con-
science. Il me suffit de l'indiquer et d'en voir les-
applications relativement à la psychologie de la vo-
lonté.
Il y a, dans un acte de volonté, bien des éléments
conscients. L'expérience nous le montre chaque jour.
Il y a aussi bien des éléments inconscients. Ce qui
est conscient, c'est souvent quelques-uns des désirs
qui nous poussent, qui s'harmonisent, qui s'associent
pour nous inciter à agir ou qui luttent l'un contre
l'autre, c'est aussi une bonne partie des idées qui
les appuient ou qui les composent, c'est encore, dans
la décision, une partie des fins poursuivies, c'est un
sentiment d'effort, d'autres phénomènes encore qui
constituent des éléments de la délibération, de la déci-
sion ou de l'exécution, c'est enfin le fait total de la
volition perçu comme tel, le « je veux », la con-
science de la décision prise, en qui l'on aurait jadis
vu volontiers le phénomène essentiel de la volonté et
qui se retrouve surtout dans les actes du pouvoir
personnel.
Les phénomènes inconscients qui constituent aussi
pour leur part l'acte de volition sont, au fond, de la
même nature que les autres. On retrouve dans tout
fait de volition des désirs inconscients et des idées
inconscientes, des tendances qui passent à peu près
complètement inaperçues et insoupçonnées. Ni les
moyens, ni les fins ne sont jamais complètement con-
scients et, en certains cas, il semble bien que ni les prin-
cipales fins, ni les principaux moyens ne sont conve-
nablement appréciés de celui qui veut.
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?x*««P^.
l54 LA VOLONTÉ
Tour les principaux désirs cela est si évident que
Ton se demanderait >comment on a pu admettre la
théorie de la conscience immédiate des états psychiques
si Ton ne savait combien la contradiction est naturelle
n l' homme. Il est très rare qu'on se rende compte des
motifs qu'on a de faire une action ou d'être tenté de
la faire. Rien n'est plus ordinaire que de s'illusionner
sur leur nature par amour-propre, par amour de l'ordre
el du convenu, par idée préconçue, par simple igno-
rance. Tout le monde a remarqué certainement des
erreurs de ce genre. Avec un peu d'habitude, au reste,
on arrive vite à reconnaître en soi-même combien nous
sommes ignorants au sujet de ce qui se passe en nous.
Il nous est souvent impossible, si nous sommes de
bonne foi , rie dire pour quelle part les motifs désintéres-
sés, l'amitié, la pitié, l'admiration, le zèle pour le bien
public ou pour un idéal abstrait entrent dans nos dé-
cisions et jusqu'à quel point elles sont déterminées en.
même temps par l'amour-propre, l'intérêt et quelque-
fois par de petits sentiments éveillés au hasard. Au
reste ce n est pas un fait extrêmement rare que l'on soit
inquiet sur ses propres intentions et qu'on se demande
avec anxiété si l'on ne se méprend pas sur le sens de
ses propres actes.
S'il fallait illustrer par un exemple des faits géné-
raux bien connus de tous ceux qui s'intéressent à
l'étude de l'homme, on pourrait choisir les effets de
la tendance sexuelle. Il est très fréquent que cette
tendance pousse l'homme et la femme à une quantité
d'actes dans lesquels son intérêt n'est nullement aperçu
tout d'abord. A ses débuts elle est même souvent
ignorée et tout à fait méconnue, parfois on n'en soup-
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LE DOMAINE DE LA VOLONTÉ l55
çonne pas le sens, ni même l'existence et Ton « veut »
sans savoir pourquoi ni comment.
Quant aux moyens, il est également évident que
nous les voulons, en général, implicitement et sans
nous en rendre compte. On a depuis longtemps fait
remarquer que lorsque Ton veut remuer son doigt,
on ne veut nullement, d'une manière consciente, les
moyens employés. Un anatomiste seul pourrait avoir
une conscience claire de ce qu'il voudrait faire, quand
il se décide à accomplir un mouvement, encore pour-
rait-il peut-être se tromper en certains cas sur quel-
ques détails et en ignorerait-il toujours un grand
nombre. Mais comme j'ai eu déjà l'occasion de le faire
remarquer, quel que soit l'acte voulu, ce que nous
voulons réellement est bien autre chose que ce que
nous avons conscience de vouloir. L'acte de volonté
comprend une immense quantité d'éléments automa-
tiques d'abord, mais il implique aussi de futurs actes
de volonté qui sont déjà décidés sans que nous en
ayons conscience. Si je veux, par exemple, partir pour
la Hollande, ma décision implique l'accomplissement
d'un grand nombre d'actes automatiques et aussi
d'actes dont j'aurai conscience sans que je pense le
moins du monde à tous ces actes, sans que j'aie con-
science de les vouloir, pas plus que je n'ai connaissance
de tous les mouvements musculaires que je vais pro-
voquer quand je décide de lever le bras en l'air ou de
poser ma main sur ma tête.
Sans doute, très souvent les volitions secondaires ne
sont pas toutes étroitement engagées d'avance. Notre
volonté principale, l'ensemble de notre esprit avec
toutes ses dispositions et toutes ses idées, avec l'en-
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iTïfi LA VOLONTÉ
semble de nos dispositions organiques, ne donnent
mie quelques-unes des conditions de nos volitions
secondaires. Elles seront complétées plus tard par les
conditions diverses que le hasard nous fournira et
pourront varier avec ces conditions. Par exemple, si
je décide d'aller prendre le train à une gare un peu
éloignée de chez moi, à Paris, il se peut que je ne
» >is pas décidé à l'avance à prendre un omnibus ou
une voiture pour me rendre à cette gare, si je me
déride à inviter des amis à dîner, je puis hésiter encore
^nr le jour pour lequel je les inviterai. Selon les diverses
< iivonstances encore inconnues de moi qui se présen-
teront je me déciderai d'une manière ou de l'autre.
\nanmoins, je suis déjà engagé jusqu'à un certain point
H d'une manière un peu abstraite à me décider d'une
manière ou de l'autre, mais de façon à ce que cette
décision s'accorde avec la décision principale que j'ai
formellement prise.
On a parfois si peu conscience des volitions secon-
daires qui s'ébauchent ou se décident même par le
imil fait de la volition principale qu'on est sur-
pris de voir à quoi l'on s'était engagé et que lorsqu'on
s'en rend bien compte on est tenté de reculer, de
revenir en arrière. Parfois on est engagé, suggestionné
\mv soi-même, on n'ose revenir sur sa décision et l'on
- aperçoit qu'on a voulu un acte qu'on aurait énergi-
i| Elément refusé d'accomplir si l'on avait bien su ce
qu'on faisait. Parfois aussi ce heurt suffit pour réveiller
dans l'esprit les tendances inhibées par l'acte de volonté,
ï h )ur faire renaître de nouvelles hésitations, pour défaire
r effet de la décision première et susciter une volition
nouvelle.
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LE DOMAINE DE LA VOLONTE
§ 3. — Le a je veux ».
Notre ignorance à l'égard des éléments de l'acte
de volonté, et de l'ensemble même de cet acte est
donc naturellement considérable, contrairement aux
premières apparences. Cette ignorance est encore
très grande à l'égard de l'acte du pouvoir personnel
proprement dit, à l'égard du « fiât » du « je veux »,
et c'est de ce point qu'il faut nous occuper à présent
en analysant le « je veux ». Les illusions spontanées
sur ce sujet sont à peu près inévitables.
Le « je veux » ne suffit pas à constituer un véri-
table acte de volonté, et même il n'y est pas indis-
pensable. J'entends par là que nous pouvons avoir
parfois la conscience illusoire d'une volition réelle
sans que cette volition se produise, sans que la syn-
thèse nouvelle d'idées et de sentiments qui la cons-
tituerait se soit produite, et que d'autre part cette
synthèse se produit parfois sans que nous en ayons
une idée bien nette, sans que nous nous disions que
nous voulons telle ou telle chose. La conscience de
l'exercice du pouvoir personnel est souvent associée à
la vraie volition, elle n'est ni suffisante, ni tout à
fait nécessaire pour la constituer.
Elle n'est pas suffisante. En effet le moi qui est
représenté dans la conscience n'est pas toujours le
moi réel, le moi actif et agissant. Notre représenta-
tion de notre propre personnalité est symbolique,
comme toutes nos représentations d'ensemble, comme
notre représentation de la France ou de l'Europe,
mais elle est aussi incomplète et erronée. Nous y
Vfjji"
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l58 hk VOLONTÉ
faisons aussi une part trop grande à certaines ten-
dances, à certains sentiments (ou aux états de con-
science qui les représentent) au détriment de
certaines autres. Quand nous disons « je », ce que
nous désignons ainsi, ce n'est pas, en bien des cas,
notre vraie personnalité, c'est notre moi tel que
nous arrivons à nous le figurer.
Parfois cela n'entraîne pas de graves inconvé-
nients. Quand je dis : je marche, par exemple, il
importe peu que je me fasse de moi telle ou telle
idée, je ne me tromperai pas en général et je ne
tromperai pas les autres sur ce fait que je marche. Le
moi qui marche pourra bien ne pas être tel que je
le crois, mais que ce moi, quel qu'il soit, marche,
c'est un fait sur lequel il est aisé de s'entendre et qui,
dans les conditions normales, ne prête guère à
l'illusion.
Il n'en est plus tout à fait de même si je
dis : « je suis bon » . Ici l'affirmation porte sur une
qualité du moi au sujet de laquelle celui qui affirme
peut très bien se tromper, quel que soit le témoi-
gnage de son sens intime. Il n'affirme sa bonté
qu'en interprétant dans un certain sens les données
de son expérience interne. Et bien souvent il se
trompe sur certaines impressions qu'il a eues, il
peut attribuer à la tendresse des émotions qui
proviennent de l'amour-propre ou de l'intérêt, de
plus il peut négliger aussi bien des impressions,
bien des souvenirs qui contrediraient son diagno-
stic. Quelle que soit l'idée que nous nous fassions de
notre moi, elle ne nous conduira guère à nous trom-
per sur un fait comme l'action de marcher mais
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LE DOMAINE DE IA VOLONTÉ l5^
elle pourra très bien au contraire nous induire en
erreur sur une disposition générale conime la bonté,
l'avarice, la tendance à la rancune.
Elle peut même très bien nous amener à l'er-
reur sur un fait particulier se rattachant à ces dis
positions générales. Nous nous trompons très son
vent sur notre état d'âme, on entend dire à de*
gens furieux : je ne suis pas en colère, sans qu'il*
mentent précisément, ou bien encore on surprend
des affirmations comme celle-ci « moi, je ne suies
pas superstitieux, mais je n'aime pas être treize a
table » où, quoique l'interprétation puisse laisser
place à quelque doute, la contradiction paraît bien
au moins probable. Souvent on se méprend sur ses
émotions, sur le sens de ses impressions, parfois sur
son plaisir ou sa peine. Il est des gens qui se croient
heureux d'événements qui, au fond, leur sont philo t
désagréables.
A la racine de ces erreurs et des mensonges qui
les accompagnent et parfois les remplacent, on trouvv
souvent une idée préconçue du devoir, une con-
ception de ce qu'on doit être avec un désir puissant
d'être tel qu'on le doit. On ne voudrait ni s'avouer,
ni même se savoir autre qu'il ne convient d'être.
Alors on interprète ses impressions en les torlu
rant. L'idée dominante n'en laisse arriver à la cou
science que ce qui peut s'accorder avec elle et il se
produit une illusion tout à fait semblable par le mé-
canisme à des illusions sensorielles, aux illusions
visuelles qui se produisent par exemple, quand T in-
fluence d'un sentiment, d'un souvenir, d'une idée
préconçue, d'une habitude de l'esprit, dénature une
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ï6o LA VOLONTÉ
perception en en exagérant certains éléments, en en
in h il tant certains autres. Tel est, entre mille, le cas
du lapsus visuel de M. Egger lisant, par un coup
<Tœil rapide, Velpeau, sur une affiche qui portait l'ins-
criphon Ville de Pau.
Si nous regardons de près les illusions du sens
intime que nous venons d'indiquer, nous voyons que
\o moi y est considérablement morcelé. Le « je suis
hon » pensé par un homme qui n'est pas bon, im-
plique que ce qu'il considère comme son moi n'est
ru milité qu'une faible partie de son moi à laquelle
viennent s'associer un système d'idées et de senti-
un ni s qui ne pouvaient nullement s'harmoniser avec
le moi réel. Toute une grande partie du moi réel,
tous les sentiments, toutes les impressions, toutes
tes lendances, toutes les idées auxquelles l'idée de
honte ne pourrait s'associer sont systématiquement
écartées de cette représentation du moi. Le reste, dé-
figure et complété, représente le moi entier bien
souvent comme un député représente ses électeurs,
et est associé par l'esprit à toutes les conditions
stables de la personnalité, à la cènes thésie, aux fonc-
tions organiques vaguement perçues et à tous les
cléments, indifférents à telle ou telle qualité morale,
qui contribuent à former l'idée et le sentiment de
noire personnalité.
Le « je veux » repose souvent sur une illu-
sion de ce genre. Le « je » auquel on attribue la
volonté n'est pas toujours le véritable moi. Nous
avons eu déjà l'occasion de relever quelques-unes
des illusions de la volonté. Il en est de nombreuses
et d<5 significatives, qui se rapportent aux erreurs
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LE DOMAINE DE LA VOLONTÉ l6l
dont je viens de parler, et qui nous trompent sou-
vent sur la nature et la portée de nos volitions
ou de nos velléités. Quand le moi qui veut est
trop fragmentaire, trop différent du moi réel, com-
pris dans sa plénitude, la volition est faible, ineffi-
cace, ce n'est plus guère qu'une apparence de volition,
une impuissante velléité. Il ne représente plus qu'une
partie insignifiante des vrais désirs et des tendances
solides de la personnalité. Je le comparerais volon-
tiers à un roi qui ne serait pas en harmonie d'idées
et de sentiments avec son peuple et ne pourrait faire
exécuter par lui ses décisions, il resterait sans auto-
rité et sans force. Le moi est incapable de rien exé-
cuter de difficile sans l'ensemble des tendances et des
désirs, c'est d'eux qu'il tire sa principale force, comme
le roi la tire de son peuple.
Et il arrive assez souvent que les raisons, les mo-
tifs les plus conscients, ceux qui frappent le plus
vivement le moi apparent et l'émeuvent sont prési-
siment ceux qui ont le moins d'influence sur les
désirs naturels, les tendances organisées déjà. Ils
correspondent précisément aux situations nouvelles,
aux changements dans l'existence, à tout ce qui
n'est pas encore suffisamment systématisé pour faire
partie de la vie automatique. Ce sont en même
temps, bien souvent, les désirs, les idées qui offrent
un caractère moral et nous semblent s'imposer à nous
comme un devoir à réaliser et comme correspondant,
en même temps, à des tendances que nous estimons
exister chez nous, que nous ne voudrions pas ne pas
y trouver.
Cette opinion souvent un peu conventionnelle que
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IÔ2 LA VOLONTÉ
nous avons de nous et de ce que nous devons faire
détermine de nombreuses illusions de la volonté.
Nous nous imaginons vouloir des choses que nous ne
voulons pas en réalité, que notre vrai moi, mal repré-
senté dans la conscience que nous en avons, ne veut
pas et ne peut pas vouloir. On prend ainsi, ou l'on
voit prendre aux autres des résolutions généreuses, et
parfois des décisions héroïques. Elles sont accompa-
gnées du sentiment que Ton veut réellement. Seule-
ment le moi qui a voulu n'est pas celui qui est ca-
pable d'exécuter. Et c'est ici que l'exécution vient
utilement servir de pierre de touche et nous renseigner
sur la valeur et la portée, c'est-à-dire sur la réalité
même de nos décisions. Il est toujours relativement
facile, pour une âme un peu étourdie et qui se
connaît mal, de se complaire en des résolutions
qui flattent certains de ses penchants. Mais quand
le moment de l'exécution arrive, on voit combien la
synthèse volitive avait été faible, partielle, et demeu-
rait instable. Le vrai moi s'éveille, les tendances, les
intérêts que le petit jeu d'imagination de la velléité
antérieure avait laissés indifférents se raniment et
dirigent l'activité dans un tout autre sens que ne
l'aurait cru un observateur naïf, et, bien souvent, que
ne le croyait l'agent lui-même.
Rien de plus commun que ce fait de la décision
prise avec une bonne foi relative et ne pouvant, mal-
gré tout, aboutir à l'exécution. Rien de plus ordinaire
que d'entendre dire : «je veux faire », «je ferai »,
«je dirai », « je ne souffrirai pas que... », « je
ne veux pas supporter. . . » par des personnes qui ne
feront rien, qui ne diront rien, qui supporteront
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LE DOMAINE DE LA. VOLONTÉ l63
parfaitement, mais qui se dupent elles-mêmes (dans
une mesure d'ailleurs très variable) et que le méca-
nisme que je viens d'analyser aveugle sur leur volonté
réelle.
Aussi le « je veux », la conscience de la volition,
peut être erronée et ne suffit pas du tout à l'acte de
volonté. Cependant il répond bien à une certaine
réalité. Il répond à la synthèse du moi, tel qu'il est
représenté dans la conscience, avec certaines idées,
certaines représentations d'acte. Ce phénomène pré-
sente bien quelques-uns des caractères de la volition
réelle, mais l'efficacité lui fait défaut. Cette effica-
cité il ne pourrait la tirer que de ce qui lui manque,
de l'ensemble des désirs et des tendances qui restent
en dehors de lui. Il est une synthèse trop partielle
et trop incomplète, il est en somme, malgré les ap-
parences, un élément devenu indépendant.
Au reste il n'est pas impossible à l'observation
intérieure d'arriver à démêler la vraie et la fausse
volition. Avec un peu d'habitude et de bonne foi
vis-à-vis de nous-même, nous parvenons à reconnaître
que certaines décisions prises à de certains moments,
sous l'influence d'un sentiment passager, bon ou mau-
vais, attendrissement ou colère, par exemple, ne tien-
dront pas lorsqu'il faudra passer de la résolution à l'ac-
tion, que des résolutions auxquelles nous a conduits
une délibération même longue en présence et sous
l'influence de certains témoins s'affaibliront et s'an-
nuleront quand ces témoins ne seront plus là et malgré
la conscience que nous avons bien pu croire consta-
ter en nous de leur solidité. Et nous arrivons à
juger ainsi, la plupart du temps, par le souvenir
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l64 LA VOLONTÉ
des cas antérieurs analogues au cas présent plutôt
que par les avertissements que notre conscience nous
donne sur le moment même, bien que la perception
interne puisse aussi se développer et reconnaître bien
des nuances et même voir des faits assez gros qu'elle
ne pouvait tout d'abord distinguer.
On voit, il me semble par ce qui précède, en quoi
j'accepte certaines idées de M. Ribot, et comment aussi
je meséparede lui. « La volition, dit M. Ribot, que les
psychologues intérieurs ont si souvent observée, ana-
lysée, commentée, n'est donc pour nous qu'un simple
état de conscience.. Elle n'est qu'un effet de ce travail
psycho-physiologique, tant de fois décrit, dont une
partie seulement entre dans la conscience sous la
forme d'une délibération. De plus, elle nest la cause
de rien. Les actes et mouvements qui la suivent résul-
tent directement des tendances, sentiments, images
et idées qui ont abouti à se coordonner sous la forme
d'un choix. C'est de ce groupe que vient toute l'effi-
cacité. En d'autres termes, — et pour ne laisser aucune
équivoque, — le travail psycho-physiologique de la
délibération aboutit d'une part à un état de con-
science, la volition, d'autre part à un ensemble de
mouvements ou d'arrêts. Le a je veux» constate une
situation, mais ne la constitue pas l » . Je pense que la
volition est autre chose qu'un état de conscience et
qu'elle peut exister sans que nous le sachions bien
nettement, elle est une synthèse d'éléments divers et
comme telle elle peut être active et efficace. Quand
elle est consciente, ses conditions et sa nature chan-
i. Ribot, Maladies de la volonté, p. 175.
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LE DOMÀTNE DE LA VOLONTÉ 1 65
gent un peu, mais je ne crois pas qu'on puisse rap-
porter son influence au côté conscient plutôt qu'au
côté tactile ou visuel du phénomène, si la conscience
est une perception comme les autres. Ce qui est par-
faitement exact, c'est qu'on rencontre assez souvent
une volition consciente qui peut être inefficace et
impuissante, parce qu'elle est un illusion du sens
intime, et qu'elle ne correspond pas à la réalité du
moi. Mais elle répond bien toujours à la réalité d'une
partie du moi, et, à ce point de vue, si son action
est faible et souvent presque nulle, elle ne l'est pas
absolument. Elle a toujours, en tant que synthèse
nouvelle, la force des sentiments et des idées qu'elle
synthétise. Et elle a beau être faible et illusoire elle
correspond toujours à quelque réalité, et garde tou-
jours quelque force. Je crois dpnc que le « je veux »
ne constate pas toujours la situation aussi bien qu'il
le semble et qu'on est porté à l'admettre, mais aussi
qu'il la constitue dans une certaine mesure, bien
moindre que nous ne serions portés à le croire par
suite de l'illusion si naturelle et si fréquente du sens
intime.
§ fa. — Le a je veux » nest pas nécessaire à la
volition.
La conscience de la volition et les phénomènes
qui l'accompagnent et la provoquent ne sont pas suf-
fisants pour constituer une volition réelle et effi-
cace, ni même pour la déceler sûrement. Ils en sont
parfois le signe, mais parfois aussi ils n'indiquent
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4ÊË
l66 LA VOLONTÉ
qu'une apparence, c'est-à-dire une réalité fragmentaire
et superficielle.
Non seulement ils ne sont pas suffisants pour con-
stituer la volition, mais ils ne sont pas non plus né-
cessaires. Il arrive très souvent qu'il se forme en nous
une synthèse nouvelle et active de phénomènes
psychologiques sans que nous pensions à nous dire :
«je veux. » Nous pouvons vouloir sans penser que
nous voulons, comme nous pouvons penser sans pen-
ser que nous pensons.
Assurément cette inconscience n'est pas absolue
mais elle est réelle. Ce qui est conscient, c'est sou-
vent, plus que la volition elle-même, les sentiments,
les désirs qui la provoquent. Encore cette conscience
est-elle en bien des cas implicite, un peu comme la
conscience des mots quand nous lisons un livre
qui ne nous donne aucune peine. C'est-à-dire que
notre état, quoique très précis, ne se manifeste à
nous que par des signes, des symboles que nous
sentons que nous pourrions interpréter si nous le
voulions, mais que nous nous contentons de per-
cevoir vaguement et surtout d'utiliser sans chercher
à les traduire. Une conscience — ou une incon-
science — semblable de la volition prise dans son
ensemble est assez ordinaire aussi. Nous n'avons
pas précisément conscience de vouloir, nous ne nous
disons pas positivement « je veux telle chose » mais
nous avons cependant une certaine connaissance de la
décision qui se forme en nous, sans chercher à l'anse
lyser et à en préciser le caractère psychologique.
La volonté n'est pas dans ce cas-là moins efficace,
elle n'exprime pas moins la nature essentielle de la
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■ W' * *
Le domaine de La Volonté 167
personnalité. A vrai dire on peut considérer cette di-
minution de la conscience comme un pas fait vers
l'automatisme, mais il n'y a pas de limite précise
entre l'automatisme et la volonté. Il y a toujours
quelque automatisme dans une volition quelconque-
Dans ces conditions les formes les plus rapprochées
de la volonté la plus caractérisée doivent être consi-
dérées encore comme se rattachant à la volonté
bien plus qu'à l'automatisme. Elles en présentent
d'ailleurs les caractères essentiels : la nouveauté
de la synthèse, les trois phases caractéristiques : dé-
libération ou hésitation, décision et exécution, et
elles sont bien plus éloignées de l'inconscience et de
la régularité que l'automatisme.
Il faut bien se rendre compte, en tout cas, que ce
qui importe pour l'efficacité de la volition, ce sont
les désirs et les idées qu'elle synthétise en un fait
nouveau, et non la conscience que nous avons de
cette synthèse. Ce qui importe, ce n'est pas que le
moi se dise qu'il prend telle ou telle résolution, cY*L
qu'il la prenne réellement. Et s'il lui arrive de se
dire qu'il la prend sans la prendre en effet, il lui
arrive aussi de la prendre sans songer beaucoup à se
\e dire. La conscience même n'a de valeur que
par le désir dont elle témoigne, par la petite
synthèse dont elle est l'indice. Lorsqu'elle est seule,
avec son seul cortège obligatoire de phénomè-
nes psycho-physiologiques, elle ne suffit pas à assu
rer l'efficacité du vouloir, et lorsqu'elle fait plus ou
moins défaut, pourvu que la synthèse nouvelle des
idées et des sentiments s'opère, l'efficacité du vouloir
est assurée par cela même.
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l68 LÀ VOLONTÉ
§ 5. — Le domaine de la volonté. La volonté et les
autres phénomènes psychiques.
Ainsi l'efficacité de la volonté c'est surtout l'effica-
cité des désirs et des idées qui en sont les éléments,
c'est aussi l'efficacité de l'ensemble dans lequel elle les
unit, car toute synthèse mentale agit comme ensem-
ble, elle constitue une sorte de désir nouveau, de
tendance nouvelle, de force nouvelle. En tout cas
elle est un nouvel élément de l'esprit agisssant selon
sa nature propre, et suscitant les phénomènes qui la
complètent, qui constituent l'exécution de la volition.
Le domaine delà volonté a des limites. Dans notre
personnalité les divers éléments lui sont plus ou moins
soumis, peuvent plus ou moins être influencés par
elle, il en est sur lesquels sa prise est généralement
considérée comme nulle, c'est-à-dire qu'ils ne sont
pas influencés par les nouvelles synthèses psychiques
qui sont des volitions. Nous verrons avec quelles
réserves et quelles interprétations il faut accepter cette
idée. t
Ce domaine de la volonté varie extrêmement d'une
personne à l'autre et aussi chez une même per-
sonne, selon le temps et les circonstances. Il n'a
rien d'absolu. De plus entre les états du moi qui
échappent à la volonté et ceux qui lui sont soumis,
on trouve, au point de vue psychologique, toutes les
transitions possibles. Et ces transitions ne s'établissent
pas d'une manière fixe, mais on peut dire qu'elles
sont constamment plus ou moins en train de varier.
Il est des états, des actes qui tantôt sont soumis à
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MjJMi '
LE DÔMAtNË t)E LA VOLONTE 169
la volonté, tantôt se laissent un peu influencer par
elle et tantôt lui échappent pour être parfois reconquis
ensuite.
Sous le bénéfice de ces observations nous pouvons
constater l'existence de toute une zone de phénomènes
qui sont assez bien soumis, plus ou moins directement,
à la volonté. Par exemple, à l'état normal, les mouve-
ments ordinaires de nos membres sont assez rigou-
reusement sous sa dépendance, au moins chez l'adulte,
une fois qu'a été fait l'apprentissage nécessaire et que
les premiers réflexe sont été coordonnés, et, en même
temps, analysés plus ou moins instinctivement au fur
et à mesure de la formation et de l'organisation du
moi. Il suffit que je veuille écrire, si toutes les condi-
tions extérieures nécessaires sont réunies, pour que ma
main fasse les mouvements appropriés. Il suffit que
je veuille marcher pour que je marche en effet, et si
je veux remuer la tête, c'est bien la tête que je
remue.
En outre nous pouvons agir volontairement sur
les phénomènes de la vie psychique et cette action
est régulière et précise. Je puis me rappeler à vo-
lonté certains événements, certaines dates, certaines
notions scientifiques. Il y a ainsi en nous une
foule d'idées virtuelles que nous pouvons évoquer
dès que nous en prenons la décision. Nous pouvons
de plus, jusqu'à un certain point, les faire vivre un
moment en nous, les faire prédominer quelques instants
dans le champ de la conscience, et c'est ce qu'on
appelle l'attention. L'attention, en effet, qu'elle s'ap-
plique à des idées, à des sentiments, à des images est,
sous certaines de ses formes au moins, car il faut faire,
Paul» an. 10
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Î^Ô LA VOtONTE ,
avec M. Ribot, la part très large à l'attention
spontanée 1 , une manifestation de la volonté. L'at-
tention spontanée ne s'oppose pas d'ailleurs abso-
lument à l'attention volontaire. Chacun a remar-
qué qu'il peut, en bien des cas, penser à ce qu'il
veut. Sans doute souvent l'enchaînement des idées
se fait automatiquement et sans l'intervention de
la volonté, mais il arrive aussi que la volonté
intervienne, d'une manière plus ou moins nette et
plus ou moins marquée. Les conditions qui lui sont
nécessaires sont, en effet, souvent réunies, je veux
dire un certain degré de perfectionnement de l'auto-
matisme et en même temps son insuffisance à régler
d'une manière tout à fait convenable le jeu des idées et
leurs combinaisons.
L'invention dont j'ai eu souvent à faire remar-
quer les analogies avec la volonté peut elle-même
être considérée, en bien des cas, comme une appli-
cation de la volonté se portant vers certaines combi-
naisons d'idées et d'images. Il y a, en effet, toujours
ou presque toujours quelque chose de volontaire dans
l'invention. Les tâtonnements qui la précèdent sont
des essais assez semblables à la délibération, ils con-
stituent une sorte de délibération intellectuelle, en tant
qu'ils consistent à éprouver l'accord de quelques ten-
dances intellectuelles avec quelques idées, quelques
images qui doivent les compléter. C'est le cas de
l'élève qui examine un problème, et essaye plusieurs
solutions, ou même plusieurs méthodes pour arriver
à trouver la bonne réponse. C'est le cas de l'auteur
i. Voir Ribot, Psychologie de l'attention. Paris, Alcan, 1889.
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LE DOMAINE DE LA VOLONTÉ I7I
qui évoque plusieurs dénouements possibles pour un
roman, plusieurs combinaisons possibles pour le déve-
loppement d'une intrigue. Il y a sans doute, en tout
cela, autre chose que des phénomènes de volonté mais
les phénomènes de volonté y sont et y tiennent une
place considérable.
La formation de nos croyances implique aussi une
bonne part d'intervention de notre volonté. Le choix
d'une croyance n'est pas moins volontaire que celui
d'un acte. Sans doute l'évidence, au moins apparente,
peut parfois ne pas nous laisser le choix entre plusieurs
croyances et en imposer une d'emblée à notre auto-
matisme intellectuel, mais la nécessité, l'utilité au
moins apparente peut aussi bien parfois ne pas nous
laisser le choix entre plusieurs actes et en imposer un,
d'emblée, à notre automatisme affectif.
Dans le mécanisme des phénomènes, tout se passe
de même, en somme, qu'il s'agisse d'adopter une
croyance ou de décider un acte. Nous examinons les
différentes opinions en les mettant en rapport avec
les idées acquises, avec les habitudes, les tendances
intellectuelles déjà formées, et aussi avec nos idées
et nos paroles (d'une manière souvent irrationnelle)
comme nous éprouvons la représentation d'un acte
en la mettant en rapport avec nos désirs acquis et
nos tendances organisées et aussi avec nos idées et
nos croyances. La délibération ne diffère pas, d'un
cas à l'autre, essentiellement. La décision aussi est
identique. Elle consiste ici et là dans la formation
d'une synthèse nouvelle englobant des éléments variés
et succédant à des ébauches de synthèses diverses.
La fixation de la croyance correspond tout à fait à la
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172 LA VOLONTÉ
décision, on adopte une opinion comme on prend une
résolution. Il y a, dans un cas comme dans l'autre,
enrichissement et développement du moi. L'opinion
que je fais mienne, me fait sienne à son tour, elle est
une partie de moi comme la décision que j'ai prise.
Et, comme la décision aussi, elle crée le moi, elle le
fixe, elle détermine dans une certaine mesure son
orientation future.
Nous pourrions retrouver encore ici les diverses
formes de la volonté, le caprice, le pouvoir personnel
et les états intermédiaires. Il est des gens qui ont
l'intelligence capricieuse, qui adoptent des croyances,
des opinions et les abandonnent au gré de leur
fantaisie sans qu'une raison sérieuse les y pousse,
comme d'autres agissent au gré de désirs inconstants
et peu coordonnés. Il en est aussi qui réfléchissent
mûrement avant de laisser leur esprit se fixer, s'ar-
rêter sur une opinion, chez qui la délibération est
une phase importante, qui ont des habitudes d'esprit
impérieuses, des croyances générales, des principes à
l'épreuve desquels ils soumettent toutes les idées qui
leur arrivent ou qu'on tente de leur suggérer et qui
ne se décident qu'après mûre réflexion. Chez eux le
pouvoir personnel est très fort, au moins au point de
vue intellectuel, car il se peut que dans leurs actes
ils soient beaucoup plus impulsifs que dans la con-
stitution de leurs croyances.
§ 6. — La volonté et les phénomènes intellectuels.
Malgré les analogies et les identités partielles qui
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r
'.
LE DOMAINE DE LA VOLONTÉ 1^3
relient si étroitement Tune à l'autre la volonté mo-
trice et la volonté intellectuelle, on paraît générale-
ment méconnaître leurs rapports et on les oppose
volontiers Tune à l'autre.
Sans doute cette opposition repose sur des faits.
Certains hommes qui ont une volonté assez développée
pour agir ont peu de volonté pour penser, et récipro-
quement. Seulement les deux formes d'esprit qui
s'opposent ainsi se différencient beaucoup moins par
l'opposition de la non-volonté à l'absence de vouloir
que par l'opposition d'une forme de volonlé a une
autre forme de volonté.
L'intelligence, en effet, est une activité, tout comme
l'activité motrice qu'elle peut, du reste, mettre en
jeu, et, comme l'activité motrice, elle peut être auto-
matique ou volontaire. Elle est souvent automatique,
mais souvent aussi c'est un acte volontaire plus ou
moins caractérisé qui la dirige l .
Nous avons vu que la délibération et fa décision
étaient, dans les deux cas, parfaitement comparables.
Peut-être jugera-t-on qu'il n'en est pas de même
pour la troisième phase de l'acte volontaire, l'exé-
cution. Je crois bien que c'est là, en effet, que se fonde
l'opinion ordinairement acceptée sur l'opposition de
la volonté et de l'intelligence. Mais si Ton y regarde
de près, cette opposition s'atténue et même disparaît
je crois. J'ai défini l'exécution en montrant quelle
était essentiellement une conséquence ou un ensemble
i Pour les rapports de l'intelligence avec les phénomènes af-
fectifs et les tendances, rapports qui éclairent ceux de l'intelli-
gence et de la volonté, je renverrai le lecteur à mes volumes :
Les Phénomènes affectifs et Esprits logiques et Esprit* faux-.
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174 LA VOLONTÉ
t le conséquences logiques de la synthèse nouvelle que
représente la décision, un groupe de phénomènes
-vstématisés qui conforme l'organisme psychologique
et corrélativement, au moins dans une certaine me-
sure, l'organisme physiologique à cette décision. J'ai
In désir de partir, je décide de partir, je veux partir,
et j'exécute cette décision en lui associant les idées,
les sentiments, les paroles, les mouvements des bras
et des jambes qui lui adaptent, dans la mesure du
possible, ma personnalité.
Mais nous trouvons des phénomènes exactement
analogues dans le fonctionnement de l'intelligence.
Les diverses idées, les diverses conceptions intellec-
\ uelles que nous formons en nous sans y adhérer po-
sitivement, sans les faire naître, sont les analogies
des idées d'actes, des représentations de mouvements,
des désirs vagues, des sentiments qui s'agitent en
nous sans s'imposer à notre activité, sans chercher à
la diriger. La critique d'une idée, son examen, son
adoption réfléchie, sa transformation en croyance
raisonnée équivalent à la délibération et à la décision.
Mais ce qui suit l'adoption d'une croyance, la trans-
formation que subit corrélativement le reste de nos
idées, et même l'influence qu'exerce cette croyance
sur nos actions, voilà, dans le domaine de l'intelli-
gence, l'équivalent de l'exécution.
Tout n'est pas fini, en effet, et il s'en faut,
quand nous avons adopté une croyance, c'est là déjà
pourtant un commencement d'exécution. La déci-
sion, on le sait, ne s'en distingue pas essentiellement.
Mais il faut encore, pour que notre acte de volonté
ait été bien sérieux, quand nous avons accepté comme
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LE DOMAINE DE LA VOLONTÉ 176
vraie une nouvelle idée, que cette idée, que la synthèse
nouvelle qui la représente, transforme notre intelli-
gence dans la mesure qu'exige la logique, qu'elle
éveille tout un système d'idées qui viennent la com-
pléter et la maintenir comme les volitions secondaires
et les mouvements appropriés venaient compléter la
synthèse primitive de la décision.
Si, en effet, j'accepte comme vraie telle opinion que
je me suis faite sur la meilleure constitution politi-
que et sociale pour la France à l'heure actuelle, il
faut, c'est l'exécution de cette décision de mon esprit,
que je renonce à quelques-unes de mes anciennes
idées et de plus que je transforme ma façon de voir
sur des points de détail ou que je me fasse une opi-
nion sur des points qui ne m'auraient point encore
intéressé. Cela est exactement l'analogue de l'action
motrice dans les cas de la volonté telle qu'on la com-
prend ordinairement. De plus il faudra aussi que
je conforme ma conduite à ma croyance, que je vote
d'une certaine façon, ou que je m'abstienne pour
certaines raisons, etc. Ici de nouvelles décisions
interviendront sans doute, mais elles-mêmes seront,
à bien des égards, l'exécution de ma décision intel-
lectuelle primitive, comme les volitions secondaires
qui accompagnent et qui suivent une volition prin-
cipale.
Et cette exécution, ce système d'actes, d'idées,
de sentiments qui vient compléter la décision intel-
lectuelle, mesure la force et le sérieux de cette déci-
sion comme l'exécution motrice, l'action, mesurait
le sérieux de la décision active, et nous renseigne
même sur l'existence réelle de cette décision.
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I76 LA VOLONTÉ
La velléité dans la croyance . n'est pas moins fré-
quente que dans l'activité extérieure. Bien des gens
s'imaginent avoir adopté une croyance, comme d'au-
tres s'imaginent avoir pris une décision, qui, en
réalité, se trompent et n'ont eu que des velléités, des
ébauches de croyances. Sans doute la décision, intel-
lectuelle ou concernant l'activité extérieure, même
faible, est toujours un phénomène réel et appréciable,
mais on conçoit que sa valeur puisse varier infini-
ment de la foi active et conquérante à l'opinion ac-
ceptée et presque oubliée immédiatement, de la vo-
lonté énergique à la velléité douteuse. Les deux séries
se suivent parallèlement d'une de leurs extrémités à
l'autre.
§7. — Volition et perception.
Peut-être l'action de la volonté sur les perceptions,
et les images vives en général, paraîtra- t-elle plus
douteuse, à première vue, que son action sur les idées
et les images qui se rapprochent plus de l'idée. Il
semble bien pourtant que cette action soit loin d'être
nulle dans la plupart des cas.
Il suffira, sans doute, de rappeler tout d'abord
l'influence de l'attention volontaire. Elle rend certai-
nement nos perceptions plus distinctes et plus pré-
cises. Si nous regardons, c'est souvent parce que nous
voulons voir, et si nous voyons, c'est souvent parce
que nous avons regardé. Une foule de perceptions
n'existent en nous que parce que nous avons voulu
les avoir. La vision automatique et spontanée laisse
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LE DOMAINE DE LA. VOLONTE I77
souvent échapper bien des éléments auxquels la vi-
sion attentive et réfléchie permet de se développer. Il
en est de même pour tous les ordres de perception.
Si nous voulons avoir la perception nette d'un
goût complexe et la représentation des différents
goûts simples qui le composent il n'est pas inutile de
tendre notre attention et de faire un acte de volonté,
La volonté, l'attention, disposent les systèmes psy-
chiques à recevoir, à accepter, à isoler, à faire vivre
avec plus d'ampleur un plus grand nombre des
éléments d'une impression qui provient d'une cause
extérieure.
Cette influence de la volonté sur la perception
n'est pas absolument identique à celle qu'exerce
la volonté sur les souvenirs par exemple. Cepen-
dant il y a entre les deux plus de ressemblances
qu'on ne paraît le croire communément. Sans don le
la volonté se borne ici à mettre l'organisme dans les
meilleures conditions pour recevoir l'excitation du
dehors. Seulement il ne faut pas oublier que l'exci-
tation extérieure est la condition nécessaire de la per-
ception et on ne peut exiger de la volonté qu'elle y
supplée. Et d'autre part la volonté se borne aussi
bien souvent, en ce qui concerne l'activité, à laisser
s'accomplir une action automatique, à mettre l'or^
ganisme dans les meilleures conditions voulues pour
que l'exercice spontané de l'activité motrice puisse
s'effectuer sans obstacles. Les deux phénomènes sont
donc assez semblables l'un à l'autre.
La volonté intervient utilement aussi sur les ima-
ges vives, par le mécanisme de l'attention. On sait
que certains observateurs peuvent se représenter men-
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I78 LA VOLONTÉ
talement une croix rouge avec une vivacité suffisante
pour faire apparaître ensuite, par contraste successif,
l'image complémentaire verte. Sans discuter ici l'in-
terprétation de l'expérience à d'autres égards, nous
pouvons y trouver, au moins, une preuve de l'in-
fluence de la volonté sur les images. Naturellement,
ici encore, la volonté ne fait que permettre à nos fa-
cultés personnelles de s'exercer dans de bonnes con-
ditions. Tout le monde ne peut pas, à son gré,
reproduire cette expérience. Il y faut un ensemble
de conditions psycho-organiques que nous appelle-
rons puissance de visualisation et qui est assez rare.
Nous avons ici une occasion de reconnaître en-
core ce que c'est que le pouvoir de la volonté et com-
ment il s'exerce. Il ne crée pas de lui-même la force
qu'il laisse manifester, et profite des forces automa-
tiques et spontanées de l'organisme. La volition seule,
sans associations psycho-physiologiques suffisantes
reste sans efficacité. Mais cependant elle a une cer-
taine force par elle-même, une force analogue à celle
des idées et des désirs, à celle des autres systèmes
psychiques, parce qu'elle est elle-même un système
psychique. Sans cette synthèse psychique nouvelle,
il arrive assez souvent que les idées et les désirs
demeureraient impuissants comme elle serait impuis-
sante sans eux. Et les faits que nous examinons main-
tenant confirment et complètent ce que nous disions
tout à l'heure au sujet du pouvoir personnel, du « je
veux », de sa nature et de son influence.
La volonté peut aller jusqu'à déterminer des sen-
sations, des hallucinations d'espèces variées. Voici
quelques cas que j'emprunte à un livre bien connu
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LE DOMAINE DÉ LÀ VOLONTE Î79
de Hack Tuke, où l'on en trouvera d'autres qui ne
sont peut-être pas tous très satisfaisants. « Le D r Guy
raconte que, tout enfant, il était chétif et malingre,
et qu'il avait alors la faculté de se créer à volonté des
visions très nettes. « Je pouvais, dit-il, dessiner en
petit, sur fond noir, les tableaux même les plus com-
pliqués, compléter l'un après l'autre tous les objets
et leur donner leurs contours et leurs couleurs véri-
tables. A cette époque, j'avais, pendant le sommeil,
l'imagination extraordinairement active, et qui me
causait les songes les plus terrifiants. Ma santé s'étant
améliorée, je perdis cette faculté de me créer à vo-
lonté des visions ; depuis ma septième année je ne
l'ai jamais recouvrée,... »
« Un médecin de mes amis, actuellement décédé,
avait la faculté remarquable de pouvoir volontaire-
ment se représenter les visages soit de personnes qu'il
connaissait, soit d'autres personnes. Comme il des-
sinait fort bien, nous l'engageâmes à dessiner des
visages qu'il voyait ainsi, et en 1874, nous présentâ-
mes ses dessins à la séance annuelle de la Société
Médico-Psychologique de Londres.
« Le fait suivant montre l'influence de la volonté
sur la sensation normale : Il y a, dans la province
d'Anvers, un médecin distingué qui peut, ajoute
heure du jour, et dans n'importe quelle partie de
son corps, produire, à volonté, une douleur plus
ou moins vive d'intensité variable ; il la produit plus
ou moins facilement, suivant les différentes parties du
corps. Des articulations la douleur s'irradie dans
toutes les parties inférieures du membre, de la région
cervicale à toute la tête ; du dos^elle donne à la poi-
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l8o LA VOLONTE
trine une sensation de constriction ; des reins elle se
répand vers l'abdomen. » Et le fait qui nous
montre l'influence de la volonté nous en montre
aussi les limites. « Mais c'est dans la paume des
mains que la force de la volonté produit les sensa-
tions les plus marquées. Partout ailleurs, la douleur
disparaît dès que la volonté qui l'a produite cesse
d'agir, mais aux mains elle persiste longtemps, elle y
est même très vive, et il faut au patient une distrac-
tion très puissante pour qu'il puisse s'en débarrasser.
Il faut ajouter qu'au moment où ce médecin repro-
duit ainsi une douleur, les pulsations des vaisseaux
sont beaucoup plus appréciables dans les parties où
la douleur est produite 1 . »
§ 8. — La volonté et V activité intellectuelle générale.
Nous pourrions multiplier les exemples de l'action
de la volonté sur l'intelligence. Nous en trouverions de
nouveaux dans les recherches de Gai ton sur les
images mentales et la possibilité de les faire revivre 2 ,
possibilité qui varie beaucoup d'une personne à l'autre,
nous pourrions citer aussi des cas plus spéciaux à
certains égards, mais où se montre l'action de
la volonté sur l'intelligence en général. Ribot cite
d'après Billod, un fait très intéressant : « J'ai vu à
Bicêtre, dit Billod, un paralytique général, dont le
i. « Cité par Warlomont, dans son rapport sur Louise La-
teau. » Hack Tuke, Le Corps et l'Esprit, trad. de V. Parant,
p. 289, 291-392. Paris, J.-B. Baillière, 1886.
2 . Galton , Inquiry into human faculty and its développement.
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niF^
LE DOMAINE DE LA VOLONTÉ l8l
délire des grandeurs était aussi prononcé que possible,
s'évader, se rendre pieds nus, par une pluie battante,
et de nuit, aux Batignolles. Le malade resta dans
le monde un an entier, pendant lequel il lutta de
toute sa volonté, contre son délire intellectuel, sentant
très bien qu'à la première idée fausse, on le ramène-
rait à Bicêtre. Il y revint cependant. — J'ai rencontré
plusieurs autres exemples de cette intégrité de la
volonté se conservant assez longtemps chez les para-
lytiques généraux 1 . »
Nous remarquons dans tous ces faits la grande
différence qui sépare les individus les uns des autres,
au point de vue de l'influence de la volonté. Les mêmes
choses ne sont pas pareillement soumises à la vo-
lonté chez les différents individus. Sans doute cer-
tains phénomènes dépendent d'elle à peu près chez
tous les hommes normaux, sans doute aussi certains
autres restent à peu près chez tous hors de son do-
. maine, mais il y a toute une grande zone où la volonté
gouverne plus ou moins. Il faut rapporter ces diffé-
rences aux différences d'organisation des différentes
personnalités. L'empire de la volonté est d'autant
plus grand que l'association systématique est plus
généralisée, plus forte et plus simple à la fois, pourvu
que ces qualités n'aillent pas toutefois jusqu'à substi^
tuer à ]a volonté un automatisme supérieur, ce qui
n'est d'ailleurs jamais le cas chez l'homme pour
l'ensemble de la personnalité 2 .
i. Ribot, Maladies de la volonté, p. 101.
2. M. Zola apparaît, dans l'observation si détaillée du
D r Toulouse, comme très remarquablement doué pour l'utili-
sation volontaire de l'activité intellectuelle en général. Cela se
Paulhan. II
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i8a Là Volonté
§ g. — La volonté et les phénomènes affectifs.
Sur les phénomènes affectifs aussi la puissance de
la volonté varie d'une personne à l'autre. Il semble
que la volonté expresse, le « je veux », intervient
moins. Cependant nous avons une certaine influence
directe sur nos sentiments et nos passions. Nous pou-
vons dans une certaine mesure les diminuer ou les
grandir.
Il est assez rare que nous en disposions à notre gré.
Ce n'est guère en examinant l'empire incontesté de
la volonté, le pouvoir qu'elle exerce le plus facilement
et le plus communément que. l'on doit étudier son
influence sur les phénomènes affectifs.
Voici cependant le peu qu'on peut tirer, à mon
avis, de la question au point de vue qui nous inté-
resse. Il semble que notre volonté influe plus que
nous ne croyons sur l'arrêt et le développement de
nos dosirs et de nos tendances, quand ces désirs et ces
tendances ne sont pas encore très forts et bien or-
ganisés. Je crois que ce genre d'influence passe bien
souvent inaperçu. Chacun de nous porte en lui une
marque par les « procédés rationnels, scientifiques », qu'il em-
ploie pour faire ses romans. La mémoire involontaire est moins
développée chez lui que la mémoire volontaire, et quoique
celle-ci ne soit pas trop développée a certains égards. Mais, c'est
h leur plus ou moins grande utilité actuelle » qui fait fixer,
conserver et rappeler ses souvenirs et « celte dernière condition
permet à M. Zola de tirer de sa mémoire le meilleur rende-
ment avec le minimum de déchet. » Voir E. Toulouse, Emile
Zofa r p, 223, 191, 272, etc. Paris, Société d'éditions scientifi-
ques, [S 96.
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LE DOMAINE DE LA VOLONTÉ l83
foule de sentiments très conventionnels, bien moins
naturels en un sens, et bien moins vivaces qu'il ne
pense, bien moins réels en somme. Ils ont cependant
quelque réalité, et cette réalité, ils la doivent soit à
notre volonté, plus ou moins expressément formulée,
soit au fonctionnement automatique de la personnalité,
de l'ensemble de nos pouvoirs, de nos tendances et
de nos idées qui inhibe ou exalte continuellement nos
impressions.
Je crois bien qu'ici la volonté se rapproche beaucoup
quand elle se manifeste, de l'automatisme et de l'ins-
tinct. C'est qu'il faut, en général, une organisation
très forte et très bien systématisée, pour agir sur les
phénomènes affectifs. La velléité n'y parviendrait pas.
La volonté consciente, la volonté sous toutes ses
formes, d'ailleurs, impliquant à des degrés divers une
certaine imperfection de l'organisation, il ne faut pas
être surpris de ne pas reconnaître toujours bien vi-
siblement son action, dans les cas où précisément une
très forte organisation est nécessaire. Surtout, il ne faut
pas s'attendre à voir, en général, son action s'opposer
nettement à l'action de l'automatisme. Si elle s'op-
pose ici à certains processus automatiques, c'est en
s'appuyant sur un automatisme plus fort qu'eux.
La force de la volonté ne s'exerce guère sur nos
sentiments qu'en s'appuyant sur des sentiments très
puissants et solidement organisés, sur des croyances an-
ciennes ou extrêmement vivaces. Et bien souvent le
rôle actif de la volonté sera complètement ou presque
complètement éclipsé par le jeu plus ou moins conscient
et à peu près automatique des tendances, des idées
et des phénomènes affectifs.
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l84 tA VOLONTÉ
Sous le bénéfice de ces réserves, nous pouvons
rapporter en partie à l'action de la volonté le déve-
loppement ou l'arrêt d'une foule de sentiments qui
vivent en nous ou qui s'y atrophient, et dont quel-
tpies-uns, parmi ceux que nous croyons les plus
solidement établis, n'ont qu'une vie d'emprunt, due
à des préjugés, à des influences extérieures, ou bien
encore à la pression de nos besoins, de nos sentiments,
pression dont bien souvent nous n'avons à peu près
aucune connaissance directe ou non.
Il est assez évident, mais il n'est pas moins remar-
quable que les sentiments qui se développent en nous
sont, en général, malgré des exceptions qui ne sont
pas très rares et qui se font d'ailleurs assez aisément
reconnaître, en harmonie avec l'ensemble de notre
personnalité, etceux qui ne peuvent s'harmoniser ainsi,
s'ils viennent à se produire, sont assez souvent arrêtés
dans leur développement et dissous peu à peu, par les
antagonistes qu'ils rencontrent.
C'est là une des expressions de la systématisation
psycho-organique. Elle va même jusqu'à donner sou-
vent l'apparence et parfois la réalité de la vie à des
sentiments que l'individu n'est pas très disposé à
éprouver, mais qu'il éprouve tout de même et surtout
qu'il croit éprouver, parce qu'il croit devoir les éprou-
ver, parce qu'il « veut » les éprouver, parce que ses
autres sentiments et l'ensemble de ses idées le portent
à les ressentir.
Beaucoup de nos sentiments en effet ne correspon-
dent pas à la réalité psychique qu'ils semblent indi-
quer. Dans l'affection que les gens éprouvent les uns
pour les autres il entre beaucoup de mensonge, de
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LE DOMAINE DE LA VOLONTÉ l85
convention et une certaine dose de volonté. Les affec-
tions basées sur des liens de famille, sur des rappro-
chements dehasard, ne sontpas toujours, maissont bien
souvent dans ce cas. Je crois que si chacun voulait
s'examiner soi-même il verrait assez souvent, avec une
certaine habitude de l'observation, que bien des per-
sonnes qu'il a aimées, il les a aimées, au fond,
beaucoup moins qu'il n'a cru et aussi bien moins
spontanément, par entraînement, par convenance,
par habittude, pour une foule de raisons dans les-
quelles la volonté intervient pour une part, si petite
soit-elle.
De même, il est des affections que nous n'éprou-
vons pas, parce que nous ne youlons pas les éprouver.
Nous les aurions éprouvées si nous nous étions lais-
sés aller à nos penchants naturels, mais d'autres pen-
chants ont contrarié ceux-ci, et la volonté, le pouvoir
personnel se sont prononcés pour eux, et ont avec eux
empêché les autres de se développer.
Il faut ajouter, d'ailleurs, que le pouvoir de la vo-
lonté peut s'exercer d'une façon plus ou moins di-
recte et très indirecte souvent. La volonté peut in-
fluer beaucoup sur le développement et l'arrêt des
sentiments, en agissant sur les conditions favo-
rables ou défavorables à ces sentiments, et il faut
compter, parmi ces conditions, l'exercice de l'intelli-
gence.
Nous pouvons en effet, agir avec efficacité pour
nous placer dans les conditions qui entraîneront
la floraison d'un sentiment quelconque, ou son
avortement pourvu qu'il ne soit pas encore trop
fort. C'est une des choses les plus importantes
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l86 LA VOLONTÉ
pour la conduite de la vie, que de pouvoir discerner
à l'avance la nature et le rôle possible, et même
l'existence possible d'un désir dont le germe existe
encore à peine. Bien des gens ignorent leurs propres
sentiments jusqu'à ce qu'ils aient acquis une force
à peu près irrésistible, d'autres se méprennent tota-
lement sur leur valeur. Ceux qui montrent plus de
perspicacité peuvent intervenir utilement, s'ils se
décident vite à intervenir. Ils pourront d'abord
s'opposer directement à la passion naissante, ou l'en-
courager, au contraire, ils pourront surtout se placer
dans des conditions qui amènent automatiquement,
pour ainsi dire, son atrophie ou son développement.
Si l'on craint par exemple, après avoir joué quel-
quefois, de trop prendre goût au jeu, il sera peut-
être difficile de s'obliger directement à trouver le jeu
désagréable ou ennuyeux mais on pourra plus aisé-
ment s'abstenir de fréquenter les endroits où l'on
joue, et d'autre part, susciter des sentiments en con-
currence avec l'amour du jeu, se créer des distrac-
tions, des occupations, un peu absorbantes engager
ses soirées à l'avance.
On agit aussi sur les sentiments par les idées.
Nous savons que certaines idées entraînent natu-
rellement avec elles des sentiments déterminés.
La croyance qu'une chose doit nous être nuisible
tend à nous inspirer un certain éloignement pour
elle. Il se peut donc que la considération réfléchie
des inconvénients du jeu puisse avoir quelque in-
fluence sur nos sentiments à l'égard de cette dis-
traction. Et l'opération inverse, celle qui consiste à
fortifier un sentiment au lieu de l'appauvrir est évi~
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LE DOMAINE DE LA VOLONTÉ 187
demment analogue et plus ou moins facilitée par de
semblables moyens 1 .
L'intelligence donne à la volonté un moyen assez
faible mais très général d'agir sur les sentiments.
Comme nous pouvons, en effet, diriger souvent selon
notre volonté le cours de nos idées et de nos images,
comme aussi ces idées et ces images sont systémati-
quement rattachées en bien des cas à des sentiments
précis, nous pouvons, dans une certaine mesure, exciter
ou arrêter à notre volonté tel ou tel sentiment. Il est
assez fréquent que le désir d'éprouver, à un degré plus
ou moins élevé mais souvent assez bas, telle ou telle
émotion nous induise à penser volontairement à tel ou
tel fait, à telle ou telle scène, à nous souvenir, à pré-
voir ou à imaginer de façon à susciter en nous l'émo-
tion souhaitée. Et, au contraire, nous évitons volon-
tairement de penser à certaines scènes pénibles, de
laisser s'évoquer en nous certains souvenirs ou se
former certaines imaginations pour éviter les émotions
désagréables qui les accompagnent d'ordinaire ou que
nous prévoyons bien devoir les accompagner.
Nous sommes ainsi les maîtres de nos émotions,
nous les évoquons ou nous les écartons selon notre
désir et conformément à notre volonté. Seulement
les émotions que nous dirigeons ainsi sont surtout
celles qui sont liées au jeu volontaire des images et
des idées, c'est-à-dire des émotions de souvenir et
d'imagination. Ce ne sont guère, d'une manière
1. Voir à ce sujet le livre de M. Payot sur Y Education de la
volonté. Paris, Alcan, 1894. L'auteur y a bien indiqué et
analysé les différents moyens d'agir sur ses sentiments.
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l8S LA VOLONTÉ
générale, celles qui sont liées à des perceptions,
< 'est-à-dire à la vie objective réelle. Sur celles-ci
nous agissons plutôt indirectement, comme sur les
perceptions elles-mêmes, en nous plaçant, ou au
i un traire, en évitant de nous placer dans les
< 'mditions voulues pour que ces perceptions se
produisent, et, avec elles, les sentiments et les émo-
tions qui les accompagnent naturellement.
Cette maîtrise des émotions est donc une maî-
1 1 îse de virtuose, plutôt que d'homme pratique. Elle
varie beaucoup, comme les facultés analogues que
nous avons déjà étudiées, selon les personnes. Il en
est qui évoquent, bien plus facilement que d'autres,
ries impressions affectives. Il en est qui s'y com-
plaisent, en font une sorte d'art. Et d'ailleurs la
poésie ou plutôt un certain genre de poésie me pa-
raît généralement conditionné par une aptitude de
ce genre en même temps que, sans doute, elle sert à
la développer et à satisfaire le besoin qui lui corres-
pond. J'en dirai autant pour certaines formes du
roman, en considérant bien entendu les auteurs des
romans et non leurs lecteurs dont le cas est quelque
peu différent et que nous retrouverons plus loin.
Ce n'est pas à dire pourtant que si cette influence
lIc la volonté sur les émotions, s'exerce plutôt dans
I ordre esthétique que dans l'ordre réel elle n'ait
; vu s si son importance pour la pratique et la direction
de la conduite. En habituant l'esprit à certains sen-
liments, en en facilitant les manifestations, l'esprit
peut rendre ces sentiments plus forts, leur appren-
dre à diriger la conduite, à exercer au moins quel-
que influence sur elle, à arrêter les impulsions que
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LE DOMAINE DE LA VOLONTÉ 189
tendent à provoquer d'autres sentiments différents
ou opposés. Un esprit adroit, une volonté souple et
persévérante peuvent ainsi tirer parti d'une qualité
d'ordre apparemment esthétique et s'en servir pour
un but pratique et moral.
§ 10. — La volonté de vouloir.
La volition peut exercer son influence sur les vo-
irions elles-mêmes. Quelquefois nous voulons vou-
loir, et quelquefois aussi nous ne pouvons arriver à
former réellement la volonté que nous désirerions.
Cette complication paraît au premier abord un peu
subtile, en somme elle est très simple, on veut par-
fois une volition comme on désire un désir ou
comme on comprend l'intelligence. Avoir la volonté
de vouloir une chose n'est pas tout à fait la même
chose que vouloir cette chose, c'est vouloir cette
synthèse nouvelle qui n'est pas encore faite, dans
laquelle le moi entre comme un élément essentiel,
c'est se la représenter avant qu'elle soit faite, alors
qu'elle s'ébauche seulement, et s'efforcer de tendre
vers elle.
Souvent on la veut pour un avenir plus ou moins
lointain. On s'oblige soi-même à vouloir quand telle
condition, non encore réalisée, se présentera, on se
représente le moi, ses hésitations futures et sa déci-
sion, et c'est cette décision, plutôt que son objet,
qui forme la matière de notre volition actuelle.
Toutes les fois que nous prenons une résolution,
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<T'
IQO LA VOLONTÉ
nous voulons, en même temps qu'une action (in-
Irnir ou externe) actuelle, un certain nombre de vo-
lïtions futures qui, comme je l'ai déjà montré, sont
impliquées par la résolution primitive. C'est-à-dire
que ces volitions futures sont comprises comme élé-
ilfoxita dans la synthèse nouvelle qui constitue notre
;u-|r de volonté d'à présent. Et elles comprennent
non seulement l'acte lui-même que nous devons
mvumplir plus tard, mais un certain nombre de
ilir-|». isiLions psychiques qui leur donnent leur carac-
lère <le volition 1 .
CHLe influence de la volonté sur la volonté
îDpmQj. de la volition sur les volitions futures est
d'il il leurs une des conditions de l'éducation de la
volonté, du dressage moral. Il est tout naturel que
iihIît volonté d'aujourd'hui engage jusqu'à un cer-
hiïn point notre volonté de demain, c'est un des
mille exemples toujours actuels de la solidarité des
(Utîéreûts éléments de l'esprit.
Il n T y a pas là de difficulté particulière. Et nous
rrhntivons toujours dans ce nouveau sujet les iné-
$t\ I i I es de nature que nous avons eues à signaler déjà
m plusieurs cas. Il est des gens, les seuls dont nous
ii y mis à parler pour le moment, puisque nous étu-
ilimis d'abord l'empire incontesté de la volonté, qui
\H\\ « l'esprit de suite ». Leur empire sur leurs pro-
pres décisions s'étend très loin. Lorsqu'ils ont dé-
ride de vouloir, malgré les obstacles qu'ils peuvent
t Voir à ce sujet le livre de Marion : La Solidarité morale
MVï 1 -. Alcan, 1860), intéressant bien qu'appelant certaines rç-
ïi rvfts.
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LE DOMAINE DE LA VOLQNTE 191
rencontrer en eux-mêmes, malgré leurs regrets
quelquefois et quelquefois malgré leurs remords, ils
ne reviennent pas en arrière, et, le moment venu,
ils veulent comme ils ont décidé de le faire. Chez
eux l'inhibition des tendances et des idées antago-
nistes s'exerce rigoureusement. Ils tâchent aussi
d'oublier même les bonnes raisons qu'ils pouvaient
avoir d'hésiter, ils se sont suggestionnés eux-mêmes
et ils veulent selon l'ordre qu'ils se sont donné
comme un hypnotisé agit d'après l'ordre de son
magnétiseur. Leur activité est presque aussi régu-
lière et aussi sûre et, elle a parfois aussi, comme celle de
l'hypnotisé, quelque chose d'étriqué et d ? artificiel,
parce qu'elle n'exprime pas complètement la person-
nalité dont elle émane, parce que le besoin d'inhiber
une grande partie des sentiments et des idées dont
l'activité pourrait la contrarier et l'effort qui en
résulte lui imposent en certains cas un caractère
de raideur, de brusquerie et de rudesse.
§11. — Le domaine contesté de la volonté.
Nous avons examiné jusqu'ici le domaine où
l'autorité de la volonté est le moins contestée. Ce do-
maine, très variable selon les personnes, ne s'étend
en général pas bien loin. Les personnes chez qui il
est ou paraît le plus vaste sont celles chez qui les
conflits de la volonté et de l'automatisme se produi-
sent le moins, non point parce que l'automatisme
obéit à la volonté, mais parce que l'activité volon-
taire et l'activité automatique sont en harmonie
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1Ç)3 LA VOLONTE
naturelle, parce qu'il ne viendrait pas à l'esprit de
V individu de vouloir contre son automatisme. C'est
le cas des personnalités bien unifiées, où l'automa-
llsme est déjà très fort et où le pouvoir personnel
lui-même, très bien organisé, tend à prendre un
mode de fonctionnement qui le rapproche de l'auto-
matisme.
Mais souvent, au contraire, nous pouvons consta-
ler des luttes singulières entre l'automatisme et le
nuuvoir personnel. Il arrive très souvent que nous
ne pouvons vouloir efficacement, malgré tout le
il (-sir que nous en avons, et que nos idées conti-
nuent à se dérouler malgré nous, nos sentiments à
s'imposer à notre attention et à tenter de diriger
noire conduite.
Les faits de ce genre sont de chaque jour, et il
n'est pas besoin d'avoir recours à la pathologie pour
les évoquer en grand nombre. Nous sommes au tra-
Viiil, nous concentrons notre attention sur ce que
nous lisons ou écrivons, mais certaines idées, cer-
taines préoccupations assiègent notre esprit. À la
première occasion favorable elles entrent et s'instal-
lent. Le hasard d'un mot équivoque, d'un bruit
{ \terieur, d'une porte qui s'ouvre, soit en les favori-
*ciiiL directement, soit en affaiblissant par distraction
le système d'idées dominant vient leur permettre de
triompher. Un nouvel effort de volonté les chasse,
elles reparaissent de nouveau, et souvent le pouvoir
personnel, lassé, se dérobe, et nous, nous devenons
le complice des idées et des sentiments envahisseurs
cl nous les accueillons, souvent, trop volontiers.
Les conflits des tendances avec la volonté sont
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LE DOMAINE DE LA VOLONTÉ ig3
surtout fréquents chez certains esprits troublés, tour-
mentés, qui ne peuvent ni réduire leur automatisme
par l'influence de leur volonté, ni soumettre leur
volonté à leur automatisme et ne la laisser agir que
dans le sens de l'activité spontanée. Cela suppose
que l'activité spontanée elle-même est partagée,
divisée, car la volonté ne peut se produire, nous
l'avons dit, qu'en s'appuyant sur l'automatisme. Il
y a donc ici exagération de l'activité spontanée indé-
pendante des phénomènes psychiques, des tendances,
des idées, des désirs. Ils forment des systèmes qui
ne peuvent toujours se combiner harmonieusement
et agissent chacun pour soi.
Ce cas est assez fréquent chez les natures riches.
Les gens qui ont peu de sentiments et peu d'idées les
harmonisent parfois plus aisément que ceux qui en
ont beaucoup, encore qu'il ne faille pas voir là une
règle absolue. Mais à des degrés divers tout le
monde présente cette lutte de la volonté et de l'au-
tomatisme, parce qu'il n'est pas d'homme chez qui
la systématisation générale puisse être assez voisine
de la perfection pour la supprimer.
La lutte du pouvoir personnel et des tendances
agissant automatiquement suppose d'ailleurs que cette
systématisation est assez avancée. Quand elle Test
moins, nous avons soit le règne des caprices et des
impulsions où le pouvoir personnel est vite subjugué,
où le moi est conquis tour à tour par des désirs pas-
sagers et violents, soit une incohérence plus marquée
où l'esprit flotte d'une velléité à l'autre sans que jamais
le pouvoir personnel s'organise suffisamment pour
réprimer rigoureusement un désir ou en faire aboutir
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F 91 LA VOLONTE
un autre. Sans doute il y a encore, dans ces cas-là,
des conflits de désirs, mais la part qu'y prend le
pouvoir personnel, si faible, est à peine perceptible et
Tun peut la négliger presque entièrement sans incon-
vénients bien sérieux.
La lutte que j'examine à présent suppose aussi que
les tendances, les désirs, les idées, les éléments psy-
< liiques relativement indépendants ont, eux aussi, une
;i-scz bonne organisation. Si le pouvoir personnel est
Imp faible pour lutter contre les désirs, la lutte est
i 1 1 signifiante, si les désirs indépendants sont trop faibles
pour lutter contre le pouvoir personnel, elle est insi-
gnifiante aussi et elle Test encore si Fun et les autres
sont tous relativement très faibles.
\u contraire la limitation du domaine de la volonté,
rest-à-dire l'opposition entre des tendances encore
n^ez indépendantes et une puissante association de
Iriidances qui dirige à peu près normalement l'orga-
nisme psycho-physiologique, se remarque aisément
tlrtfts les personnalités assez riches où le moi est vi-
Lnnreux, mais où il reste encore, à côté de la systéma-
I i^ition centrale de la personne, et greffés sur elle, bien
ilos idées irréductibles, bien des désirs insoumis, fré-
quemment en guerre avec les autres et très vigoureux
m Y-mêmes.
Il faut encore que le pouvoir personnel soit en voie
i I évolution. S'il est fixé, arrêté, il y aura plus souvent
i ! îscordance que conflit, chacun des antagonistes aura
51 1 ri domaine propre et ne tentera guère d'en sortir,
>mif quand une occasion spéciale viendra provoquer
m ne sorte d' « incident de frontières » . Il est des gens *
tjui font la part du feu. Ils savent que certains désirs,
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LE DOMAINE DE LA VOLONTÉ ig5
certains actes sont tout à fait en désaccord avec leurs
idées morales, avec leurs sentiments religieux. Ils
les laissent pourtant vivre en eux et s'accomplir par
eux, sans même chercher à les réprimer. De leur côté,
ces éléments mal harmonisés ne tentent point de se
soumettre la personnalité, de faire réformer les idées
morales et les sentiments religieux, ils se contentent
de la part qui leur est faite. La volonté est impuis-
sante ici comme le roi d'Italie est impuissant en Es-
pagne. Elle n'essaye même plus de s'exercer.
§ 12. — L'impuissance de la volonté.
Cette impuissance de la volonté à réduire ou à sus-
citer divers phénomènes de l'activité psychologique
varie d'une personne à l'autre et, pour une même
personne, d'un moment à l'autre selon l'état de santé
ou de maladie, selon l'état de repos ou de fatigue,
selon la façon dont s'accomplissent les fonctions orga-
niques, selon une foule de conditions qu'il serait trop
long d'énumérer et que d'ailleurs on ne connaît, en
bien des cas, que très imparfaitement. Nous avons pu
voir, en outre, par ce qui précède qu'elle peut revêtir
bien des formes, depuis le conflit aigu jusqu'à la
division de la personnalité (division relative bien en-
tendu) persistant à l'état chronique, sans trouble
visible.
Il ne saurait donc être question de délimiter nette-
ment ses différentes formes et leurs conditions. Il nous
suffit de les indiquer d'une manière approximative et
de donner quelques exemples à l'appui. Je rappellerai
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I96 LA VOLONTE
par exemple, en outre des faits déjà cités, combien
varie à l'état normal notre pouvoir sur nos souvenirs.
Parfois nous les évoquons avec facilité, parfois nous
ne pouvons réussir à trouver un détail précis dont nous
avons besoin et qui nous est très familier, un nom qui
nous reviendra aussitôt que nous ne voudrons plus le
dire. Je rappellerai combien notre prise sur les idées
par l'attention varie avec nos préoccupations mo-
rales, avec l'état de notre digestion, avec la tem-
pérature, etc., depuis les moments où nous nous
appliquons volontiers et tout entiers à notre travail
jusqu'à ceux où nous ne pouvons que rêvasser péni-
blement sans arriver à lier deux idées. Je signalerai
encore la peine que nous avons, en bien des cas, à
résister à un désir que nous voudrions éviter de
satisfaire ou à faire un acte que nous voudrions exé-
cuter, mais qui nous est désagréable, les variations de
cette difficulté selon nos dispositions du moment,
selon l'aide ou le blâme que nous trouvons chez ceux
qui nous entourent, l'impuissance si fréquente de la
volonté, du pouvoir personnel devant la passion amou-
reuse et je me borne là pour ne pas allonger indéfini-
ment et sans profit la série des exemples.
L'état pathologique ou semi-pathologique nous en
donne de particulièrement nets qui sont bien connus
et sur lesquels, pour cette raison, je tâcherai de ne
pas trop insister.
Les phénomènes intellectuels, comme les phéno-
mènes affectifs, peuvent être ainsi soustraits à l'action
de la volonté. Dans les troubles intellectuels qui pré-
cèdent parfois les crises épilep tiques, « les malades
ne savent plus... réunir et fixer leurs idées », dit
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LE DOMAINE DE LA VOLONTE I97
Legrand du Saulle 1 . Luys cite le cas d'un jeune homme
qui, occupé pendant plusieurs jours à faire des calculs,
se voit obsédé par les problèmes qu'il a faits et ne
peut s'en débarrasser: «... n'y tenant plus, écrit le
patient, ayant besoin du plus grand calme et du repos
auquel je ne pouvais atteindre,^ me mis, sans la moin-
dre volonté de ma part, à compter, à refaire exactement
les mêmes problèmes qu'au bureau. La machine céré-
brale avait été lancée avec trop de force pour pouvoir
s'arrêter et ce travail involontaire durait malgré moi,
malgré et contre tous les moyens que j'ai employés pour
le faire cesser, c'est-à-dire trois ou cinq quarts d'heure
environ 2 . »
A propos des sentiments et des actes, il faut signaler
aussi les phénomènes d'impulsion morbide que l'on
trouve en si grand nombre dans les relations des alié-
nistes. Ici un élément psychique, un système d'idées
et de désirs s'est presque complètement émancipé et
s'oppose au moi, il subsiste malgré celui-ci sans pou-
voir être soumis. Marc raconte avoir vu dans une
maison de santé une personne qui parlait et agissait
en général d'une manière raisonnable, mais qui dé-
coupait ses vêtements et ses hardes en petits mor-
ceaux. Interrogée sur ses raisons d'agir ainsi, elle
dit : « Je ne puis m'en empêcher, c'est plus fort que
moi 3 . » Remarquons cette expression qui est très
1. Annales d'hygiène publique et de médecine légale, 1875,
2 e série, t. XLIV, Discussion sur la responsabilité des actes
commis par les épileptiques.
2. Luys, Le Cerveau et ses fondions. Paris, Alcan, 1876, p. i45.
3. Marc, De la folie considérée dans ses rapports avec les.
questions médico-judiciaires, Paris, i84o, libr. J.-B. Baillière, I,
p. 88. Voir aussi à la suite.
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I98 LA VOLONTÉ
usuelle d'ailleurs et qui indique si nettement l'oppo-
sition de la personnalité et de la tendance morbide.
Les obsessions perverses ou criminelles qui assiègent
souvent l'esprit de quelques aliénés sont encore des
phénomènes du même genre, par lesquels se montre
l'impuissance de la volonté, du pouvoir personnel sur
des désirs morbides, sur des éléments psychiques qui
restent indépendants et irréductibles ou presque irré-
ductibles. La force de ces derniers est assez grande
pour inquiéter le moi, presque suffisante et quelque-
fois tout à fait suffisante pour le soumettre momen-
tanément à eux. Et le moi, pour se défendre, pour
assurer le triomphe du pouvoir personnel, doit faire
appel à des secours étrangers. Une malade, pour résister
à une impulsion homicide, demande à être maintenue
par la camisole de force, une autre se fait attacher les
deux pouces avec un ruban, une autre, domestique,
supplie sa maîtresse de la laisser partir, une autre
demande à être fixée dans un fauteuil 1 . G riesinger,
il y a déjà longtemps, a très bien vu et analysé le
conflit entre le pouvoir personnel et les désirs mor-
bides, dans le cas où « des individus jusqu'alors gais,
bons et aimants, sont pris brusquement et sans motif
aucun de tentations homicides qui viennent constam-
ment assaillir toutes leurs pensées. Généralement on
voit alors survenir une triste et profonde séparation de la
conscience, l'esprit est en butte à un combat intérieur,
à un tourbillon d'émotions les plus pénibles ; il lutte
i. Voir pour les impulsious : Marc, De la folie considérée
dans ses rapports, etc.; Èsquirol, Maladies mentales, Paris, J.-
B. BaiLlère, i838, t. II ; Maudsle y, Le Crime et la folie; Ribot,
Maladies de la volonté.
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LE DOMAINE DE LA VOLONTÉ I0Q
contre les idées nouvelles, effrayantes, contre lesquelles
le moi se défend avec toute l'énergie dont il est capable.
Souvent alors, dans ce combat, l'individu ne peut se
soustraire à la défaite de son moi qu'en se retirant
dans la solitude où le penchant qui l'obsède ne trouve
plus d'objet ; puis au bout de quelque temps ces idées
peuvent être réprimées aussi vite qu'elles surgissent
et l'individu redevient ce qu'il était auparavant; à
peine sait-il comment il est tombé dans ce rêve pénible,
affreux, et il se sent gravement soulagé en voyant
que ce rêve s'est heureusement terminé. Mais d'autres
fois — et cela est plus rare — le moi succombe et le
malheureux commet le crime auquel il était depuis
longtemps poussé et cela sans le moindre profit, avec
la certitude de la honte et de la misère que son acte
doit lui attirer, attendant même en quelque sorte le
supplice et une mort honteuse qui lui apparaît comme
un soulagement et un bienfait en comparaison de
l'anxiété et des tourments dont il veut à tout prix voir
la fin\ »
§ i3. — La volonté et les fonctions organiques.
Nous trouvons en nous-mêmes des phénomènes qui,
d'une manière générale, paraissent sortir tout à fait
du domaine de la volonté. Ce sont ceux qui consti-
tuent beaucoup de fonctions organiques. Je n'ai pas
à entrer dans le détail de ces phénomènes, on en trou-
i. W. Griesinger, Traité des maladies mentales, pathologie et
thérapeutique, trad. française du D r Doumic. Paris, Delahaye,
1873, p. 3n,
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?MO LA VOLONTÉ
vera l'étude dans les traités de physiologie. Il en est
nmme la respiration, la miction, la défécation, où la
h >lonté peut intervenir avec une plus ou moins grande
efficacité, d'autres comme la circulation, la digestion
où son pouvoir paraît nul ou presque inappréciable.
Rien d'absolu, toutefois, ne se rencontre ici. Il
semble bien que nous retrouvons encore cette remar-
quable inégalité des aptitudes qui empêche d'établir
tics limites bien nettes entre ce qui est soumis à la
volonté et ce qui sort de son domaine. « On distin-
gue en physiologie, disait Ribot, les muscles volon-
I aires des muscles involontaires, mais en faisant
remarquer que cette distinction n'a rien d'absolu.
Un mouvement est volontaire, lorsque, à la suite
d essais heureux et répétés, il est lié à un état de
conscience, et sous un commandement 1 . »
Hack Tuke a cité un assez grand nombre de faits
iissez curieux, montrant que la volonté peut avoir,
EO certains cas, une action appréciable et au moins
issez directe sur des fonctions dans lesquelles, en
général, elle n'intervient pas. « Un membre distingué
lIo la Société royale de Londres, dit-il, M. Fox, ré-
animent décédé à l'âge de 79 ans, nous a dit qu'il
pouvait, par un effort volontaire, augmenter de dix à
ungt par minute le nombre des battements du pouls.
Sur notre demande il en fit l'expérience, non sans hési-
lation, parce qu'il sentait que cela n'était pas sans
Ranger, ou à tout le moins parce qu'il était convaincu
i pie sa santé pouvait en souffrir. Nous le fîmes asseoir,
rt nous examinâmes le pouls, qui avait 63 pulsations,
1. Ribot, Maladies de la volonté, p. 26, 27.
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I
LE DOMAINE DE LA VOLONTÉ 20Î
et était souple et régulier. Dans l'espace d'environ
deux minutes, le nombre des pulsations devint de
82. Nous lui demandâmes comment il pouvait arriver
à ce résultat ; il nous répondit qu'il lui était difficile
de déterminer la nature de ses efforts, mais qu'il les
croyait dus « en partie à une sorte d'impulsion, ac-
compagnée par un frissonnement intérieur, et en
partie à une action exercée sur la respiration » . Mais
cependant, comme il suffit, dans certaines circon-
stances, de diriger simplement l'attention vers le
cœur pour en augmenter le nombre des battements,
il ne semble pas nécessaire de supposer que la volonté
agisse directement sur le muscle cardiaque, de la
même manière que nous disons qu'elle agit sur les
muscles volontaires. Quant à nous, nous ne pouvons
pas, même par un effort d'attention, arriver à aug-
menter le nombre de nos pulsations; nous n'avons
pas plus de succès avec la respiration. Chez M. Fox,
il n'y avait d'ailleurs, en apparence, aucune augmen-
tation du nombre des mouvements respiratoires 1 . »
Le colonel Townsend, dont le cas est fameux, pou-
vait, dit-on, se mettre à son gré, dans une sorte
d'état léthargique pendant lequel le cœur cessait en
apparence de battre, le corps entier présentait le froid
et la rigidité de la mort, le visage pâlissait, les yeux
étaient fixes et vitreux. Les fakirs de l'Inde parais-
sent, en certains cas, pouvoir suspendre à volonté
un grand nombre de fonctions vitales. Bichat passe
1. D r Hack Tuke, Le Corps et l'Esprit, action du moral et de
l'imagination sur le*physique, traduit de l'anglais par Victor Pa-
rent, p. 297-298.
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101 LA VOLONTÉ
pour avoir eu la faculté de vomir à volonté, et le
D r Noble, de Manchester, disait : « Je suis de ceux
qui peuvent, à n'importe quel moment, vomir volon-
tairement, et chez moi cet acte n'est jamais précédé
de la moindre nausée. J'y arrive en abaissant le
diaphragme à l'aide des muscles abdominaux, au
gré de ma volonté et sans éprouver aucun malaise. »
Le D r Pantou, de Kilmanrock, peut, disait-il, al-
ternativement dilater ou contracter la pupille, aussi
facilement qu'il peut ouvrir ou fermer la main », et
cela sans le moindre effort d'accommodation. Il par-
vient, même à produire ces mouvements avec plus de
rapidité que ne le fait la pupille elle-même pour s'ac-
commoder à la vision rapprochée ou distante. C'est
ordinairement sous l'influence de la lumière ou de
l'ombre que la pupille se meut. Mais le D p Pantou peut
toujours, et à volonté, dilater sa pupille lorsqu'il a les
yeux exposés soit à la lumière, soit à l'obscurité * . »
Les phénomènes de ce genre sont plus curieux,
sans doute, que réellement intéressants. Ils sont excep-
tionnels, et l'interprétation n'en est pas toujours très
sûre. Toutefois ils ont au moins l'avantage de nous
montrer des différences et des transitions qui nous
empêchent de nous faire des idées trop absolues et
des généralisations trop hâtives et erronées. A ce titre,
il n'était peut-être pas inutile de les rappeler ici.
§ i4- — La volonté et le monde extérieur. Influence
directe.
Aux limites de notre organisme, notre volonté,
i. Id., lbid., p. 3oo-3o4.
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LE bOM.UNE Î>Ë LA VOLONTÉ 2o3
semble-t-il, doit forcément s'arrêter. Cela est-il bien
exact cependant?
Cela n'est pas complètement exact. Notre volonté
exerce, d'une façon plus ou moins indirecte, une
influence plus ou moins considérable sur le monde
extérieur. Mais cette influence, dont l'importance
varie beaucoup selon les personnes, leur caractère,
leur fonction sociale, semblera peut-être n'avoir
guère de rapports avec les faits de volonté que nous
avons étudiés jusqu'ici.
Je crois, pour mon compte, que ces rapports sont,
au contraire, assez étroits, et je tâcherai de le mon-
trer tout à l'heure. Mais auparavant il faut dire quel-
ques mots d'une influence beaucoup plus directe de
la volonté — comme des phénomènes psychiques en
général — influence bien plus douteuse aussi mais
qui a été beaucoup étudiée il y a quelques années.
J'y rattache cet ensemble de phénomènes désignes
sous le nom de suggestion mentale, ou d'halluci-
nations télépathiques, dont quelques-uns relèvent
évidemment de la volonté.
Un certain nombre d'observateurs sérieux, capa-
bles d'expérimenter rigoureusement, et présentant
des garanties scientifiques très suffisantes pensent
être parvenus à transmettre des ordres à distance,
à faire exécuter leurs volontés par des sujets appro-
priés, généralement sensibles à l'hypnotisme, sans
aucune communication appréciable par des moyens
connus entre celui qui ordonne et celui qui obéit.
Si une telle façon d'agir pouvait être constante et
généralisée, elle constituerait au profit de ceux qui
pourraient l'exercer une véritable extension de la
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2û4 LA. VOLONTÉ
personnalité, un prolongement de leur moi jusque
dans le moi des autres. Mais même en la sup-
posant parfaitement établie, elle ne constitue qu'une
exception, sans grande importance appréciable, jus-
qu'ici, au point de vue pratique. On peut la rapprocher
des faits curieux qui nous montrent, chez certaines
personnes, la possibilité d'agir par la volonté sur
les battements de leur cœur, placés à peu près aussi
bien, généralement, en dehors de ses atteintes que
l'esprit des autres hommes.
Je dois dire, d'ailleurs, que bien que la réalité
n'en soit pas universellement reconnue, et qu'elle
ait suscité d'irréductibles incrédulités, la possibilité
de l'action à distance paraît assez vraisemblable. Je
* ne m'attarderai pas à démontrer ici cette vraisem-
blance et j'indiquerai seulement les observations et
expériences de MM. Pierre Janet, Gibert, Charles
Richet, Héricourt, Ochorowicz, dont quelques-
unes paraissent en vérité à peu près aussi satisfai-
santes que possible ; il ne leur manque guère que
de pouvoir être répétées à volonté. Voici un fait ra-
conté par M. Héricourt : Il endormait souvent
M rae D. . . et avec une facilité chaque jour plus grande ;
au bout de quelque temps, il n'avait plus besoin
d'employer le regard, ni le contact, la volonté suffi-
sait. Enfin il essaya de l'endormir de loin, hors de
sa présence. « Les circonstances dit-il, dans lesquel-
les j'exerçai ainsi pour la première fois cette action
à longue distance méritent d'être rapportées avec
quelques détails. Étant un jour dans mon cabinet
(j'habitais alors Perpignan), l'idée me vint d'essayer
d'endormir M rae D... que j'avais tout lieu de croire
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Le domaine de La volonté 2o5
chez elle et qui habitait dans une rue distante envi-
ron de 3oo mètres de la mienne. J'étais d'ailleurs
bien éloigné de croire au succès d'une pareille expé-
rience. Il était trois heures de l'après-midi, je me
mis à me promener de long en large, en pensant
très vivement au résultat que je voulais obtenir ; et
j'étais absorbé par cet exercice quand on vint me
chercher pour voir des malades. Les cas étant pres-
sants, j'oubliai momentanément M me D... que je
devais .d'ailleurs rencontrer vers quatre heures et de-
mie sur une promenade publique. M'y étant rendu
à cette heure, je fus très étonné de ne l'y point voir,
mais je pensai qu'après tout, mon expérience avait
bien pu réussir ; aussi, vers cinq heures, pour ne
rien compromettre et rétablir les choses en leur état
normal, dans le cas où cet état eût été effectivement
troublé, par acquit de conscience, je songeai à ré-
veiller mon sujet, aussi vigoureusement que tout à
l'heure j'avais songé à l'endormir.
« Or, ayant eu l'occasion de voir M m6 D... dans
la soirée, voici ce qu'elle me raconta, d'une manière
absolument spontanée, et sans que j'eusse fait la moin-
dre allusion à son absence de la promenade : vers
trois heures, comme elle était dans sa chambre à
coucher, elle avait été prise subitement d'une envie
invincible de dormir ; ses paupières se faisaient de
plomb, et ses jambes se dérobaient, jamais elle ne
dormait dans la journée — au point qu'elle avait eu
à peine la force de passer dans son salon, pour s'y
laisser tomber sur un canapé. La domestique était
alors entrée pour lui parler, l'avait trouvée, comme
elle le lui raconta plus tard, pâle, la peau froide.
Paulhan, 12*
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2o6 LA VOLONTÉ
sans mouvement, comme morte, selon ses- expres-
sions. Justement effrayée, elle s'était mise à la re-
muer vigoureusement, mais sans parvenir cependant
à autre chose qu'à lui faire ouvrir les yeux. A ce
moment, M me D. . . me dit qu'elle n'avait eu conscience
que d'éprouver un violent mal de tête qui, paraît-
il, avait disparu subitement vers cinq heures. C'était
précisément le moment où j'avais pensé à la ré-
veiller.
« Ce récit ayant été spontané, je le répète, il n'y
avait plus de doute à conserver : ma tentative avait
certainement réussi. »
Sans informer M me D... de ce qu'il avait fait,
M. Héricourt entreprit toute une série d'expériences
qui furent contrôlées par diverses personnes et don-
nèrent un bon résultat i .
J'indiquerai aussi la très intéressante série d'expé-
riences faites au Havre et à Paris, sur M rae B..., par
M. Gilbert, M. Pierre Janet, M. Charles Richet.
Ces expériences ont été contrôlées et vérifiées 2 . Les
résultats concordants obtenus par les divers expéri-
mentateurs, s'ils ne suffisent pas pour forcer absolu-
ment la conviction, — pour de tels phénomènes, il est '
peut-être bon de se méfier un peu de quelque cause
d'erreur inaperçue, — doivent, au moins à mon avis,
faire accepter comme assez probables les résultats
obtenus.
i. J. Héricourt, Un cas de somnambulisme à distance. Bulletins
delà Société de psychologie physiologique y i885, 36-37-
2. On trouvera des détails à ce sujet dans les Bulletins de la
Société de psychologie physiologique.
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LE DOMAINE -DE LA VOLONTÉ ÏQJ
§ i5. — La volonté et le monde extérieur. Influence
indirecte.
Arrivons à l'influence incontestée mais indi-
recte de la volonté sur le monde extérieur. Il n'est
pas nécessaire de rappeler bien longuement les faits,
ils sont connus de tous. Notre volonté, qu'elle
s'exerce sur nos semblables, sur des êtres vivants
quelconques ou sur la matière inanimée, se tra-
duit continuellement par un certain nombre de
changements dans ce qui nous est extérieur. Un
officier donne un ordre et sa volonté se traduit non
seulement par ses paroles, mais aussi par les mou-
vements de ses soldats. La volonté d'un général se
traduira même, si elle est tout à fait efficace, si son
armée est victorieuse, par la fuite de l'ennemi. La
volonté de l'industriel se manifeste par les actions
de ses ouvriers, et aussi par les transformations que
ces ouvriers font subir à la matière. Tout ce qui
nous entoure, tout ce dont nous nous servons porte
ainsi plus ou moins la marque de la volonté de
l'homme (comme de ses idées et de ses désirs) et
chacun de nous même a subi plus ou moins l'in-
fluence d'une foule de volontés : volontés des vivants
qui l'ont élevé, volonté des morts qui ont formé ces
vivants et qui ont contribué aussi à rendre tel qu'il
est le monde au milieu duquel nous vivons et qui
réagit de tous côtés sur notre esprit.
Et notre volonté, à son tour, réagit continuelle-
ment sur ce qui nous entoure, sur les gens et sur
les choses, en sorte que nous ne connaissons sans
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2o8 LA VOLONTÉ
doute rien qui ne nous montre l'influence de la vo-
lonté humaine en dehors de l'homme qui l'exerce,
ou qui ne la rappelle, comme la mer sur laquelle
flottent les vaisseaux voulus par l'homme ou les
astres dont l'étude a excité ou servi tant d'idées, de
désirs et de volontés variées.
Sans doute ici l'action de la volonté est très indi-
recte, mais ne r est-elle pas déjà souvent dans notre
propre esprit et dans notre organisme ? Quand un
homme remue son doigt, il produit indirectement
une grande quantité de phénomènes qu'il ne con-
naît pas, qu'il n'a pas voulus. On a de la peine a
se débarrasser complètement de la mythologie psy-
chologique. Au fond la puissance de la volonté se
réduit h ceci : la synthèse nouvelle, que nous avons
étudiée, se complète par des phénomènes qui s'har-
monisent systématiquement avec elle. Je veux écrire
et tous les mouvements qui constituent récriture
viennent s'effectuer, d'une manière coordonnée. Je
veux me rappeler tel événement de ma vie, et les
idées et les images qui constituent pour moi cet
événement viennent peu à peu compléter l'impres-
sion vague qui existait déjà dans mon esprit et faisait
partie de la synthèse volitive.
La volonté comprend souvent une représentation,
plus ou moins nette, et parfois erronée du résultat
vers lequel elle tend. Cette représentation n T a pas
l'importance qu'on a voulu lui donner, par une
erreur bien fréquente en psychologie sur l'impur tance
de la conscience. On veut sans bien savoir au juste
ce que l'on veut, et parfois on veut tout à fait
autre chose que ce que l'on croit vouloir. Quoi
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LE DOMAINE DE LA VOLONTÉ 2O9
qu'il en soit, le cas de la volition consciente, où la
pensée représente à l'avance le but poursuivi rentre
dans le cas plus général que je viens de décrire.
L'idée primitive est une sorte de noyau avec lequel
viennent se systématiser la série des phénomènes qui
se déroulent ensuite. L'idée de remuer mes doigts
est complétée par tout un complexus de phénomènes
dont je puis n'avoir aucune connaissance : action
nerveuse dans les centres de l'encéphale, puis action
nerveuse centrifuge, contractions musculaires, petites
variations de la circulation ou de la température, etc.
Mais, au fond , cela ne diffère pas essentiellement
de l'action de la volonté d'un acheteur riche, par
exemple, sur une portion du monde extérieur. Il
peut demander à un industriel quelconque de faire
accomplir tel ou tel travail, scier tant de troncs
d'arbres, ou même commander à un peintre un ta-
bleau. Il n'a pas besoin d'avoir la moindre notion
sur les appareils qui vont fonctionner à son service
sous la main des ouvriers et la direction du contre-
maître et de l'industriel, il peut ignorer le nombre
d'ouvriers nécessaire à ce travail, il peut ne rien
entendre à la peinture. Sa volonté n'en aura pas
moins exercé une irrécusable influence et les phéno-
mènes extérieurs vont venir s'adapter à ses idées et à ses
désirs comme les phénomènes organiques l'auraient
fait s'il avait simplement voulu mettre son pied sur
une échelle. Ni l'une ni l'autre de ces actions n'est
immédiate. L'une et l'autre supposent au contraire
une longue série de phénomènes intermédiaires, qui
passent souvent ignorés, coordonnés pour conduire au
résultat final qui les complète et leur donne un sens,
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2IO LA VOLONTE
et qui seul est en général expressément et consciem-
ment voulu, lorsqu'il Test, ce qui n'est pas du tout
une règle absolue.
Et ces deux mécanismes sont sujets aux mêmes
détraquements. Si l'impulsion n'est pas suffisante,
ou si elle ne peut être transmise, si le nerf qui doit
relier les centres nerveux aux muscles est détruit, si
le muscle lui-même est trop endommagé, la volonté
ne peut arriver à se constituer ou bien elle reste im-
puissante. Et pareillement si l'acheteur n'est pas
assez riche ou n'inspire pas une confiance suffisante,
ou si le patron auquel il s'adresse ne peut, faute
d'argent ou pour s'en être remis à un contremaître
incapable, ou pour toute autre raison, se faire obéir
de ses ouvriers, ou si quelque accident arrive à l'usine,
ou si les ouvriers se mettent en grève, la volonté de
l'acheteur ne pourra produire son effet ; elle restera
impuissante et inefficace, la coordination des phéno-
mènes ne s'accomplira pas et la fin voulue ne sera
pas atteinte ou ne le sera que très incomplètement.
Naturellement cette transmission de notre volonté
au monde extérieur est chose relative et variable,
comme nous avons toujours vu l'être l'influence
de la volonté. Bien souvent elle demeure impuissante
et même n'arrive pas à se constituer. Non seulement
notre volonté n'aurait aucun effet sur le cours des
astres, mais nous ne pouvons même arriver à
vouloir complètement le modifier. De toutes parts
les bornes de notre pouvoir nous gênent et se font
parfois cruellement sentir. Même chez les plus privi-
légiés elles ne sont jamais bien éloignées dans le
temps et dans l'espace.
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LE 0OMAINE DE LA VOLONTE 211
Elles le sont assez, cependant, pour que des diffé-
rences considérables s'établissent entre les hommes.
Il en est qui sont à peu près impuissants à agir sur
les autres ou sur le monde, d'autres, au contraire,
ont un pouvoir relativement étendu. Ces différences
de pouvoir sont dues en partie à des différences psy-
chologiques et morales, qui s'enchevêtrent, se com-
pliquent, réagissent l'une sur l'autre, et que je n'ai
pas à étudier longuement ici. Il suffira d'en rap-
peler quelques-unes. Le courage, la persévérance,
la force et la finesse de l'esprit, la solidité des ten-
dances et l'intensité des désirs, la ténacité, sont évi-
demment de bonnes conditions pour que notre vo-
lonté puisse rayonner au loin. Il y a aussi à tenir
grand compte du prestige personnel où l'analyse
retrouverait sans doute quelques-uns des éléments
que je viens d'indiquer. Certaines conditions d'ordre
social n'ont pas moins d'importance : la richesse,
par exemple, aide puissamment notre volonté, et
sans elle, celle-ci ne peut, bien souvent, agir ni
même naître. Le rang social est encore important.
Toutes choses égales d'ailleurs la volonté d'un minis-
tre a plus de portée que celle d'un sous-préfet, celle
d'un général que celle d'un sergent, celle d'un
patron que celle d'un ouvrier.
Enfin pour que la volonté d'un individu puisse
avoir une influence lointaine sur la société et sur le
monde physique, une condition des plus utiles, en
bien des cas indispensable, c'est un certain degré
d'organisation sociale. Que l'on pense à la somme
énorme de travail, d'inventions, de désirs et d'idées,
qui sont coordonnés dans le simple fait d'un minis-
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r , - .r.^^pp^p
212 LA VOLONTÉ
tre faisant télégraphier à un fonctionnaire un ordre
dont l'exécution va peut-être amener une émeute et
une répression, une guerre et une conquête, et qu'on
réfléchisse aussi à l'agencement de rouages sociaux
nécessaire pour que de pareils faits soient possibles.
L'organisation sociale est nécessaire à la manifestation
extérieure de la volonté humaine comme l'organi-
sation physio-psychologique est nécessaire à sa ma-
nifestation interne.
Si l'on se laisse aller à suivre les analogies réelles,
et même profondes, je crois, qui rapprochent notre
action sur nos idées, nos sentiments et nos organes,
et notre action sur les autres êtres vivants et sur le
monde extérieur, nous arrivons à concevoir la société
humaine d'abord et ensuite le monde entier comme
une sorte de prolongement de notre personnalité.
Prolongement encore informe et mal organisé surtout
en ce qui regarde le monde extérieur, qui est en effet
bien mal unifié encore par rapport à nous et bien
peu soumis à nos désirs, mais sur lequel pourtant
nous avons déjà un certain empire, qui est allé s'ac-
croissant, autant que nous en pouvons juger, depuis
l'apparition de l'homme sur la terre.
On sait que si nous touchons le sol avec une
canne, nous sommes portés à localiser la sensation
au bout de la canne, comme nous la localisons au
bout de nos doigts si nous appuyons un doigt sur la
table. La canne est momentanément devenue comme
un de nos organes. Mais de même une foule d'objets
deviennent en quelque sorte les prolongements de nos
membres, et les organes de notre sensibilité. Le fusil
du chasseur, surtout si celui-ci sait bien le faire obéir,
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LE DOMAINE DE LA VOLONTÉ 2l3
s'il tue bien le gibier, devient un peu un élément de
sa personne. Et toutes les choses sur lesquelles notre
action s'étend, sur lesquelles notre activité peut se
déployer librement pour satisfaire nos désirs, ou qui
sont les conditions ordinaires de cette activité, nos
instruments préférés, nos meubles, notre maison,
le {>ays que nous habitons, etc., tout cela entre dans
le système de notre personnalité, notre moi s'y déve-
loppe à son aise, et sa volonté y est, dans certaines
limites, presque aussi puissante que dans notre orga-
nisme même, et plus efficace que dans certaines
parties de notre organisme. Il se forme ainsi autour
de nous une sorte de personnalité extérieure qui a
pour limites les bornes de notre influence sur la
nature.
A plus forte raison la société humaine peut nous
apparaître comme une extension du moi, une exten-
sion de chaque moi, c'est-à-dire en somme une
sorte d'âme collective composée d'éléments très iné-
gaux en valeur et en importance (la valeur et l'im-
portance n'étant pas toujours proportionnelles). Il
n'est pas d'homme dont la volonté n'exerce quelque
influence sur les autres, et il en est dont la volonté
est souverainement influente, décide de la vie et de
la mort de milliers d'individus.
C'est surtout en considérant la société comme un
ensemble déjà particulièrement unifié que nous com-
prenons l'appropriation du monde extérieur à
l'homme, l'adaptation de la planète à l'humanité.
Nous avons domestiqué les forces naturelles, et uti-
lisé les produits de chaque climat. C'est un travail
collectif qui a mis ainsi sous la dépendance de la
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2l4 LA VOLONTÉ
volonté de chacun une partie du monde extérieur dont
nous continuons à poursuivre la conquête.
L'homme, l'humanité, la terre, peut-être même
l'univers entier, apparaissent ainsi, à certains égards,
comme l'ébauche d'un vaste organisme, d'un esprit
immense qui se développe peu à peu, qui s'unifie
et se systématise. L'homme et les sociétés y sbnt
l'élément le mieux organisé et, à cause de cela,
le plus actif et celui qui transforme et s'assimile les
autres. Cette vue est sans doute incomplète et, à
cause de cela, dangereuse. Elle peut amener à des
erreurs philosophiques sur la nature essentielle du
monde. Elle est vraie pourtant si on la met à sa
place dans un système de conceptions générales, et
cette vérité nous suffit ici où je n'ai pas à con-
struire une philosophie. Quoi qu'il en soit d'ailleurs,
l'organisation du monde par rapport à l'humanité,
malgré tous les progrès accomplis, est bien peu
avancée encore, et l'être que fait le monde bien mal
unifié. Les limites de notre volonté, si bornée
encore, indiquent sur plus d'un point les limites de
cette unification.
§ 16. — La volonté obstacle à V action.
Il est enfin un dernier genre de limitation de
la volonté dont nous devons dire aussi quelques
mots. En certains cas, la volonté est une cause de
trouble pour l'activité, c'est en elle-même qu'elle
trouve en quelque sorte les obstacles qui l'arrê-
tent.
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LE DOMAINE DE LA VOLONTÉ Si 5
C'est un fait assez connu et chacun peut l'obser-
ver. Parfois nous exécutons automatiquement des
actes que nous ne pourrions exécuter volontairement
avec la même facilité. Si nous venons à réfléchir
à ce que nous faisons, à le vouloir au lieu de l'exé-
cuter machinalement, notre activité se trouble,
s'embarrasse, parfois s'arrête. Si notre attention se
porte sur un sentiment, si nous voulons l'éprouver,
en jouir, le sentinlent disparaît. Une série d'images
s'ébauche dans notre esprit pendant que nous tra-
vaillons, elle nous plaît, nous distrait, nous intéresse
et peu à peu nous détourne de notre travail. Nous
nous décidons alors à nous occuper directement
d'elle, nous voulons la faire développer à son aise dans
la conscience. Immédiatement, au contraire, les
images pâlissent, hésitent, et s'évanouissent, lais-
sant d'autres idées nous distraire. M. Souriau a très
bien noté ce fait dans sa Psychologie de Vinvention,
« nous trouvons le plus souvent, dit-il, nos idées,
par digression. Ainsi, au moment où je commen-
çais à écrire cet alinéa, je m'efforçais à trouver des
exemples de cette déviation involontaire de la réflexion ;
et justement je me mis à penser aux rapports de la
critique et de l'inspiration, que dans mon plan
j'avais rejetés beaucoup plus loin. Ne pouvant me
soustraire à cette obsession, je notai l'idée qui s'im-
posait à moi, à savoir qu'il était impossible de faire
à la critique sa part, et que dans le travail de la
composition il ne pouvait y avoir que deux méthodes
de développement, l'une rapide et absolument irré-
fléchie, l'autre tout à fait réfléchie et très lente. Pour
profiter de ces bonnes dispositions, je m'imposai la
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• -'- J? '^WÎ.Uf^^H-îk-S
âiô La volonté
tâche de suivre cette idée et de penser exclusivement
à la valeur de la critique. Mais lorsque j'eus écrit
quelques lignes sur ce sujet, j'éprouvai cette sensa-
tion particulière qui nous affecte lorsqu'une personne
que nous ne voulons pas regarder s'approche de
nous. Je sentais revenir les idées que j'avais essayé
d'écarter ; ma pensée se retournait malgré moi vers
mon premier sujet ; et, tout à coup, au moment
même où je concentrais le plus fortement mon
attention sur l'idée de critique, je prononçai très
nettement en moi-même la phrase suivante : « II
faut penser à côté ». Cette phrase s'était si bien
formée toute seule et à l'improviste, que je ne la
compris qu'après coup, comme il arrive lorsqu'on
nous adresse brusquement la parole et que notre
pensée est ailleurs. Ainsi l'effort de réflexion que je por-
tais sur l'idée de critique aboutissait à une idée relative
aux distractions de l'intelligence, comme tout à
l'heure, en réfléchissant à ces distractions, je
m'étais mis justement à penser à la critique. Je
pourrais donner mille exemples de ce genre * . »
On ne peut guère voir d'opposition plus nette entre
l'activité automatique et spontanée des éléments
psychiques et l'activité voulue ni d'exemple plus
frappant de ce trouble que la volonté risque d'appor-
ter aux actes qu'elle devrait faciliter, et qui se pro-
duit assez souvent. C'est là un fait très normal et
i. PaulSouRiAu, Théorie de l'invention, Paris, Hachette, i885,
p. 4-6. On trouvera d'autres faits dans une note de M. Lalande,
Revue philosophique, mars i8g3 ; Sur un effet particulier de l'atten-
tion appliquée aux images. On peut voir aussi ma note sur Y At-
tention et les images. Revue philosophique, mai 1893.
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LE DOMAINE DE LA VOLONTÉ 2I7
dont il n'est pas besoin de citer beaucoup d'exemples,
on en trouverait dans la production des perceptions
et des mouvements, comme dans la vie des images,
des idées et des sentiments. Divers états pathologi-
ques nous en montrent aussi un grand nombre. On
y voit la volonté rester impuissante où l'automa-
tisme réussit. J'emprunte quelques exemples à un
livre récent de M. Grasset: un malade de Brown-
Séquard, aphasique à l'état de veille, parlait dans le
sommeil chloroformique. Un malade, observé par
Dejerine et Luys, a les mouvements volontaires très
gênés à droite, « par contre la motilité inconsciente
est normale; lorsque le malade s'anime en parlant,
il fait des gestes qu'il ne pouvait pas exécuter comme
mpuvements volontaires...» Un malade de Friedel
Pick avait perdu le mouvement volontaire et conservé
le mouvement initatif. M. Grasset a observé un
homme qui dormait les yeux fermés, et ne pouvait
fermer ses yeux volontairement, un autre « rentrait
automatiquement chez lui pour déjeuner sans se
tromper de chemin. Mais si on lui disait : par où
allez-vous passer pour rentrer chez vous ? s'il essayait
de retrouver sa route consciemment et volontairement,
il se perdait * » .
M. Grasset explique ces cas pathologiques par
une dissociation ou une rupture de communication
entre le centre volontaire et les centres automatiques.
Il y a, dans tous les cas, un défaut d'accord entre
î. J. Grasset, Les Maladies de l'orientation et de l'équilibre,
Paris, Alcan, 1901, p. 82*84»
Paulhan, * i3
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21
8 LA VOLONTÉ
eux, et c'est ce qui se passe aussi dans les cas ana-
logues que présente l'état normal.
C'est un exemple de plus de l'état incohérent,
de l'état d'ébauche qui est celui de l'homme. Notre
volonté est souvent maladroite. Ellecomplique les phé-
nomènes, ce qui est déjà une difficulté qu'elle apporte
à leur accomplissement. Le phénomène automatique
s'effectue d'une façon relativement simple, avec un
nombre d'éléments en jeu relativement peu élevé. La
volonté, qui suppose l'intervention du moi, et d'un assez
grand nombre de tendances, d'idées et de désirs, vient
singulièrement en augmenter le nombre et rendre
l'opération plus complexe. Le jeu de quelques élé-
ments psychiques, idées ou images, pouvait s'effec-
tuer très régulièrement et se voit troublé par les ren-
forts nouveaux qu'amène la volonté, surtout si l'on
tient compte de ce que les phénomènes volontaires
sont en eux-mêmes des phénomènes dont la coordi-
nation, si elle doit déjà être assez avancée, est plus
imparfaite cependant que celle des phénomènes auto-
matiques. Aussi remarque-t-on généralement cette
impuissance spéciale de la volonté dans les cas où
l'action volontaire (impulsion ou attention) tend à se
substituer à l'action automatique et spontanée des
phénomènes. Des enfants qui jouent entre eux suffi-
samment bien s'arrêtent, hésitent ou tâtonnent si
des parents âgés viennent se mêler à leurs jeux,
leur donner des conseils et les diriger. De même des
éléments psychiques, qui accomplissaient passable-
ment leur besogne, sont gênés par l'intervention de
la volition et du cortège de phénomènes qui la re-
présente et qui vient s'imposer à eux.
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LE DOMAINE DE LA VOLONTE 2I§
§ i7-
Ainsi nous constatons partout les limites de notre
volonté et ses imperfections, et aussi son influence
et son empire.
Il ne faut pas s'imaginer que, dans son domaine
même, elle soit toujours active. Les éléments psy-
chiques qui lui sont le plus soumis travaillent
d'ordinaire et agissent sans elle. L'automatisme tient
une place extrêmement importante dans notre vie in-
tellectuelle, comme dans notre vie affective, et aussi
dans notre vie active. Si la volonté, sous ses formes
affaiblies, à dose, pour ainsi dire, infinitésimale se
retrouve partout ou à peu près partout, ses formes les
plus caractérisées, les plus éloignées de l'automatisme
sont relativement très rares. Elles constituent des
crises exceptionnelles, la vie ordinaire se fait sans
elles et se fait d'autant mieux qu'elles n'interviennent
pas.
D'autre part, comme nous avons pu nous en assu-
rer dans tous les ordres de faits que nous avons exa-
minés, le domaine de la volonté est essentiellement
variable. Il varie d'une personne à l'autre, il varie
chez une même personne, selon les moments, il varie
aussi de l'enfance à l'âge mûr et de l'âge mûr à la
vieillesse. Il varie non seulement avec le développe-
ment total de l'individu, mais aussi avec le déve-
loppement particulier de chaque tendance qui passe,
en général, et en considérant abstraitement les
choses, d'un état où la volonté est relativement im-
puissante par suite d'un défaut de coordination, à
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220 LA VOLONTE
un état mieux coordonné dans lequel le pouvoir de
la volonté s'affirme et se développe pour aboutir à
un état d'automatisme où la volonté redevient im-
puissante à cause de l'excès de coordination. Toutes
les tendances ne présentent pas, et il s'en faut de
beaucoup, la série de ces états, il en est beaucoup
qui s'arrêtent dans un degré du premier ou du
second stade ou qui ne s'arrêtent guère au troisième
et se dissocient plus ou moins. Leurs éléments s'en-
gagent alors, ou même auparavant, dans de nouvelles
tendances et commencent de nouvelles évolutions.
La vie de l'esprit, à cause des mille complications
dans lesquelles entrent les éléments, ne prend pas,
bien souvent, de formes régulières.
C'est l'extension, le développement du domaine
de la volonté que nous allons étudier à présent.
L'esprit y emploie des moyens parfois singuliers et
des ressources intéressantes à analyser.
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CHAPITRE IX
L'EXTENSION DU DOMAINE DE LA VOLONTÉ
FORMATION ET ÉDUCATION DE LA VOLONTÉ,
SUPPLÉANCES ET COMPLICATIONS
§ i. — L'élargissement du domaine de la volonté.
La volonté agrandit continuellement son domaine
de certains côtés, en même temps qu'elle le laisse
diminuer sur d'autres points. Elle conquiert des
actes, des idées, jadis purement automatiques, mais
aussi l'automatisme gagne d'autre part sur elle, et
des actes volontaires deviennent instinctifs et, parfois,
inconscients.
La formation et l'élargissement de la volonté s'o-
pèrent de plusieurs manières, plus ou moins régu-
lières, et nous y voyons encore intervenir, plus ou
moins, selon les cas, l'automatisme et la volonté. Par-
fois l'extension du domaine de la volonté se fait spon-
tanément pour ainsi dire, par des associations non vou-
lues de phénomènes, souvent aussi c'est une volition
qui rattache les uns aux autres les faits psychiques
dont l'union va permettre au pouvoir personnel de
s'exercer sur un plus grand nombre d'éléments psy-
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222 LA VOLONTÉ *
chiques. En général, d'ailleurs, l'automatisme et la
volonté y ont chacun leur part, et ces parts s'enche-
vêtrent et se compliquent singulièrement, comme
dans toute une bonne partie de notre vie mentale»
On ne fait volontairement, a-t-on dit, que ce qu'on
a déjà fait sans le vouloir. En un sens le mot est
exact. Il ne l'est pas absolument et l'affirmation con-
traire est presque aussi vraie. Il arrive assez souvent
qu'on fait volontairement des choses qu'on n'aurait
jamais pu faire automatiquement. Mais si l'on entend
que les actes élémentaires qui constituent un acte de
volonté sont généralement automatiques ou l'ont été,
et que la volonté résulte souvent d'un choix fait par
l'esprit parmi des phénomènes dus à l'activité spon-
tanée, je crois qu'il est impossible de ne pas recon-
naître la vérité de cette proposition.
Parmi nos façons d'agir, de parler, de raisonner,
dépenser, il en est qui conviennent plus que d'autres à
nos sentiments, à nos croyances, à l'ensemble de notre
personnalité. Souvent c'est seulement après coup
que nous nous en apercevons. Mais alors, par une
association systématique bien naturelle et générale-
ment spontanée, les désirs conscients et les éléments
déjà organisés du moi, qui en a profité, s'associent
à elles et deviennent capables de les faire revivre, de
les susciter de nouveau quand il le faudra. A me-
sure qu'elles s'associent ainsi à un plus grand nom-
bre d'éléments du moi, et qu'elles entrent de plus
en plus dans le système formé par le moi, elles sont
par cela même de plus en plus soumises au pouvoir
personnel qui n'est que l'expression de la vie con-
sciente systématique du moi.
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l'extension du domaine DE LA VOLONTÉ 223
Pareillement, il est des façons de parler, de raison-
ner, de penser qui conviennent moins que d'autres
à nos sentiments, à nos croyances, à l'ensemble de
notre personnalité, qui les choquent, les froissent,
ou même les mettent en danger. Et le même pro-
cessus se reproduit, mais en sens inverse. En bles-
sant notre personnalité, elles l'excitent autant que
celles qui s'harmonisent avec elles et elles tendent
aussi bien à éveiller l'activité de ses éléments. De là
un travail, souvent spontané, parfois volontaire, pour
arriver à exercer sur elles une influence, non plus
d'évocation cette fois, mais d'arrêt.
C'est là ce qu'on trouve au fond de tous les déve-
loppements réguliers du pouvoir personnel. A mesure
que le moi se forme, que la personnalité se déve-
loppe, beaucoup de tendances, d'abord instinctives,
sont peu à peu volontairement utilisées, ou volon-
tairement enrayées, et volontairement coordonnées.
Elles se mettent de plus en plus en harmonie, elles
se systématisent de plus en plus avec l'ensemble
des tendances déjà organisées, c'est-à-dire qu'elles
dépendent de plus en plus, dans leurs manifesta-
tions et dans leurs inhibitions de ce système déjà
formé. Et, à vrai dire, il ne faut pas considérer la
formation du moi comme une chose absolument dis-
tincte de cette coordination progressive. Car cette
coordination progressive constitue essentiellement,
pour une bonne part, la formation même de notre
personnalité. Le moi se fait lui-même par bien des
moyens divers et, en particulier, par des actes suc-
cessifs de volonté, comme nous avons eu occasion
de le remarquer déjà, qui le développent, qui l'orga-
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*$&m?
224 LA VOLONTÉ
nisent et qui, par son développement présent, pré-
parent son développement futur.
§ 2. — Enfants et adultes.
L'activité de l'enfant, au début de la vie, son acti-
vité physique et morale, est automatique et réflexe. Il
remue beaucoup au hasard des impulsions, et il sent,
il voit, il touche, comme il remue. Peu à peu cette
activité se régularise et se systématise, des rudiments
de volonté deviennent appréciables, des systèmes de
tendances peuvent en mettre d'autres en activité,
provoquer des mouvements utiles et voulus, utiliser
les données de l'automatisme et de l'activité réflexe,
et en même temps arrêter au besoin et coordonner
cette activité, introduire un certain ordre dans le
chaos des impressions et des impulsions. L'automa-
tisme même travaille pour préparer l'empire du pou-
voir personnel 1 .
Mais tout en étant très différentes en apparence,
les choses, au fond, ne se passent guère autre-
ment chez les adolescents ou chez les adultes. Tout
au moins et pour autant qu'on peut juger de l'état
mental chez des enfants, le procédé essentiel paraît
bien être, dans tous les cas, le même. Nous avons un
1. Voir les ouvrages de Bernard Pérez. La psychologie de l'en-
fant, les trois premières années. L'enfant de trois à sept ans. Paris,
Àlcan. Preyer, L'âme de l'enfant , trad. française de H. de Va-
rigny. Paris, Alcan, 1887, et la note de Taine, sur l'acquisition
du langage par les enfants, à la fin du premier volume de V In-
telligence. Paris, Hachette, i883, 4 e éd., etc.
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l'extension du domaine DE LA VOLONTÉ 225
cas de l'extension de l'empire du pouvoir personnel
lorsque l'on fait, par exemple, remarquer à un enfant,
dont la personnalité est déjà bien formée, ou à un
adulte, un tic, une habitude singulière oir- nuisible
dont il n'avait pour ainsi dire pas connaissance, qui
était devenue chez lui automatique, ou encore lors-
qu'il la remarque lui-même, à la suite de quelque
contrariété, de quelque moquerie, et qu'il se met
alors à tâcher de la soumettre à sa volonté. Parfois
il lui faut lutter assez vivement, et s'il est étourdi, in-
souciant, si son pouvoir personnel n'est pas déjà exercé
il peut échouer dans la lutte et laisser se continuer
l'habitude vicieuse. Il peut même l'oublier, n'y
plus prendre garde jusqu'à une nouvelle expérience
pénible.
Une grande partie de l'éducation que nous rece-
vons dans notre enfance de nos parents et de nos
professeurs et que nous continuons à recevoir plus
tard, moins officiellement, mais d'une façon encore
efficace, des gens avec qui nous sommes en relation
et des événements de notre vie, consiste ainsi à nous
rendre maîtres d'une immense quantité d'actions,
d'idées et d'impressions spontanées. Nous apprenons
à les "susciter quand il faut, à les enrayer à l'occa-
sion, à les corriger, à les débarrasser de leurs élé-
ments parasites ou nuisibles. C'est ainsi que nous
nous adaptons à des circonstances nouvelles, que
nous apprenons à danser ou à chanter, à nous tenir
convenablement dans le monde, à faire des thèmes et
des versions, à parler des langues étrangères, même
à penser, à réfléchir, etc. Chaque nouvelle acquisi-
tion est une combinaison nouvelle d'automatismes
i3.
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7 2 6 LA VOLONTÉ
préexistants et donne aussi la possibilité de régulariser
ou «l'enrayer le jeu des éléments psychiques qui agis-
saient auparavant en dehors du pouvoir personnel
ou contre lui. Chacune est une discipline nouvelle
imposée par le moi à des éléments psychiques
plus libres jusque-là, et l'annexion au domaine
4 lu pouvoir personnel d'un domaine nouveau : actes,
idées, ek\, qui n'existait pas auparavant et que
nous créons avec des éléments que nous trouvons en
nous «tu qui existait déjà, mais qui jouissait alors
iFunc activité plus indépendante.
G© travail se poursuit tant que notre personnalité
évolue, il diminue à mesure qu'elle se fixe pour re-
prendre plus tard si les circonstances l'exigent et si
notre esprit a conservé assez de souplesse pour» Tac-
eoiuplir. Je n'en donne ici que le schéma 1 11 est très
varié dans la vie, tout coupé de luttes et de repos, de
vieloires cl de défaites, de progrès et de reculs, inter-
rompu parfois sur un point pendant de longues pé-
ril h les pour se concentrer sur quelques autres. Il se
compliqua de toutes façons par l'intervention de
riniiijilinn sous toutes ses formes, de la suggestion,
i le- l'automatisme et de la volonté, par l'activité va-
riable el sans cesse renouvelée des idées et des sen-
timents. Mais il n'est pas utile d'entrer ici dans tous
ees détails et d'ailleurs, chacun peut s'en faire une
idée assez exacte par sa propre expérience et par ses
observations.
Ce travail est plus ou moins compensé par une
opération inverse : le passage de la volonté à l'au-
tomatisme et le recul, sur certains points définitif,
du pt n nuir personnel. Nous avons eu déjà l'occasion
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L EXTENSION* DU DOMAINE DE LA VOLONTE 227
de parler de cette transformation . A mesure qu'une
fonction s'accomplit plus régulièrement dans les con-
ditions voulues, le moi intervient, toutes choses
égales d'ailleurs, de moins en moins, les associations
de cette fonction, avec beaucoup d'éléments de la
personnalité, se relâchent et se dissolvent. Elles sont
remplacées par d'autres si l'état d'activité de l'esprit
l'exige et le permet. Il y a, en effet, une grande con-
currence entre les phénomènes psychiques et, comme
l'avait remarqué Taine il y a longtemps déjà, la sé-
lection naturelle s'applique continuellement dans le
domaine de l'esprit. D'ailleurs à mesure qu'un acte
est plus systématisé, l'excitation qu'il apporte est
moins vive,, et peu à peu, bien des idées, des impres-
sions, des sentiments, qu'il éveillait tout d'abord,
s'atténuent et disparaissent. Peu à peu le nombre des
éléments mis en jeu diminue, l'acte finit par s'ac-
complir de lui-même quand il le faut, comme le tra-
' vail qu'un ouvrier, une fois son apprentissage fini et
ses habitudes prises, peut faire spontanément et sans
direction active. Et il peut se faire que le moi,
l'ayant négligé, s'étant pour ainsi dire fié à lui, perde
une bonne part de son influence, et, plus tard, éprouve
de grandes difficultés s'il se trouve avoir besoin de
changer quelque chose à cette activité qu'il forma
jadis, mais qui est maintenant devenue automatique
et qui fonctionne sans son intervention.
On en a souvent des exemples dans la vie pratique.
Il faut aux élèves des efforts, des actes de volonté
répétés, pour prendre certaines habitudes d'esprit,
puis ces habitudes s'organisent, l'intelligence, les
idées obéissent à la volonté, mais ces habitudes
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228 LA VOLONTÉ
plus tard finissent par devenir inconscientes et tyran-
niques, elles ont acquis une organisation qui leur
permet d'agir sans une intervention expresse de la
volonté, et, enfin, si, les circonstances changeant, la
volonté vient à changer aussi, elle éprouve de grandes
difficultés à briser ce qu'elle a créé elle-même ou à le
transformer. 11 n'est nullement rare de voir des gens
victimes d'habitudes qu'ils ont volontairement prises,
acquises même par des efforts de volonté, et dont ils
ne peuvent pas se débarrasser plus tard, parce qu'elles
sont devenues automatiques et fonctionnent en dehors
de l'exercice du pouvoir personnel.
§ 3. — Les moyens indirects du pouvoir personnel.
Le pouvoir personnel n'étend pas son domaine
seulement par des moyens réguliers et directs. Bien
des faits internes resteraient en dehors de ses prises
sur lesquels il est nécessaire qu'il agisse. Alors nous
employons, pour les suppléer, des moyens plus indi-
rects et détournés, des sortes de « trucs ». Parfois il
ne s'agit que d'une volition à déterminer acciden-
tellement, parfois au contraire il s'agit d'une annexion
durable à déterminer, il faut mettre tout un méca-
nisme mental ou moteur resté jusqu'ici assez indépen-
dant, dans la dépendance du moi et à la disposition
du pouvoir personnel qui disposera de lui désormais.
Tous les cas peuvent se présenter, les uns très
simples, les autres très compliqués, selon qu'il faut
agir sur des éléments psychiques plus ou moins in-
dépendants, et, pour employer une métaphore, plus
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L EXTENSION DU DOMAINE DE LA VOLONTÉ 229
ou moins éloignés du centre du moi, et éloignés
d'une façon plus ou moins durable. Tandis, en effet,
que quelques éléments psychiques, et une bonne par-
tie des fonctions organiques restent, naturellement
d'une façon constante en dehors des prises du moi,
il en est d'autres qui tantôt obéissent à notre volonté et
tantôt restent indépendants, selon les circonstances et
aussi selon nos dispositions morales. Il est des jours
de paresse, où nous ne pouvons presque rien sur
nous-mêmes et des jours d'enthousiasme où tout
nous semble facile. Mais j'ai déjà suffisamment indi-
qué, à plusieurs reprises, les variations incessantes des
limites de l'empire du pouvoir personnel.
Pour les étendre, soit momentanément, soit d'une
manière durable, nous pouvons ou bien agir sur les
éléments psychiques, trouver des combinaisons ingé-
nieuses qui nous permettent de relier ceux de ces
éléments que nous ne pouvons atteindre d'une façon
plus directe, à d'autres sur lesquels nous influons fa-
cilement ou de profiter de leurs relations naturelles,
ou bien agir sur le pouvoir personnel, sur le moi en
général, sur l'organisme entier de façon à exalter sa
puissance soit par une excitation momentanée, soit par
un accroissement permanent de notre vigueur physique
ou morale. Nous pouvons encore combiner les deux
sortes de moyens. Parmi ceux de la première caté-
gorie signalons tout de suite, pour fixer les idées par
des exemples concrets, l'action exercée sur les bat-
tements du cœur ou sur la pupille par un exercice
approprié de l'imagination, et parmi ceux de la se-
conde catégorie, l'excitation obtenue par l'alcool ou
par une exhortation morale.
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23o LA VOLONTÉ
§ 4- — Combinaisons de phénomènes. L'intermé-
diaire efficace.
Souvent les phénomènes sur lesquels nous ne pou-
vons pas agir directement sont associés à des phé-
nomènes sur lesquels nous agissons selon notre gré,
ou bien peuvent leur être associés par des combinai-
sons qu'il dépend de nous de produire. Parfois encore
le phénomène intermédiaire entre le pouvoir person-
nel et l'élément automatique relativement indépen-
dant ne peut pas être suscité à volonté, mais il se
présente de lui-même dans certaines circonstances,
et nous pouvons l'utiliser.
Comme j'ai eu déjà l'occasion de le faire remar-
quer, cette action indirecte ne diffère pas essentielle-
ment de ce que nous considérons comme l'action di-
recte de la volonté. Si elle se régularisait, devenait
fréquente et automatique de manière que nous puis-
sions ne plus apercevoir les intermédiaires, elle nous
apparaîtrait, à son tour, comme immédiate et di-
recte. L'influence de la synthèse volitive se trans-
met de proche en proche, éveillant d'abord les phéno-
mènes les plus étroitement reliés à ceux qui la con-
stituent, et ces phénomènes à leur tour en éveillent
d'autres et ainsi de suite de façon que l'ensemble
de ces opérations garde toujours la même direction
générale et la même orientation. Il est bien difficile
d'assigner un rang à chaque phénomène qui se pro-
duit, mais il n'y a pas de différence notable entre
celui qui figure au commencement de la série et celui
qui se trouve vers la fin,
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l'extension du domaine de la volonté ia3i
Par des intermédiaires bien choisis ou qui se pré-
sentent naturellement à nous dans certains cas et que
nous nous bornons à utiliser, le pouvoir personnel
peut s'étendre et s'élargir singulièrement, si nous
sommes assez intelligents pour remarquer la nature
de ces intermédiaires, et assez adroits pour nous en
servir. Ici encore, il est bien évident que la moindre
observation nous révèle des différences considérables
entre les individus.
Nous pouvons agir ainsi, par des procédés indi-
rects, sur nos idées, sur nos sentiments, sur notre
conduite et même sur nos fonctions organiques, et
nous recourons soit instinctivement, soit volontaire-
ment à ces procédés, quand l'automatisme direct et
le pouvoir personnel restent impuissants.
Sur nos idées nous exerçons souvent une action
indirecte au moyen de l'attention. Sans doute cette
action n'est pas toujours très indirecte. Il nous est pos-
sible, bien souvent, de porter notre attention sur un
objet, sur une idée, sans avoir recours à des procé-
dés détournés, en utilisant simplement nos senti-
ments permanents, dont la pression, d'ailleurs, est
souvent la cause ou au moins une des conditions de
la volition qui les utilise. Par exemple je puis, en
général, prendre un livre et, dans une certaine me-
sure, lire attentivement au moins un moment.
Mais souvent aussi la volonté ne dispose pas de
forces suffisantes. On aurait quelque désir de s'ap-
pliquer à une lçcture, à un travail et l'on ne peut le
faire. L'impulsion affective fait défaut, les sentiments
qui poussent à l'attention sont trop faibles, ou les
éléments du moi sont trop peu disciplinés pour se
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-*,?;ry*.« i * . ijljpw,
232 LA VOLONTÉ
coordonner [à [la moindre velléité. Alors se produi-
sent les combinaisons que M. Ribot a signalées.
Elles font profiter l'attention volontaire de la force
fournie [par un sentiment puissant qui vient se
combiner avec celui qui nous poussait déjà, sans y
réussir, à être attentifs. On peut, soit chez soi-même,
soit chez d'autres, tâcher de susciter ainsi des asso-
ciations utiles, de trouver l'intermédiaire efficace qui
unira le moi irrésolu ou impuissant à l'acte auquel
on désire le décider, et Un enfant refuse d'apprendre
à lire ; il est incapable de tenir son esprit fixé sur
des lettres sans attrait pour lui ; mais il contemple
avec avidité les images contenues dans un livre,
« Que représentent ces images ? » Le père répond :
« Quand tu sauras lire, le livre te l'apprendra. »
Après plusieurs colloques de ce genre, l'enfant se
résigne, se met d'abord mollement à la tâche, puis
s'habitue et finalement montre une ardeur qui a
besoin d'être modérée. « Voilà un cas de genèse de
l'attention volontaire. Il a fallu greffer sur un désir
naturel et direct un désir artificiel et indirect. La
lecture est une opération qui n'a pas d'attrait immé-
diat, mais elle a un attrait comme moyen, un attrait
d'emprunt ; cela suffit : l'enfant est pris dans un
rouage ; le premier pas est fait l . »
Cette action exercée sur les idées nous la retrou-
vons sous bien des formes différentes, et même je
crois qu'on peut la retrouver dans tous les domaines
de Tin tell igence. La recherche du moyen, de Pin-
i. Ribot, Psychologie de Vatlenlion, 5i-5a.
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l'extension du domaine de LA VOLONTÉ 233
termédiaire efficace est une des grandes occupations
de Thomme.
La volonté de nous faire des idées justes sur
un sujet donné, d'acquérir des connaissances capa-
bles de diriger notre conduite implique bien souvent
la recherche de ce moyen, de cet intermédiaire effi-
cace que nous venons de voir apparaître sous une
forme assez simple et assez particulière. Passons à
l'extrême opposé, considérons-le sous une forme très
générale. L'homme a toujours voulu se faire des opi-
nions sur l'ensemble des choses, sur le monde et sur
ses semblables, mais il voulait en même temps se
faire des idées vraies, capables de lui donner une
bonne direction, de lui faire prévoir l'expérience fu-
ture, et de le mettre à même de s'y adapter. Depuis
les conceptions rudimentaires du fétichiste jusqu'aux
théologies les plus savantes, depuis les réflexions
naïves du sauvage préhistorique jusqu'aux plus sub-
tiles métaphysiques, toutes nos idées philosophiques
et religieuses sont des manifestations de ce besoin,
dans lesquelles la volonté a joué son rôle. Mais main-
tenant la conception scientifique du monde et de la
connaissance, l'idée d'une méthode expérimentale
rigoureuse, et, si l'on veut, l'effort pour remplacer
l'« état théologique » et l'« état métaphysique » par
l'« état positif », n'est qu'une tentative pour trouver
un intermédiaire nouveau et efficace afin de relier
notre désir de conceptions générales vraies avec l'en-
semble de notre activité mentale et de créer enfin
ces conceptions générales que l'on juge avoir été
vainement cherchées par d'autres moyens. Notre
pouvoir personnel ne peut créer directement ces
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234 LA VOLONTÉ
idées, encore à peine ébauchées et qui ne peuvent
être amenées à l'existence définie par un simple acte
de réflexion. Il faut trouver le moyen de rendre
notre volonté efficace, le moyen c'est, d'après la phi-
losophie positive (dont je n'ai pas ici à discuter le
fond et que je ne prends que comme exemple psycho-
logique) de l'appliquer à d'autres objets, plus ou
moins aisément accessibles, de suivre des méthodes
déterminées, d'éviter au contraire certains procédés
déjà vainement employés, et d'arriver ainsi peu à
peu à ce que la volonté ne peut nous faire atteindre
d'emblée et directement.
Ce n'est pas, bien évidemment, le seul procédé
que peut inspirer le désir de la croyance philosophi-
que vraie. On peut même tâcher de suggérer une telle
croyance par des moyens tout à fait différents, si
l'on pense, par exemple, qu'elle est déjà trouvée et
que l'esprit doit l'accepter, non la créer. On peut
compter alors sur l'influence de la pratique. Si la
volonté seule reste impuissante, la routine, l'activité
systématisée dans le sens voulu, sur laquelle notre
pouvoir personnel peut plus facilement influer, finira
peut-être par la faire triompher. « ^Vous voulez allez
à la foi, disait Pascal dans un passage souvent cité,
et vous n'en savez pas le chemin ; vous voulez vous
guérir de l'infidélité, et vous en demandez le remède :
apprenez de ceux qui ont été liés comme vous, et
qui parient maintenant tout leur bien ; ce sont gens
qui suivent ce chemin que vous voudriez suivre, et
guérir d'un mal dont vous voulez guérir. Suivez la ma-
nière par où ils ont commencé : c'est en faisant tout
comme s'ils croyaient, en prenant de l'eau bénite, en
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l'extension du domaine de la VOLONTÉ 235
faisant dire des messes, etc. Naturellement cela vous
fera croire et vous abêtira ! . » Ce passage a suscité
bien des réclamations, et pourtant sous une forme
ou sous une autre, rien n'est plus répandu que la
méthode invoquée ici par Pascal. Bien souvent,
ceux qui l'emploient le font instinctivement, sans s'en
rendre compte, et ne voudraient pas convenir avec
eux-mêmes qu'ils y ont recours. Mais, en fait, quand
on a besoin d'avoir une opinion, on trouve presque
toujours ' quelque moyen, logique ou illogique pour
l'adopter, pour se laisser convaincre ou pour se faire
persuader, pour s'entraîner soi même ou se laisser
entraîner par les autres. Ce qui le prouve, c'est
l'accord qui existe assez généralement entre les opi-
nions d'une 4 personne et les exigences de sa position
sociale, de son milieu. Cet accord s'établit, souvent,
d'une manière à peu près automatique, sans que la
volonté ait à intervenir d'une manière appréciable et
surtout avec une pleine conscience de son rôle.
§ 5. — Action sur les sentiments.
Comme nous pouvons agir directement ou indi-
rectement sur nos idées ; nous pouvons faire aussi
de même à l'égard de nos sentiments. Ici l'action
par des moyens détournés s'impose même plus sou-
vent, car, comme nous l'avons vu, notre action directe
est bien plus restreinte. (Je prends, bien entendu,
le mot « directe » dans un sens relatif.)
i. Pascal, Opuscules et Pensées. Édition Brunschvicg. Paris,
Hachette, p. l\l\i.
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236 LA VOLONTÉ
Aussi l'action sur l'intelligence est-elle pour nous
un moyen d'influer indirectement sur nos sentiments
en tant que ces sentiments sont liés à de certaines
idées ou que nous pouvons en nous attachant à de
certaines idées nous empêcher de penser à eux. Nous
savons aussi que, en nous plaçant dans certaines con-
ditions extérieures nous agissons sur nos sentiments
d'une manière possible à prévoir et à régler, au
moins dans une certaine mesure. Enfin notre acti-
vité aussi influence nos sentiments comme nos idées,
et elle dépend souvent de nous plus que nos senti-
ments. Soit que nous voulions renforcer certains sen-
timents, soit que nous voulions en éliminer ou en
affaiblir d'autres, nous avons donc le choix entre un
assez grand nombre de moyens d'action, et nous pou-
vons indirectement étendre, d'une manière parfois
considérable, l'influence de notre pouvoir personnel.
Je rappellerai simplement quelques-uns des pro-
cédés très souvent mis en usage. Pour se distraire
d'un chagrin ou d'un souci que la volonté seule ne
pourrait suffisamment affaiblir par son influence di-
recte, on voyage. Les perceptions nouvelles, les idées
qu'elles font naître, les sentiments qu'elles nous inspi-
rent sont de puissantes distractions. Inversement,
pour renforcer un sentiment que l'on veut développer
mais sur lequel la volition simple ne peut guère
agir, on se place dans des conditions extérieures spé-
ciales, on s'isole, on évite les distractions, on prévient
ou on inhibe toutes les excitations qui lui seraient
hostiles, on s'entoure de personnes et d'objets sus-
ceptibles de le faire grancfîr, pour une raison ou pour
une autre, quelquefois même par l'opposition et le
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l' EXTENSION DU DOMAINE DE LA VOLONTE 2^
contraste. On recherche les « souvenirs», on s'en-
traîne l'imagination.
Parfois encore on se suggère dans la mesure du
possible le sentiment désiré, ou le «contre-sentiment»
voulu, on agit comme si l'on était tel qu'on veut
être et cette sugg'estion par l'acte est parfois aussi
puissante sur le sentiment que sur l'intelligence. (Il
est vrai que parfois aussi on aboutit simplement à
une irrésistible réaction.) Après avoir fait une chose
avec répugnance on arrive à la faire avec goût, on
est assez facilement entraîné à sentir selon la direc-
tion dans laquelle on a agi. L'action, si influente sur
les opinions, ne reste pas sans effets sur les senti-
ments qui les accompagnent.
§ 6. — Exercice de la volonté.
On s'entraîne aussi à vouloir. Car la volonté même
n'est pas toujours aisément soumise par le pouvoir
personnel. Il est bien des gens qui ne peuvent
pas vouloir alors qu'ils en auraient envie, il leur
faut de l'exercice et de l'entraînement. Et l'on s'ha-
bitue aussi à agir. Arriver à faire des choses qui
nous répugnent est parfois une conquête qui donne
beaucoup de peine au pouvoir personnel. On y
arrive aussi par des moyens indirects ou semblables à
ceux que nous avons eu déjà l'occasion d'invoquer.
C'est en empruntant la force d'un sentiment puis-
sant qu'on peut surmonter l'aversion que nous ins-
pire un acte, mais si cela s^ fait parfois automatique-
ment, spontanément, ce n'est pas toujours le cas. Il
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♦>33 LÀ. VOLONTÉ .
nous faut souvent faire effort, vouloir énergiquement
pour bien associer l'idée de l'acte à commettre avec le
sentiment qui doit la faire triompher. On se décide
ainsi parfois à un sacrifice pénible à force de se
représenter les avantages que peut en retirer une
personne qu'on aime, si ce sentiment d'affection est
1res fort. On arrive à vouloir supporter l'amputation
d'un membre pour conserver la vie, à faire une dé-
marche pénible à cause du profit qu'on espère en
lirer. La volonté intervient souvent ici pour bien
mettre en rapport la tendance sur laquelle elle s'ap-
I uriera, d'Une part avec l'idée de l'acte qu'elle doit favo-
r iser, et, d'autre part, par la même occasion, avec la
tendance, l'impression qu'elle doit combattre. Elle ar-
rive ainsi, comme dans le cas de l'attention, à rendre
pofcsible indirectement ce qu'elle était incapable de
faire d'elle-même, par son action directe, sans moyens
détournés, et, pour ainsi dire, sans stratagème.
Une fois que cette conquête a été faite, elle peut
se répéter, devenir habituelle et l'empire du pouvoir
personnel s'est élargi à l'avantage de la systématisa-
liun générale de l'esprit. On peut arriver ainsi, en s'y
impliquant méthodiquement si l'on est surtout per-
sévérant, et parfois assez vite si l'on a beaucoup de
Si mplesse d'esprit et quelques sentiments directeurs
très forts, à « se posséder » vraiment, à être « maître
de soi », à se servir à son gré et selon le besoin qu'on
*n a de ses facultés, de ses idées, de ses sentiments,
de son activité motrice, à réaliser enfin, mais jamais
complètement, le portrait idéal et flatté que don-
naient les spiritualistes du pouvoir personnel de
l'homme et que j'ai déjà cité.
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L^EXTENStON DtJ DOMAINE DE LÀ. VOLONTÉ 2^9
§ 7. — Les fonctions organiques. Actions directes et
indirectes^.
Cette domination du pouvoir personnel peut
s'étendre «'jusque sur les fonctions organiques qui
s'échappent lé plus à notre volonté. L'importance de
cette action n'est grande que lorsqu'elle est indirecte,
et elle n'a pas encore atteint autant de précision qu'on
voudrait et qu'il le faudrait pour être tout à fait utile.
Il est un certain nombre d'actions indirectes qui
n'ont pas une grande importance. On peut par
exemple, en courant, augmenter le nombre de bat-
tements du cœur. Certaines personnes arrivent
aussi, par l'imagination, à contracter ou à dilater leur
pupille. Le P r Béer, de Bonn, opérait, dit-on, de la
manière suivante : lorsqu'il pensait à un lieu obscur,
sa pupille se dilatait, elle se contractait, au con-
traire, s'il pensait à un espace lumineux. Un au-
teur cite plusieurs personnes qui pouvaient, suivant
la direction de leurs idées, dilater la pupille, il n'en
avait trouvé aucune qui pût la contracter \
D'autres actions indirectes sont si évidentes qu'il
n'y aurait aucune utilité à en parler longuement. De
ce nombre est par exemple l'action qu'on exerce sur
l'estomac en mangeant, sur la respiration et sur la
composition de notre sang en recherchant un air pur.
Ce sont pourtant des remarques comme celles-là,
convenablement multipliées, étendues, analysées,
variées, qui sont à la base de l'hygiène et de la mé-
1. Voir Hack Tuke, ouvr. cité. Trad. française, 3oa-3o3.
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2^0 LA VOLONTÉ
decine. Et l'hygiène et la médecine constituent les
deux grands groupes de moyens objectifs par les-
quels nous soumettons indirectement à notre pou-
voir personnel, bien imparfaitement encore, à la
vérité, le jeu de nos organes. Par elles le domaine
de notre volonté s'accroît largement. Elles nous
fournissent souvent cet intermédiaire efficace dont
nous avons vu la nécessité et suppléent à l'impuis-
sance de notre volonté tentant d'agir directement
sur nos organes. Au moins viennent-elles augmen-
ter et fortifier son action, car il semble bien que
celle-ci ne soit pas nulle et que la ferme volonté de
se bien porter ou de guérir n'est pas sans exercer
quelque influence favorable sur le jeu de nos fonc-
tions organiques, par l'intermédiaire, sans doute, de
l'idée et du désir.
A chaque expérience nouvelle qui nous montre
l'effet d'un remède, à chaque découverte de l'hygiène
ou de la thérapeutique, notre pouvoir personnel
étend son domaine. Seulement il faut bien remar-
querque le phénomène, ici, est plutôt social que psycho-
logique, à cause de la division du travail social et de la
spécialisation des fonctions. Ce sont ceux qui con-
naissent la science qui ont directement la parcelle de
pouvoir qu'elles donnent. Les autres en profitent
indirectement. Au point de vue individuel, c'est
simplement une complication de plus. Le premier
venu ne peut agir sur ses organes, pour suppléer la
volonté impuissante, qu'en voulant aller consulter
un hygiéniste, un médecin, et, ensuite en voulant
suivre ses conseils et employer les moyens qui lui
ont été recommandés.
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L*EXTENSlON DU DOMAINE DE LA VOLONTE 2^1
L'auto-suggestion nous donne un moyen un peu
plus direct pour soumettre au pouvoir personnel soit
nos sentiments soit même nos fonctions organiques.
Elle utilise l'influence naturelle des idées qui sont,
ici, l'intermédiaire efficace. M. le D r Paul-Émile
Lévy qui a étudié l'emploi thérapeutique de l'auto-
suggestion insiste sur ce que l'auto-suggestion ne
demande pas (ou rarement) de tension de la volonté,
d'effort volontaire, au moins sous forme de tension
brusque. L'effort doit être plus lent, graduel, moins
senti. « Le « je veux » est même nuisible car il
implique un désir et, par conséquent, la possibilité
d'une non réalisation. On ne devra pas dire : « je
veux être fort, bien portant, etc. » On usera de
l'affirmation pure : « Je suis bien portant, fort,
calme, je ne souffre pas, etc. » Même si nous n'y
ajoutons pas tout d'abord la moindre foi, ces for-
mules répétées machinalement finiront par amener
peu à peu à leur suite l'idée qu'elles représentent. »
Puis cette idée se précisera, se rapprochera de
l'image et tendra de plus en plus vers sa réalisa-
tion. On a obtenu ainsi des modifications de senti-
nïents ou d'habitudes, et aussi la guérison de
l'insomnie, la disparition ou la diminution de fati-
gues, de courbatures, de crampes dans la main ou
le mollet, de spasmes des paupières, de maux de
tête, de névralgies, de maux de dents, de palpita-
tions, de quintes de toux, de coliques et de constipa-
tions. *.
I. D r Paul-Émile Lévy. L'éducafion rationnelle de la volonté.
Son emploi thérapeutique, 3 e éd. Paris, Alcan, 1901.
Pauliian. i4
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2^2 La volost^
La suggestion hypnotique peut utiliser aussi l'in-
fluence des idées et des sentiments sur les fonctions
organiques. La purgation, la vésication, la brûlure
même peuvent être obtenues ainsi sans purgatifs, sans
substances vésicantes et sans corps brûlant, mais ici
ce n'est pas, en général, le pouvoir personnel de
celui dont les fonctions organiques sont modifiées,
qui est directement accru, c'est celui de l'hypnoti-
seur. Le pouvoir personnel du patient, ne s'étend
guère que très indirectement, par la possibilité
d'aller trouver un hypnotiseur, et de se résigner à
suspendre précisément l'exercice ordinaire de ce
pouvoir personnel. En revanche le pouvoir per-
sonnel de l'hypnotiseur est considérablement aug-
menté par les procédés qui lui soumettent, d'une
manière si frappante, l'esprit et même l'organisme
de l'hypnotisé 1 .
§ 8. — La conquête du monde extérieur.
Certains spirites ou des adeptes de la théosophie,
des sciences occultes, affirment pouvoir agir directe-
ment par la volonté sur le monde extérieur. Bien
i . Voir en particulier sur l'hypnotisme et la suggestion :
Bermieim, La Suggestion. Paris, Doin, 1886. Binet et Féré\
Le Magnétisme animal. Paris, Alcan, 1887. Durand de Gros,
Le merveilleux scientifique. Paris, Alcan, i8q4- Pierre Janet,
L'Automatisme psychologique. Paris, Alcan, 1089. Ch. Richet,
L'Homme et l'intelligence. Paris, Alcan, i884- Richer, Etudes
cliniques sur la grande hystérie ou hystéro-épilepsie. Paris, Dela-
haye et Lecrosnier, i885, les ouvrages et travaux de Charcot,
Bourru et Burot, Delbœuf, Liégeois, etc.
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i
l'extension du domaine de LA VOLONTÉ 2^3
que les phénomènes décrits par des observateurs
sérieux soient quelquefois intéressants et puissent
faire naître au moins le doute, je ne m'en occuperai
pas ici plus longuement. S'ils existent, ce que je
n'ai pas à affirmer ou à nier, ils sont au moins rares
et peu utilisés encore. Nos moyens d'action sur le
monde matériel sont d'ordinaire beaucoup plus gros-
siers. L'industrie sous toutes ses formes et la science
appliquée nous les procurent. Je n'ai pas à les énu-
mérer, même brièvement. Il me suffit de faire re-
marquer que chaque nouveau moyen de satisfaire un
désir, même un désir que crée, pour ainsi dire, en
donnant le moyen de le satisfaire, la nouvelle dé-
couverte ou la nouvelle invention, chaque nouveau
moyen ajouté à ceux que nous connaissons déjà
vient étendre le cercle d'influence de notre volonté
sur le monde extérieur. Et chaque connaissance
nouvelle est, sinon par elle-même une extension de
notre volonté, au moins une condition favorable
à cette extension et qui lui est souvent nécessaire.
Notre pouvoir personnel tend constamment à être
développé par toutes les découvertes des savants et
il l'est, en fait, par toutes les applications nouvelles
des industriels, des ingénieurs, des médecins, dans
l'ordre des sciences physiques et biologiques.
Chaque outil nouveau, chaque instrument qui
rend notre activité plus puissante, plus utile, plus
précise, est une sorte de nouvel organe apte à ma-
nifester notre volonté comme à suggérer ou à réaliser
nos idées, à développer et à satisfaire nos désirs.
Depuis le couteau de silex des temps préhistoriques
jusqu'aux télescopes, aux téléphones et aux télégra-
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2 14 LA VOLONTÉ
phes tous les instruments sont une sorte d'« huma-
nisa Lion » de la matière destinée à préparer ou à accom-
plir une humanisation croissante du monde, un pro-
longement de nos membres qui permet à notre pou-
voir personnel de s'étendre toujours plus loin.
( le pouvoir est aussi transformé et agrandi — ou
restreint selon le cas — par les inventions sociales et
par leurs applications, par les nouvelles lois, par les
règlements administratifs. Il est généralement et en
principe agrandi et restreint à la fois, c'est-à-dire
régularisé et systématisé quand la loi est bonne, ou
le règlement utile. Il est restreint en ce que toute
une partie de son activité peut être inhibée, et déve-
loppé en ce que cette même partie du pouvoir per-
sonnel est inhibée aussi chez les autres hommes et
que par conséquent son influence chez chacun de nous
rn est augmentée corrélativement en tant que l'acti-
vïiéj maintenant inhibée, des autres, aurait pu gêner
sa propre activité.
De même chaque précepte mo'ral qui s'établit,
chaque nouvelle conception de la bonne conduite agit
pour augmenter en somme la systématisation géné-
rale de l'humanité si elle est juste, ou si du moins
elle réalise un progrès sur l'état précédent. Et cela
se traduit encore dans l'individu par une régularisa-
liuti du pouvoir personnel, une augmentation de notre
empire sur le monde, sur la société, sur nos sem-
blables (en un sens au moins) et sur nous-mêmes.
Tontes les vertus qu'on nous recommande : le cou-
ragfcj la tempérance, la persévérance, la charité, etc.,
sorti les moyens de nous aider ou d'aider les autres,
de favoriser notre activité ou celle d'autrui, elles
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l'extension du domaine de la volonté 245
sont les conditions de manifestation d'un pouvoir
personnel supérieur aussi étendu que possible. Mais
son extension n'est recommandée que dans la me-
sure où elle paraît bonne, c'est-à-dire conforme à la
manifestation d'un pouvoir personnel supérieur, —
celui d'une individualité plus élevée, celui de Dieu,
celui de l'humanité en général, — si l'on en reconnaît
un. L'humanité marche ainsi à la conquête du monde
et d'elle-même sans que d'ailleurs nous ayons le droit
de compter sur sa pleine réussite. Quoi qu'il en soit
d'ailleurs sur ce point, il me suffit d'avoir indiqué le
rapport de ces diverses questions générales avec la
psychologie de la volonté et je ne puis aborder ici
leur étude directe.
§ 9. — Phénomènes pathologiques de substitution.
Les phénomènes pathologiques nous montrent
comme les phénomènes normaux ce développement
possible du pouvoir personnel, mais dans des cas
spéciaux assez intéressants à cause même de leur
singularité qui permet parfois de voir plus nettement
le mécanisme de leur action.
Un cas assez curieux est celui des suppléances.
Quand une maladie met notre volonté dans l'impos-
sibilité d'agir par les moyens qui lui sont habituels
elle y supplée par d'autres moyens, comme notre
volonté normale trouve des moyens détournés pour
influencer des phénomènes qui échappent à sa prise
directe.
Par exemple, dans l'amnésie des signes, on voit
i4.
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^^p
2^6 Lk VOLONTÉ
des malades ayant perdu Tubage des images dont ils
se servent généralement ou la compréhension de cer-
taines perceptions avoir recours à des substitutions
pour remplacer ce qu'ils nYmt plus et conserver, dans
une certaine mesure au moins, la direction de leur
activité* Un malade atteint de cécité verbale, incapa-
ble de lire directement par le secours de la vue
comme il y était habitué, arrive à remplacer la vue
par le sens musculaire. Tel est le cas de M, 11. 1\..
observé parGnARnoT: « 11 vient d'écrire son nom, on
lui dit de le lire/ « Je sais bien, dit- il, que c'est mon
nom que j'ai écrit, mais je ne puis plus le lire. » 11
\ient d'écrire le nom de l'hospice, je l'écris à mon
tour sur une autre feuille de papier, et je le lui donne
h lire ; il ne peut pas d 1 abord ; il s'efforce de le faire,
et, pendant qu'il se livre à ce travail, nous remar-
quons qu'avec le bout de son index de la main droite
il retrace une à une les lettres qui constituent le mot
et arrive, après beaucoup de peine, a dire : ci La Sal-
pè trière*., » On lui présente une page imprimée. Il
dit immédiatement : et Je lis moins bien l'imprimé
que récriture, parce que pour récriture il m est
facile de reproduire mentalement la lettre avec la
main droite, tandis que c'est beaucoup plus diflicile
pour les caractères imprimés. » Il ne s^tait jamais,
en effet, appliqué à tracer avec la main des carac-
tères imprimés, comme le ferait un peintre de
lettres. On lui lait lire une li^ne en caractères
imprimés : le malade met huit minutes k la
déchiffrer et trois minutes seulement à lire la même
ligne en lettres cursives. On remarque que toujours,
en lisant, le malade trace des caractères dans l'espace
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l'extension du domaine de la volonté 2^7
avec la main droite ; on lui met les mains derrière le
dos et on lui dit de lire ; on le voit alors tracer les
lettres avec l'index sur l'ongle du pouce. Pour lire
l'imprimé, il lui est commode d'avoir la plume à la
main ; à l'aide de celle-ci, il se livre à des essais qui
lui facilitent la besogne. l » On voit très bien dans
ce cas la recherche de l'intermédiaire efficace, l'édu-
cation qui se refait par de nouveaux procédés, la
conquête tentée par le pouvoir personnel d'un
domaine qui lui était soumis et que la maladie vient
de lui faire perdre en détruisant les moyens d'action
qu'il employait jusque-là et qu'il lui faut remplacer
en employant de son mieux les facultés qui lui res-
tent.
On peut faire des remarques analogues à propos
de bien d'autres fonctions. Des actes qui s'accomplis-
saient automatiquement ou peu s'en faut, mais dont
l'automatisme obéissait au pouvoir personnel devien-
nent, par suited'une maladie, impossibles àreproduire.
Il faut alors que les centres supérieurs du cerveau
interviennent, que la volonté se tende, et que le pou-
voir personnel arrive à remplacer peu à peu les élé-
ments dont l'activité lui fait défaut. « Schultze a
publié en 1882, l'observation et l'autopsie d'un
tabétique qui avait été guéri par Erb douze ans avant
et chez lequel il trouva cependant la lésion persis-
tante des cordons postérieurs. Donc le tabès guérit
cliniquement sans guérir anatomiquement ; donc les
cordons postérieurs, restés altérés, ont été suppléés.
1. D r Bernard. De l'aphasie et de ses diverses formes, p.
Paris, Lib. du Progrès médical, i885.
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2^8 LA VOLONTÉ
te Ces faits prouvent que, par la suppléance, non
seulement les centres et leurs conducteurs survivants
peuvent remplacer ceux qui ont été détruits, mais
qu'encore la fonction de ces survivants peut s'accroî-
tre dans de fortes proportions et que les conductions
qui se faisaient normalement par les organes détruits
peuvent arriver à se faire par des organes absolument
étrangers à l'exercice normal et physiologique de
celte fonction. »
Les faits de ce genre ont été le point de départ
du traitement de Frenkel dans l'ataxie, traitement
où le rôle du pouvoir personnel se montre bien avec
des caractères d'organisation progressive et de ten-
dance à l'extension. « On analyse soigneusement,
dit M. Grasset, à qui j'emprunte ces renseignements,
les troubles d'incoordination de chaque tabétique,
puis on s'efforce de lui faire corriger cette incoordi-
nation par la concentration sur l'acte de sa volonté
et de son attention. Le malade réapprend à faire
lentement, aussi régulièrement que possible et d'une
façon réfléchie, les mouvements qu'il ne sait plus
faire ou qu'il fait mal. « On est obligé, dit Hirsch-
berg, de lui enseigner comment il faut s'y prendre pour
s'asseoir, pour se lever, pour se tourner. . . »
<c Evidemment, par l'action cérébrale voulue, on
crée ou on met en action un nouveau système de
coordination spéciale, chez le tabétique dont la coor-
dination spinale est détruite ou altérée. En somme,
comme je le disais dans le travail cité plus haut
(1S97), (( la méthode de Frenkel revient à une
rééducation de la moelle par le cerveau. »
« On arrive à refaire avec son cerveau les mouve-
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^EXTENSION DU DOMAINE DE LA VOLONTÉ 2^0
ments perdus ; même, quand le progrès est suffisant,
le cerveau qui a tout fait et tout conduit jusque là
peut arriver à s'abstenir au moins par moments ; la
suppléance médullaire s'est reconstituée et le tabéti-
que peut recommencer à marcher et à agir automa-
tiquement, sans y penser chaque fois â . » C'est
dire que l'on retrouve dans les faits de ce genre l'évo-
lution complète de la volonté depuis l'impuissance
anarchique primitive jusqu'à l'automatisme coor-
donné de la fin en passant par la volonté et le pou-
voir personnel, qui garde d'ailleurs son influence.
En certains cas, enfin, nous voyons la volonté se
restaurer elle-même en s'exerçant. Le pouvoir per-
sonnel se reforme et reprend peu à peu possession
d'une partie au moins de son influence perdue, non
point en voulant directement cette reprise, mais
simplement en se fortifiant par l'exercice, ce qui rap-
proche ce phénomène de ceux dont je parlerai
tout à l'heure et où la synthèse volontaire est obte-
nue par l'excitation de l'esprit, non par des associa-
tions nouvelles et des moyens détournés. M. Pierre
Janet a amélioré ainsi l'état d'une malade à idées
fixes, suggestible, aboulique, incapable d'attention,
agitée et violente dans ses attaques, mais, dans l'in-
tervalle, impuissante à agir. « Elle est depuis fort
longtemps incapable de rien faire. Elle est comme
un enfant sans décision et sans résistance, n'agis-
sant un peu que sous l'impulsion continuelle des
personnes qui l'entourent, et souvent même in-
i. J. Grasset, Les maladies de l'orientation et de l'équilibre,
280-283.
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mm~^
230 tA VOLONTE
capable malgré ses efforts de leur obéir. » Son
état s'est amélioré par le travail mental, considéré
et employé i< comme une gymnastique qui accroît
par l'exercice la puissance de synthèse mentale, seule
capable de s'opposer efficacement à la suggestibililé
et aux idées fixes ». L'expérience dut cire conti-
nuée très longtemps et offrît de grandes difficultés,
a D'un côté, dit M* Ja^et, j'usai de toutes les res-
sources de la suggestion, qui reprenait ici son rôle,
pour contraindre ta malade à faire ces travaux; de
l'autre le mari de Justine, qui était un homme fort
intelligent et dévoué à cette pauvre femme, a mis
une grande patience et une grande habileté à exé-
cuter cette singulière ordonnance médicale.
« Nous avons pu obtenir ainsi d'abord quelques
minutes d'attention consciente sans accident, nous
avons pu amener la malade a expliquer quelques
lignes, à faire une addition, etc. Puis le travail put
être prolongé une demi- heure, une heure par jour
sans inconvénients. Des anciens souvenirs qui sem-
blaient effacés réapparaissaient tout d'un coup et
facilitaient la besogne ; après quelques jours d'ef-
forts infructueux, Justine découvrait tout d'un coup
qu'elle savait faire une multiplication. De petites
compositions littéraires purent être faites et les
levons, grande merveille, pouvaient être récitées à
l'état de veille. » Enfin, plus tard, Justine a acquis
quelque inslruction } elle peut faire des comptes,
déchiffrer quelques morceaux de piano, et tt le fait
vraiment intéressant, c'est que la plupart des symptô-
mes de l'aboulie se sont, profondément modifiés n.
L'activité physique et intellectuelle est en grande
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L*EXTENSION DU DOMAINE DÉ LA VOLONTÉ 25ï
partie rétablie ; la malade travaille continueltetofiât
dans sa maison, se rend utile et, dans les heures
consacrées au travail cérébral, cherche à résoudre
des problèmes d'intérêt, tandis qu'autrefois elle ne
pouvait pas comprendre trois lignes d'un journal.
Les doutes ont disparu, la mémoire est normale H
les anesthésies ne peuvent plus être constatées que 1res
rarement. Le champ visuel se rétrécit encore un peu
sous l'influence de l'attention, mais beaucoup moins
qu'autrefois, et la diplopie n'existe plus. La malade
s'aperçoit bien de tous ces changements ets'élonne
de se rendre compte des choses qu'elle ne compre-
nait plus depuis bien des années, elle se sent plus
capable d'affection et, de toutes façons, plus heu-
reuse 1 . » Et ce fait montre quelle quantité et quelle
variété de phénomènes se rattachaient à la volonlé }
plus ou moins étroitement, et disparaissaient, s'affai-
blissaient ou se reproduisaient avec elle et sous son
influence.
§. 10. — L'excitation du moi et de ses éléments.
Avec les moyens détournés qui permettent de
rendre ou de donner à la volonté son pouvoir par la
i. Pierre Janet, Histoire d'une idée fixe in Névroses et idées
fixes, t. I, p. 197-198. Voir un autre cas au tome II, p. &S-34-
On trouvera aussi au tome I une étude très approfondie sur un
cas d'aboulie et d'idées fixes. M. Janet y examine miitultett-
sèment une malade et tire de ses observations des idées inté-
ressantes sur le caractère de nouveauté de la synthèse volon-
taire, sur l'étendue du rôle de la volonté dans la vie mentale,
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252 LA VOLONTE
recherche, la découverte et l'emploi de l'intermé-
diaire efficace nous pouvons utiliser aussi d'autres
moyens qui exaltent plus directement la volonté, soit
momentanément, soit d'une manière durable et
augmentent sa puissance en excitant la personnalité
ou certains de ses éléments par des moyens parfois
moraux et parfois plus spécialement physiologiques,
ou encore par l'inhibition de certains éléments (idées
ou tendances) qui s'opposent à notre activité.
Les uns et les autres peuvent arriver à augmenter
considérablement notre prise sur nous-mêmes, ou,
du moins, dans certains cas, nous rendre capables
d'un effort i particulier que nous désirons faire sans
pouvoir y parvenir.
Les secours que nous devons recevoir en pareil
cas, nous pouvons les trouver en nous-même ou les
recevoir des autres, et, en ce cas, il est parfois pos-
sible de les provoquer volontairement. On y doit avoir
assez souvent recours. Il est assez ordinaire de cher-
cher à s'entraîner en se représentant vivement les
conséquences d'une action, en s'excitant de son
mieux, en tâchant de faire revivre en soi les idées et
les sentiments appropriés à l'acte qu'on veut accom-
plir, et aussi en s'exhortant, en se parlant de son
devoir et de sa dignité. La prière est encore, au point
de vue psychologique, un moyen de suggestion per-
sonnelle qui peut être efficace pour certaines per-
sonnes ; elle peut déterminer une excitation spéciale
de leur moi, ou de quelques-uns de leurs sentiments,
et en même temps distraire l'esprit, inhiber les
activités opposées. Pour d'autres un juron sera le
coup de fouet qui stimule et décide le départ. Les
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r
l'extension du domaine de LA VOLONTÉ 253
discours, les exhortations, les sermons que l'on
recherche ou que l'on subit peuvent agir de façon
analogue et augmenter notre force. On peut l'aug-
menter aussi, en recherchant, selon ce qu'on veut
faire, la compagnie de telles ou telles personnes,
en entrant dans une église ou dans un théâtre.
On peut s'exciter à la vengeance en recherchant la
vue de son ennemi, s'exciter à des actes de haine en
contemplant le bonheur des autres de 'façon à ce
qu'il vous blesse et vous exaspère, s'entraîner par
l'exemple d'autrui et se déterminer au travail en fré-
quentant des gens qui travaillent, etc. Évidemment
de tels moyens ne sont pas toujours bien sûrs, il
arrive, surtout aux personnes nerveuses et un peu
inquiètes, d'éprouver une vive réaction lorsqu'elles
espéraient un entraînement imitatif et de se laisser
entraîner lorsqu'elles comptaient sur une réaction.
La vue de la joie d'autrui peut désarmer une ran-
cune au lieu de l'exaspérer et la fréquentation de
gens qui aiment une distraction peut vous en dégoû-
ter à jamais. En pareille matière r on a beau être avisé
on n'est jamais bien certain à l'avance du résultat
qu'on poursuit.
Ces procédés, qui peuvent être instinctifs ou très
volontairement employés ou même utilisés par ha-
sard, différent de ceux que nous avons étudiés déjà
par des caractères aisés à déterminer. Il ne s'agit plus
précisément ici de découvrir un intermédiaire effi-
cace, d'effectuer de nouvelles associations, mais sim-
plement de rendre efficaces des associations existant
déjà, de renforcer un sentiment assez fort, de faire
passer la velléité à l'état de volonté, non point par des
Pauliian. i5
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3 54 LA VOLONTE
substitutions de phénomènes, mais en donnant une
force plus grande au désir, et aussi en inhibant les
désirs opposés qui entravent sa manifestation. Au
reste les deux catégories de procédés se mêlent et
se combinent souvent 7 et parfois elles paraissent se
confondre. Renforcer un désir c'est peut-être, gé-
néralement, lui en adjoindre un autre, Et en cer-
tains cas, comme dans la suggestion hypnotique
qui aurait pu être indiquée ici, aussi bien que
dans le paragraphe précédent, il est parfois difficile
d'analyser avec rigueur le phénomène produit et de
voir s'il se produit une simple excitation avec les in-
hibitions corrélatives ou un éveil de désirs nouveaux.
Ce double phénomène d'association systématique
et d'inhibition que nous retrouvons partout dans
l'esprit est aussi très net dans les faits qui nous occu-
pent. Il s'agît évidemment de déterminer l'association
systématique du désir et de l'acte. Mais il s'agit
aussi d'inhiber les tendances, les idées, les impres-
sions qui y font obstacle. Cela, du reste, n'offre pas
de difficulté spéciale.
§ ï I » — Moyens physiologiques*
On peut renforcer un sentiment, et déterminer un
acte aussi bien par des excitants physiologiques que
par des excitants moraux. D'une manière générale
tout ce qui fortifie l'organisme peut devenir une con-
dition favorable à l'exercice de la volonté et à son
développement. Ce résultat d'ailleurs n'a rien de
fatal et d'absolument régulier. Il est an contraire drs
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^EXTENSION Dt) DOMAINE t>Ë LA VOLONTÉ 255
gens qui se possèdent mieux quand l'imminence du
mal vient les forcer à réfléchir et leur montre le dan-
ger immédiat de n'être pas maîtres d'eux-mêmes, et
qui redeviennent impulsifs ou se laissent aller à leurs
instincts s'ils se portent bien.
Mais outre ces relations générales qu'il n'est pas
toujours possible de diriger heureusement et de faire
tourner à bien, il existe des moyens plus spéciaux et
plus prompts pour agir sur notre volonté. Un excitant
quelconque, un bon repas, un verre de vin, une fai-
ble dose d'eau-de-vie, de quinquina, une cigarette,
parfois simplement une marche à l'air pur, par un
temps frais et beau, même un geste, une interjection
peuvent faciliter certains actes. On entend souvent
parler des assassins qui boivent pour s'entraîner au
crime. Tolstoï prétend qu'une cigarette est très effi-
cace pour décider un fumeur à un acte qu'il blâme
mais qu'il désire accomplir sans en avoir le courage.
On peut employer les excitants dans des intentions
plus louables ou, du moins, plus indifférentes, s'en
servir pour accomplir un acte de courage qui effraye
un peu ou inquiète à l'avance, ou bien une corvée
quelconque, désagréable, mais à laquelle on désire
pourtant ne pas se soustraire. On peut s'en servir
pour combattre la lâcheté, la timidité, le respect
comme pour se débarrasser de son sens moral. « Au
moment d ? entrer en scène, dit M. Hartenberg, la
plupart des artistes ont un geste familier qui leur sert
de point d'appui à la volonté et d'auxiliaire pour se
dominer et se contenir. Ainsi M. Paul Mounet crispe
nerveusement les doigts et M me Bartet tend une jambe
en arrière, en appuyant sur elle de toutes ses forces.
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"■M»*Hpj" *
^56 LA VOLONTÉ
D'autres prononcent une phrase intérieure, interjec-
tion d'encouragement où le mot de Cambronne éclate
quelquefois *. » Plusieurs malades, chez qui domine
la crainte de la rougeur, boivent pour l'arrêter et
la cacher. « Cinq de nos sujets, sur huit hommes,
disent Pitres et Régis, se livraient à la boisson dans
ce but... cela leur donne plus d'assurance, leur per-
met d'affronter les regards, de parler et d'agir comme
tout le monde... l'un d'eux, s'étant aperçu à vingt et
un ans que quand il avait bu il avait du toupet comme
les autres, se mit à boire de temps en temps de l'al-
cool et de l'absinthe, comme préservatif de sa rougeur.
Et comme il avait remarqué que l'excitant mettait
environ vingt minutes à faire son œuvre, il avait soin
de boire une petite demi-heure avant d'accomplir les
actes qui coûtaient le plus à sa timidité. À ce mo-
ment, un peu étourdi, il aurait parlé, joué la comé-
die, bravé le monde entier 2 . »
Si nous analysons un peu le fait de l'excitation de
la volonté par des moyens physiques, nous arri-
verons à une conclusion assez singulière et qui
contredit jusqu'à un certain point le fait apparent de
l'augmentation du pouvoir personnel. Il est assez
connu que l'alcool, ni même le vin ne peuvent être
sérieusement recommandés comme un moyen régu-
lier d'éducation du vouloir. D'abord ce n'est qu'à
faible dose qu'ils peuvent augmenter convenablement
l'activité. Et cela même est contesté. « L'attention ou
i. Hartenbkrg. Les timide* et la timidité. Paris, Alcan, 1901,
244-245.
2. Cité par Hahtênberg. Même ouvrage, 288*239,
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l'extension du domaine de la volonté 257
la volonté, dit M. Charles Richet, c'est l'homme
même : c'est le moi, qui, étant en pleine possession
des ressources dont il dispose, les prend où il veut,
quand il veut, pour en faire tel usage qu'il lui plaît.
Or dans l'ivresse, même au début, la volonté et l'at-
tention ont disparu. Il n'y a plus que l'imagination
et la mémoire, qui, abandonnées à elles-mêmes, sans
règles et sans guides, produisent les effets les plus
inattendus \ » Il se pourrait que le premier effet
du vin, même s'il doit produire presque immédia-
tement une dépression, fût une excitation cependant,
conformément à une loi bien connue. Mais ce qu'on
peut conclure aussi, c'est qu'il faut se méfier de l'ac-
tion des excitants et y regarder d'un peu près.
On voit alors, à mon avis, que l'accroissement,
l'excitation du pouvoir personnel, est aussi, en réa-
lité, par un autre côté, un affaiblissement du pouvoir
personnel. H y a une sorte de scission de ce pouvoir.
Dans bien des cas, nous sommes en lutte avec nous-
même. L'homme qui boit pour commettre une indé-
licatesse avec plus d'entrain peut exalter son désir
et se déterminer à l'acte, mais le pouvoir qu'il ac-
quiert en ce sens est compensé d'un autre côté. Ce
qui le retenait, c'était bien aussi son moi, son pouvoir
personnel. Ses sentiments d'honnêteté, ses scrupules
ne lui appartenaient pas beaucoup moins que les dé-
sirs qui le poussaient à n'en pas tenir compte. Leur
activité, l'inhibition qu'ils exerçaient sur les mauvais
désirs et l'activité malfaisante étaient aussi contrôlées,
1. Gh. Richet. L'homme et l'intelligence m. Les poisons de
l'intelligence, p. 94.
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^^^^*m
a 58 LA VOLGYTÉ
I
et voulues par le moi, elles avaient été souvent déjà
sans doute encouragées et soutenues par lui. Sans
doute même il regardait comme une des marques les
plus sûres de son pouvoir ce veto exercé contre les
tendances qu'il blâmait et qu'il regrettait peut-être de
trouver en lui. Aujourd'hui, sous l'influence de cir-
constances particulières, le moi est un peu désor-
ganisé, divisé, il se laisse orienter dans le sens de
l'impulsion passionnelle, mais ne peut toutefois
échapper a lui -même, à ses propres sentiments. Alors
il fait appel à des forces extérieures, l'alcool augm en-
tera peut-être le désir du moment, mais il diminuera
le contrôle, et il est hien possible que là s'exerce sa
plus grande Influence. De la sorte, le moi est oblige
de se diviser pour agir, de renoncer à une partie de
sou pouvoir pour rendre efficace la velléité et peut-
être, en somme, de se diminuer notablement pour
s'exercer maintenant dans le sens désiré.
Mais ceci est, dans une certaine mesure, indépen-
dant du caractère de moralité et d'immoralité des
deux actes. Celui qui arriverait, en s 'excitant artifi-
ciellement, à s'entraîner à une action louable et désin-
téressée dont il aura plus tard à supporter les consé-
quences se trouverait exactement dans le même cas.
Lui aussi devrait renoncer a toute une partie de son
empire sur lui-même. Il ne pourrait plus régler,
comme il le voudrait, la satisfaction de ses désirs, et
deviendrait la victime de sa bonne action. Le con-
trôle exercé jusqu'ici par des sentiments égoïstes
va se trouver affaibb ou ruiné, le moi sera peut-être
désorganisé dans une assez large mesure et le pouvoir
personnel, définitivement affaibli, pour être remplacé
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l'extension du domaine de la volonté 259
par une certaine incohérence des désirs et des ten-
dances. Il n'est pas douteux que beaucoup de bonnes
actions qu'on loue fort ne sont accomplies ainsi que
par un défaut de contrôle. Si l'on en pouvait mesurer
facilement les conséquences, souvent elles ne se feraient
pas. La réflexion qui rend prudent rend parfois aussi
moins généreux. Si ce n'est pas un verre de vin qui
détermine l'acte, ce peut être une impulsion soudaine,
l'envahissement de la conscience par un brusque
sentiment qu'inspire la vue d'une infortune ou un
malheur personnel.
Au reste ce cas est moins à espérer peut-être que
le cas inverse n'est à craindre. C'est que la possession
de soi est une chose que nous regardons comme mo-
rale et que bien souvent les appétits que déchaîne la
surprise du sentiment ou l'excitation artificielle, les
tendances élémentaires automatiques qui sont ainsi
délivrées, ne sont rien moins que recommandables.
Seulement rien n'est absolu en ceci. Parfois le pre-
mier mouvement, le mouvement spontané vaut mieux
que le mouvement réfléchi et soigneusement pesé,
parfois c'est le contraire. On trouve l'influence de ce
double fait dans des proverbes exprimant des opinions
généralement répandues. On aime la spontanéité, on
oppose la générosité naturelle à la mesquinerie du
calcul, les gens réfléchis paraissent égoïstes et froids,
d'autre part on recommande la possession de soi, la
prudence, le sang-froid. Tout cela se contredit un peu
et généralement on s'y débrouille d'autant plus mal
que l'on se fait de singulières illusions sur les mobiles
des actes d'autrui et même sur leur nature, sur leur
valeur réelle, sur leurs conséquences lointaines aussi.
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2ÔO LA VOLONTÉ
En suivant la série de ces faits, on arriverait à des
conséquences générales. Peut-être toute action, volon-
taire ou non, est-elle, en tant que spécialisation, un
appauvrissement du moi et du pouvoir personnel, car
elle ne se produit qu'en exerçant autour d'elle une série
d 1 inhibitions. Le moi s'appauvrit virtuellement quand
il se réalise d'une façon ou d'une autre. Mais c'est à
la morale à examiner cette question et à en débattre
les conséquences. Il n'y a pas lieu d'y insister dans
une étude psychologique sur la volonté.
§ 12. — L'éducation de la volonté.
Faire l'éducation de sa volonté, développer son pou-
voir personnel ou lui rendre l'influence que la maladie,
le chagrin, de mauvaises habitudes lui ont fait perdre
c'est évidemment un des buts les plus importants de
rhnmme. Les remarques qui précèdent indiquent
quelques-uns des faits que l'on peut utiliser pour
l'atteindre. Il faut les combiner, les choisir aussi,
car il en est de dangereux et dont l'efficacité pas-
sagère se fait payer bien cher par une fâcheuse
dépression. Ce ne sont pas seulement Jes excitants
physiques, comme le vin, dont il faut se méfier. Cer-
tains excitants psychologiques ne valent guère mieux.
Faire l'éducation de notre volonté, c'est nous
apprendre à disposer de toutes nos facultés, c'est les
rendre solidaires les unes des autres et surtout de
l'ensemble de notre personnalité en faisant d'elles
de véritables « fonctions » variant en harmonie avec
les différents états du moi. Inconsciemment ou con-
sciemment, par instinct ou par volonté, chacun entre-
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l'extension du domaine de la volonté 261
prend plus ou moins cette tâche sur soi-même et
chacun aussi l'entreprend plus ou moins sur les autres
et tend à former dans une certaine mesure leur per-
sonnalité. Il ne saurait en être autrement dans notre
vie sociale où les individus, solidaires les uns des
autres, sont en somme des éléments d'un même
ensemble. Mais les résultats sont très différents selon
les méthodes employées et surtout selon les esprits
qui s'en servent. Chez les uns où des désirs sans cesse
changeants ne cessent d'orienter la personnalité en des
sens différents, l'unification reste rudimen taire et
avorte misérablement. Elle aboutit chez tel autre qui,
déjà naturellement unifié, s'applique avec persévé-
rance à soumettre à son pouvoir personnel toutes les
énergies de son moi. Les différents caractères des
hommes, considérés par rapport à l'unification des
phénomènes, les caractéristiques psychologiques qui
distinguent les unifiés des équilibrés, les maîtres d'eux-
mêmes, des impulsifs, les incohérents des émiettés 3 ,
peuvent à un certain point de vue être considérés
comme autant de réponses, de valeur très différente,
faites au problème de l'éducation de la volonté, en pre-
nant le mot éducation dans- un sens très large 1 .
1 . Je n'ai pas à donner ici de conseils pour arriver à un bon
résultat, pour trouver l'intermédiaire efficace ou l'excitation re-
constituante. Mais des auteurs contemporains -ont écrit sur ces
questions des travaux qu'on pourra lire avec plaisir et avec
profit. Je rappelle d'abord l'intéressant ouvrage, déjà cité, de
M. le D r Lévy, sur l'éducation rationnelle de la volonté et son
emploi thérapeutique. Il y insiste sur F auto-suggestion et l'uti-
lisation indirecte de l'influence de l'idée. Je signalerai aussi le
livre de M. Malapekt, plus théorique : Les éléments du caractère
et leurs lois de combinaison. Paris, Alcan, 1897 (Partie III, chap.
11: La création du caractère par la volonté.) M. Maurice de
i5.
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i
262 LA VOLONTÉ
D'un type à l'autre le domaine de la volonté ne
change pas moins que sa forme. Le pouvoir personnel,
Fleur*! en exposant avec beaucoup de netteté et de verve le
traitement de la paresse, dans son Introduction à la médecine
de l'esprit, (Paris, Alcan, 1897) appuie principalement sur les
moyens physiques de remédier à la faiblesse de la volonté. On
verra dans son livre l'efficacité des frictions au gant de crin, des
injeclion!) do sérum, du régime alimentaire et de la régularité
dans le travail. M. Jules Payot, au contraire, dans Y Education
tic In Valante, étudie surtout les moyens moraux qu'oubliait
trop sans doute M. M. de Fleury et à son tour il néglige peut-
être avec excès le# ressources que peut fournir l'hygiène et la
thérapeutique, malgré son chapitre sur l'hygiène corporelle. On
trouvera dans son ouvrage une très intéressante étude sur les
moyens de développer et de fortifier le pouvoir personnel, de
favoriser les sentiments favorables et de les susciter au besoin,
d'enrayer au contraire et de supprimer indirectement les senti-
ments défavorables à l'œuvre de maîtrise de soi. M. Payot ne
craint pas d'aller jusqu'à nous proposer le mensonge pour com-
battre la passion, « La passion forte empêche l'éveil de l'esprit
critique, mois si le dénigrement volontaire de l'objet de la passion
est possible, la passion est en danger de périr... Ce qui est pos-
sible lorsqu'on a à opposer à des sophismes des vérités, est pos-
sible dans des cas même qui paraissent plus difficiles : lorsqu'il
s'agit ou bien d'opposer à des sophismes de véritables mensonges
volontaires, ou, De qui est plus fort, lorsqu'il faut opposer à une
vérité qui contrarie l'œuvre de maîtrise de soi, un réseau de
mensonges utiles » (p. 83). Et voici encore un cas où le triom-
phe est, & certains égards, une défaite, car l'unification du moi
par li- mensonge qu'on se fait *à soi-même a toujours quelque
chose de précaire et de radicalement insuffisant, mais on se
heurte constamment à ces sortes de contradictions.
Ce qu'on peut remarquer encore c'est que la méthode de
M, Payot suppose une personnalité déjà bien formée, un pou-
voir personnel très développé. On en jugera aisément par le
programme do « réflexion méditative » qui nous est proposé et
qu'on nous conseille d'appliquer :
« i° Lorsqu'un sentiment favorable passe en la conscience,
l'empêcher de la traverser rapidement, fixer sur lui l'attention,
l'obliger a aller éveiller les idées et les sentiments qu'il peut
éveilïer. En d'autres termes, l'obliger à proliférer, à donner
tout ce qu'il peut donner;
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l'extension du domaine de LA VOLONTÉ 263
des incohérents aux maîtres d'eux-mêmes, ne s'étend
pas moins qu'il ne se fortifie. Chez les unifiés il se
résout presque en une sorte de systématisation spon-
tanée, quasi-automatique de toutes les fonctions men-
tales. Nous sommes au point où le pouvoir personnel
tend à disparaître par suite d'un excès de perfection.
Mais cet état ne pourrait se réaliser dans sa plénitude
que si l'être, le milieu social et le milieu cosmique
lui-même étaient absolument harmonisés. Alors le
« 2° Lorsqu'un sentiment nous manque, refuse de s'éveiller,
examiner avec quelle idée ou quel groupe d'idées il peut avoir
quelques liens ; fixer l'attention sur ces idées, les maintenir for-
tement en la conscience et attendre que par le jeu naturel de
l'association le sentiment s'éveille ;
« 3° Lorsqu'un sentiment défavorable à notre œuvre fait irrup-
tion en la conscience, refuser de lui accorder l'attention, tâcher
de n'y point penser, et en quelque sorte le faire périr d'inani-
tion ;
« 4° Lorsqu'un sentiment défavorable a grandi et s'impose à
l'attention sans que nous puissions la lui refuser, faire porter
un travail de critique malveillante sur toutes les idées dont ce
sentiment dépend et sur l'objet même de ce sentiment ;
« 5" Porter sur les circonstances extérieures de la vie un regard
pénétrant, allant jusqu'aux moindres détails, de façon à utiliser
intelligemment toutes les ressources et à éviter tous les dangers. »
Tout cela est bien vu, ingénieux, juste. Seulement il faut une
volonté remarquablement organisée déjà pour appliquer sur soi-
même ce programme d'éducation. Mais on ne doit pas voir pré-
cisément en cela une objection. Il est bien clair qu'un peu de
volonté est nécessaire pour agir sur la volonté, et chaque volonté
peut appliquer le programme selon ses forces et réaliser peut-être
ainsi quelques progrès. Sans doute aussi y aurait-il intérêt à
combiner la méthode de M. de Fleury avec celle de M. Payot,
et aussi avec celle de M. Lévy et celle de M. Pierre Janet, dont
j'ai parlé tout à l'heure. Mais on ne peut s'empêcher de revenir
toujours à ceci: pour apprendre à vouloir, il faut vouloir, disons
mieux : pour apprendre à vouloir beaucoup et bien il faut tout
d'abord vouloir un peu et passablement.
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2 6^ LA VOLONTÉ
» pouvoir personnel » ne rencontrerait aucun obstacle,
rïen ne s'opposerait à lui ni dans l'esprit, ni dans
l'organisme, ni dans la société, ni dans le monde,
parce que rien nulle part ne s'opposerait aux désirs
de l'individu en harmonie avec la vie générale de la
société et de l'univers et que l'individu lui-même ne
pourrait, par définition, rien désirer qui ne fût d'ac-
cord avec cette vie. Au reste, l'existence d'un tel état
d'harmonie est peut-être contradictoire en soi, et en
tout cas elle n'est pas réalisée ni sur le point de l'être.
La question du domaine du pouvoir personnel con-
tinuera donc à se poser. Nous avons vu comment ce
domaine esL très variable selon les individus, et par
quels procédés il peut s'agrandir sans cesse. Nous pour-
rions faire une étude aussi longue et qui serait la
contre-partie de celle que nous venons de faire sur la
façon dont il recule et s'amoindrit. Ce recul n'est
pas beaucoup moins naturel que le progrès. De même
qlic le progrès s'effectue généralement de l'enfance à
l'âge adulte, de même on peut remarquer un certain
déclin de l'Age adulte à la mort. Ce déclin peut par-
fois j à certains égards, être compensé par de nouveaux
progrès et même plus que compensé dans les cas les
plus favorables, mais il se manifeste toujours au moins
sur quelques points. Il est de règle que ni les membres,
ni les souvenirs, ni les idées n'obéissent plus à la
volonté à quatre-vingts ans comme ils faisaient à
trente-cinq. L'action directe sur le monde extérieur
et la société vont aussi souvent en s 'affaiblissant.
Mais dans le cours même de la vie, on peut remar-
quer, en dehors des effets normaux de l'âge^ bien des
dégradations et des reculs plus ou moins importants
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l'extension du domaine de LA VOLONTÉ 2Ô5
du pouvoir personnel. La vie indépendante des élé-
ments psychiques tend toujours à reparaître sur quelque
point. L'habitude, si utile à la constitution de la
volonté, est cependant aussi le grand écueil du pouvoir
personnel qui suppose, pour agir efficacement, une
souplesse constante ou une harmonie presque parfaite.
Constamment nous laissons se développer en nous des
sentiments que nous ne pourrons plus réprimer qù$nd
nous le voudrons, nous prenons des habitudes de
pensée qui s'imposeront toujours à nous par la suite
et vicieront plus ou moins nos idées, nous nous lais-
sons aller à des actes qui se répètent régulièrement
et finissent par constituer un besoin « plus fort que
nous ». Toujours l'élément psychique, désirs, idée,
système de désirs et d'actes, tend à devenir indépen-
dant, à vivre pour lui, s'il n'est encadré, surveillé
dans et par un ensemble de tendances bien systéma-
tisées toujours actif.
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CHAPITRE X
LA VOLONTÉ AU POINT DE VUE PHYSIOLOGIQUE
Il doit être bien en tend u que, lorsque nous parlons
d'une volition nous ne prétendons pas du tout desi-
gner par la un fait psychique pur, suppose indépen-
dant ou détaché de toute manifestation physiologi-
que. Il est assez généralement admis aujourd'hui el
pour d'assez bonnes raisons que tout phénomène
psychologique correspond à un ensemble donné
de faits physiologiques. Une goutte de pluie me
tombe sur la main, j'éprouve une perception et je
T interprète, je regarde le sol ou le ciel pour vérifier
mon interprétation, puis j'ouvre mon parapluie. De
l'excitation produite par la goutte d'eau au mou-
vement que je fais pour me préserver de la pluie, il
y a une suite ininterrompue de phénomènes physio-
logiques j que, cà et là, des phénomènes de conscience
accompagnent. Cette apparition de la conscience pa-
raît se produire quand l'excitation arrive aux cen-
tres nerveux, les irrite et les traverse, et exige,
autant qu T on en peut juger, un certain nombre de
conditions sur lesquelles je n'ai pas à insister.
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LA VOLONTÉ AU POINT DE VUE PHYSIOLOGIQUE 267
Le phénomène psychique ne peut donc se séparer
que très arbitrairement de l'ensemble de phénomènes
physiologiques auxquels il correspond. Il serait plus
juste de dire qu'il comprend ces phénomènes, que
ces phénomènes en sont des éléments, que la partie
de phénomène perçue par la conscience n'est qu'un
côté du fait total comme le sont le phénomène tac-
tile, le phénomène visuel, le fait olfactif même et le
fait auditif que nous percevrions si nous pouvions
avoir la perception tactile des faits cérébraux, les
voir, les sentir et les entendre. Nous en restituons par
des inductions fondées sur l'expérience et l'observa-
tion l'apparence visuelle grossière et nous sommes
portés à considérer comme des réalités séparées les
phénomènes que nous connaissons par des voies dif-
férentes. Un des progrès de la science est de nous
donner une notion concrète plus exacte des faits, et
de nous apprendre à considérer comme des éléments
d'un même ensemble les faits perçus par le sens in-
time et les faits physiologiques observables par les
sens, ou qui pourraient l'être dans certaines con-
ditions. C'est ainsi qu'un progrès très analogue
a permis de synthétiser étroitement la chaleur
et le mouvement, le son et les vibrations des
corps J .
A quels phénomènes physiologiques correspond
la volonté? On la rattache généralement aux ré-
flexes, dont on la considère comme une forme
1 . Cette question soulève des difficultés philosophiques que
je ne puis résoudre, ni môme indiquer ici. Je l'ai examinée plus
longuement dans mon Activité mentale.
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268 hk VOLONTÉ
spéciale, la forme la plus compliquée. Les récentes
idées adoptées en ces dernières années à la suite
des travaux de Golgi et de Ramon t Cajal, et
la théorie du neurone ont un peu compliqué le
schéma de l'action réflexe, mais en somme, n'ont
pas essentiellement modifié les idées qu'on pouvait
se faire sur les rapports du réflexe et de la vo-
lonté.
C'est surtout la volonté motrice que l'on peut con-
sidérer comme une complication d'actions réflexes,
mais tonte la volonté n'aboutit pas, au moins direc-
tement et principalement à des mouvements. Une
vol! H on peut déterminer simplement l'apparition
d'un ensemble d'idées. Si des mouvements s'y adjoi-
gnent, puisqu'il paraît assez vraisemblable que nos
états psychiques sont toujours associés à quelques
mouvements, ils n'ont pas un rôle prépondérant dans
le phénomène. Il faut donc entendre le réflexe, pour
y ramener la volonté, dans un sens très large. En-
core rcsterait-t-il la question de l'automatisme de
certains centres considéré comme distinct du réflexe
dans son fonctionnement. On peut donner comme
exemples des manifestations de cet automatisme les
modifications, de la respiration déterminées par des
changements, dans la composition chimique du sang,
et il peut aussi servir peut-être de type à certaines
actions volontaires. De sorte que s'il est légitime de
rattacher jusqu'à certain point la volonté aux actions
réflexes ? de faire ressortir les analogies profondes de
ces phénomènes et de mettre en relief les rapports
qui les unissent, il convient cependant de faire aussi
quelques réserves à ce sujet.
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LA VOLONTÉ AU POINT DE VUE PHYSIOLOGIQUE Z&fJ
§2.
On considère plusieurs systèmes de neurones dans
la constitution des divers centres nerveux. Au plus 1ms
degré sont les centres de la moelle épinière, qui sonï
surtout le siège de l'activité réflexe, puis viennenl
les centres supérieurs situés dans l'encéphale, et qui
comprennent les tubercules quadrijumeaux, les cou-
ches optiques, les corps striés, etc., et aussi l'écorce
grise du cervelet. Les actions réflexes s'y compliquent,
leur fonctionnement paraît s'accompagner de quel-
que conscience et prend, en tout cas, une grande
importance dans la vie psychique et surtout dans ses
formes automatiques. Au-dessus se trouvent les sys-
tèmes de neurones de l'écorce cérébrale. Ici encore
nous retrouvons des formes automatiques de la \i<<
psychologique, des réflexes psychiques, des actes
intelligents et conscients. Mais ces neurones sont
aussi le siège des actes plus élevés encore, de la ré
flexion, de la volonté, des fonctions les plus corn
pliquées de l'esprit.
Faut-il admettre un groupe spécial de neurones,
un centre particulier pour ces dernières fonctions '■?
C'est l'opinion de M. Grasset \ Cependant il se dé-
fend de vouloir par là chercher « le siège analn
mique de l'âme », et il reconnaît que sa conception
« n'a pas une base précise en anatomie topographî
i. Voir Grasset, Anatomie clinique des centres nerveux (Paris,
J.-B. Bailli ère, a e éd., 1902) et Les maladies de l'orientation ci
de l'équilibre.
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p^^Mpp^nmn
27O IA VOLONTE
que ». 11 affirme simplement qu'a il y a, dans le
psychisme humain, des fonctions supérieures et des
fonctions inférieures : h ces fonctions différentes doi-
vent correspondre des neurones divers ou des fonc-
tions diverses des mêmes neurones ». Et ces derniers
mots me semblent permettre de supposer que les dif-
férences du psychisme supérieur et du psychisme
automatique pourraient tenir simplement non pas
à des localisations anatomiques disLinctes et fixes,
mais à un fonctionnement différent des mêmes cen-
tres, à des associations plus ou moins compliquées et
surtout plus ou moins fréquentes, plus ou moins
habituel tes, plus ou moins faciles, ce qui concorde-
rait peut-être mieux: avec les résultats de l'analyse
psychologique — sans qu'il y ait là d'ailleurs des
raisons suffisantes pour adopter définitivement l'une
ou Tau Ire hypothèse, car toutes deux seraient eonci-
liables avec ces résultats. Quoi qu'il en soit sur ce
point, la distinction, au point de vue psychologique,
du psychisme automatique conscient et de l'acte vo-
lontaire n'en est pas moins très réelle — sans être
toujours très nette — - et j'ai tâché déjà de montrer
les rapports et les oppositions de ces deux formes de
l'activité mentale.
§3-
Si nous reprenons notre exemple de tout à l'heure :
Je fait d'ouvrir volontairement son parapluie après
avoir senti une goutte d'eau sur la main et vérifie la
réalité de la pluic ? nous voyons que les trois phases
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LA VOLONTÉ AU POINT DE VUE PHYSIOLOGIQUE 27T
de l'acte de volonté : la délibération, la décision, l'exé-
cution s'y retrouvent aisément. La délibération com-
mence avec l'impulsion à se préserver de la pluie et
comprend la vérification, la décision s'effectue lors
de la synthèse des impressions et des incitations mo-
trices, l'exécution comprend les actions nerveuses et
musculaires qui constituent et surtout celles qui pré-
parent l'acte.
On voit que, pour un acte volontaire insignifiant,
un nombre considérable d'éléments nerveux sont
mis en activité. Les divers centres de l'écorce céré-
brale interviennent pour délibérer, pour apprécier
les perceptions, pour en préparer d'autres, les centres
subalternes interviennent aussi soit pour diriger les
mouvements destinés à la vérification des impres-
sions, soit pour recevoir les perceptions recherchées.
Toutes les perceptions et les diverses idées qui les
préparent ou les suivent sont également accompa-
gnées de faits de mouvements (mouvements de la
main, de la tête, des yeux, etc.). La synthèse de
la décision intéresse donc un grand nombre d'élé-
ments nerveux qui va s'augmenter encore par l'exé-
cution. L'écorce cérébrale, les ganglions de la base
du cerveau, le cervelet, la moelle épinière y prennent
part et les muscles y interviennent pareillement puis-
que les impressions qu'ils envoient» aux centres ner-
veux constituent le sentiment d'effort qui tient une si
grande place dans notre perception subjective de
l'acte volontaire et sur lequel d'ailleurs les savants
ne sont pas encore absolument d'accord. La simple
représentation des mots par lesquels nous apprécions
intérieurement les motifs des actes que nous nous
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2^2 LA VOLONTE
proposons d'accomplir implique vraisemblablement
déjà — pour un simple élément d'un des éléments
de l'acte volontaire — la mise en activité du centre
du langage parlé, localisé dans le pied de la troi-
sième circonvolution frontale gauche, peut-être
du centre auditif des mots dans la première tempo-
rale ou du centre visuel des mots dans le pli courbe,
d'un centre d'association, les noyaux du facial, du
spinal et de l'hypoglosse, les nerfs moteurs des lèvres,
de la langue et du larynx, pour peu qu'on ait le
lype moteur, ou d'autres éléments si l'on présente
le type auditif ou visuel, etc. On entrevoit par là
■ p telle immense quantité d'actes élémentaires sont
synthétisés dans l'acte de volonté le plus insignifiant
— en dehors même de l'intervention hypothétique
d'un centre spécial du psychisme supérieur et de la
volonté. Chacune des images et des idées qui sont
évoquées dans la délibération, chacun des sentiments
qui entrent en action pour diriger l'activité, chacune
;mssi des images et des idées et chacun des senti-
ments qui entrent dans la décision et tous ceux qui la
suivent et constituent au moins un commencement
d'exécution impliquent aussi des activités semblables
des éléments nerveux, et même, dans une certaine
mesure, des muscles, et des changements plus ou
moins perceptibles dans la circulation, la respira-
lïon, la digestion, etc., et les conditionnent ou sont,
jusqu'à un certain point conditionnés par eux. Un
ne te de volonté renferme ainsi une innombrable
quantité de petites impulsions ou de petits arrêts,
que l'activité des centres supérieurs provoque ou
inhibe l'activité des centres inférieurs, ou qu'elle
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LA VOLONTÉ AU POINT DE VtJE PHYSIOLOGIQUE I^S
soit sollicitée ou bien contrariée par elle. Et il est
essentiellement, à notre point de vue, considéré par
son côté physiologique, une synthèse non habituelle,
constituant une sorte d'innovation dans laquelle le
caractère de nouveauté peut prendre des valeurs très
différentes depuis les actes de volonté quasi-automa-
tiques, jusqu'à ceux qui tranchent le plus sur la rou-
tine habituelle et l'activité suggérée ou imitatrice, des
activités d'une immense quantité d'éléments nerveux
appartenant aux neurones des divers systèmes, et
s'accompagnant de phénomènes somatiques se ratta-
chant aux diverses fonctions de l'organisme (activité
musculaire, circulation, respiration, etc.).
Tous ces phénomènes n'ont évidemment pas la
même importance dans l'acte de volition. Il en est
dont le rôle est insignifiant, où rien ne caractérise
spécialement l'acte de volition; on les retrouverait
aussi bien dans l'activité automatique ou suggérée.
Ce qui caractérise surtout l'acte de volition, c'est,
comme l'analyse psychologique nous l'a montré, le
caractère de nouveauté de la synthèse par où la vo-
lonté s'oppose à l'automatisme, et le caractère de
personnalité de la synthèse par où elle s'oppose à l'ac-
tivité suggérée. Et ces deux caractères semblent dé-
signer comme important spécialement à la manifesta-
tion de l'acte de volonté les centres de l'écorce
cérébrale où l'activité est plus compliquée, et prend
des formes moins régulières, moins identiquement
répétées que dans les centres de l'automatisme ou des
actions réflexes, que dans la moelle ou les ganglions
de la base du cerveau.
On voit à quelle large réalité physiologique cor-
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ay4 tA VOLONTÉ
respond le fait psychique de la volonté et quelle
quantité de faits so ni a tiques elle implique qui lui
sont propres ou qui caractérisent aussi d'autres for-
mes de l'activité. Je n'ai pas cru devoir généralement
exprimer en termes physiologiques mes analyses
psychologiques, Souvent cette expression resterait
hypothétique ou même ne serait qu'une simple
traduction qui aurait parfois l'inconvénient de faire
illusion sur les sources et sur la précision de nos
connaissances. Mais il reste acquis que chaque fois
que nous parlons d'une volitîon il s'agit non pas
d'un acte psychique supposé indépendant de l'orga-
nisme, mais d'un acte psychique qut est comme tous
les faits psychologiques un com plexus de faits phy-
siologiques j et dont nous pouvons connaître, d'une
manière générale, et jusqu'à un certain point les 6\v-
ments constituants l .
t. On trouvera des renseignements sur la bas© physique de
la volonliî dans les traités d'anatomîe et de physiologie. Voir
aussi : Herziîw, Physiologie de la volonté. Paris, Germer- Bailli ère,
i874 ; lMàkdklky, Physiologie de l'esprit, chapitre vu ; Ribot,
/-•■.- maladies de la volonté, etc.
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CHAPITRE XI
LA VOLONTÉ ET LES PHÉNOMÈNES SOCIAUX
La physiologie sert fort utilement l f étude de la
volonté en nous montrant quelles en sont les con-
ditions, en nous laissant entrevoir au moins de
quels phénomènes biologiques elle est la synthèse*.
Ces phénomènes biologiques eux-mêmes sont des
synthèses de phénomènes physico-chimiques, où s'ap-
pliquent rigoureusement les lois de la mathématique.
Si nous pouvons déjà projeter quelques clartés sur
les profondeurs qui s'ouvrent ainsi sous la psycholo-
gie, nous ne pouvons guère y descendre bien loin.
La physiologie de la volonté est assez bien esquissée
déjà, la physico-chimie peut s'entrevoir vaguement,
quant à la mécanique des atomes qui vient au-dessous
d'elle et la soutient, on en devine confusément l'exis-
tence. Il y aurait intérêt à reprendre par Tau Ire côté
la hiérarchie des sciences, et à regarder au-dessus de
la psychologie. La volonté qui est une synthèse par
rapport au fait biologique est un élément par rapport
au fait social. Elle est, avec l'invention, un des points
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2J& LA VOLONTÉ
de départ des nouveaux groupements des activités hu-
maines, elle ouvre de nouvelles directions, elle trans-
forme peu à peu le société et le monde. Son action
s'ajoute à celle de l'invention. J'ai insisté continuel-
lement sur la ressemblance de ces deux faits qui, à
certains égards, se confondent, et sont un même
événement considéré à divers points de vue, dans des
relations différentes avec l'ensemble de l'esprit. Au
point de vue social, ils se complètent. L'invention
d'une idée quelconque ne serait rien, socialement
parlant, sans la volonté de l'exprimer et de la réaliser.
Cette seconde volonté — si l'invention en est déjà
une première — ce n'est pas toujours l'inven-
teur qui l'a, c'est un autre homme qui sait appli-
quer son invention, inventer à son tour en la cor-
rigeant pour la rendre pratique, et enfin la réaliser,
l'incarner dans les faits, la faire vivre. Au point de vue
social l'inventeur intellectuel n'a parfois qu'une"
velléité maladroite, c'est l'inventeur pratique qui
veut réellement, qui trouve l'intermédiaire efficace,
qui augmente réellement le pouvoir de l'humanité
soit sur l'homme (inventions se rapportant à l'édu-
cation, au gouvernement), soit sur le monde exté-
rieur (inventions industrielles) 1 . La volonté de l'in-
dividu est ainsi un élément très important de la vie
sociale et de ses transformations.
Mais il me suffit d'indiquer cela, et je m'occupe-
rai à un autre point de vue des phénomènes sociaux.
1 . On trouvera des théories et des considérations fort intéres-
santes sur le rôle de l'invention dans la vie sociale dans les ou-
vrages de M. G. Tarde.
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LA VOLONTÉ ET LES PHENOMENES SOCIOLOGIQUES £77
Mon but est surtout l'étude psychologique de la vo-
lonté, et il me semble que cette étude s'éclairera sin-
gulièrement par l'examen rapide des phénomènes
sociaux, qui correspondent au fait psychologique de
la volition, qui sont à l'ensemble social ce que la
volonté est à l'esprit individuel. La sociologie nous
offre cette précieuse ressource que les éléments, ici,
nous sont bien plus connus que les éléments psychi-
ques et biologiques. Ce sont les hommes et nous
pouvons les observer dans l'exercice de leurs fonctions,
bien plus aisément que des cellules nerveuses. Aussi
l'examen des faits sociaux est-il excellent, je crois,
pour nous faire comprendre, par de profondes analo-
gies, la nature intime des phénomènes psychologi-
ques dont les éléments sont parfois difficiles à dis-
cerner. Bien entendu, je me bornerai à peu près à
parler des faits qui peuvent servir à la psychologie
de la volonté, et à les examiner à ce point de vue.
§ 2. — L'activité automatique et l'activité volontaire
dans la vie de la société.
Dans la société comme dans l'individu nous trou-
vons la distinction de l'activité réflexe ou automatique
et de l'activité volontaire. Si nous considérons une
nation passablement unifiée, par exemple la nation
française, nous remarquerons tout d'abord que bien
des phénomènes sociaux qui se passent en elle ne
l'intéressent pas directement tout entière et qu'elle
n'intervient pas non plus tout entière, même par ses
représentants, dans le cours ordinaire des choses, pour
Paul'jan. 16
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278 LA VOLONTÉ
les favoriser ou les empêcher. D'innombrables quan-
tités d'achats et de ventes, par exemple, n'intéressent
guère que les individus qui les font ou leurs familles,
et se règlent généralement entre eux seuls. D'autres
intéressent des groupes sociaux plus considérables,
par exemple les achats de terrains faits par une
société pour établir uu chemin de fer, les achats de
vin effectués pour une grande société coopérative-
Dns groupes sociaux plus importants encore ont une
exislenre aussi indépendante, ils vivent et agissent,
dans une mesure considéra ble, sans que l'ensemble
de la société, sans que l'état qui la représente ait
à s'en mêler activement.
Toutes ces activités individuelles ou sociales, mais
appartenant a des groupes sociaux secondaires, peu-
vent être comparées aux nombreux phénomènes
nerveux qui se produisent continuellement dans l'or-
ganisme et servent à l'accomplissement de nos fonc-
tions physiologiques, ou même de nos fonctions
psy cl 10 1 og i ques i n fé r i eu res . Au-dess us d'el les no u s en
trouvons d'autres qui se rapprochent des phénomènes
de l'automatisme psychologique proprement dit. Ce
sont les fonctions administratives, les grands rouages
administratifs ; le service des postes, par exemple
intéresse à peu près la société entière, il est sous la
direction de l'Etat, il est fait par ses agents. Toutefois,
il ne donne pas très souvent lieu à des actes de vo-
lonté nationale proprement dite. Cela n'arrive que
dans certaines conditions générales qui sont les ana-
logues des conditions delà volonté psychologique. On
peut en dire autant de toutes les grandes administra-
tions.
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LA VOLONTÉ ET LES PHÉNOMÈNES SOCIOLOGIQUES 279
Cela ne veut pas dire — il faut prévenir les con-
fusions — que les administrations soient forcément
vouées à la routine. Assurément, la routine y tient une
place exagérée, mais enfin des initiatives, des inven-
tions et des volitions s'y manifestent aussi. Je veux
seulement dire ici que ces initiatives et ces volitions
sont individuelles ou bien ne témoignent que de
l'activité d'un groupe social, non d'une société entière.
Elles ne sont pas l'expression, d'une volonté nationale.
Si un directeur des octrois introduit une modifica-
tion heureuse dans son service, ce n'est pas là une
initiative sociale proprement dite, émanant de l'en-
semble de la société.
Au contraire nous avons un véritable acte de
volonté sociale quand la société entière ou ceux qui
la représentent (à condition qu'ils soient suivis)
prennent une décision et la font exécuter. Une décla-
ration officielle de guerre est un acte de volonté
sociale qui va changer naturellement la vie de la société
entière et ses rapports avec la société voisine. Mais
il n'est pas nécessaire pour qu'un fait soit un acte de
volonté sociale qu'il intéresse directement d'autres
nations que celle qui veut. Comme l'individu peut
« vouloir » sans remuer visiblement, par exemple
vouloir évoquer tel souvenir, ou se corriger d'un dé-
faut, de même une société peut « vouloir », sans
inquiéter ses voisins, améliorer ses finances ou
préparer un nouveau régime de l'exploitation des
chemins de fer. Une loi organisant une caisse de
retraites pour les ouvriers n'est pas moins qu'une
déclaration de guerre un acte de la volonté natio-
nale. Il en est de même pour tout ce qui est fait
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28o LA VOLONTÉ
par la société entière ou ses représentants et qui
rompt l'automatisme ordinaire, les habitudes établies .
La volonté sociale comme la volonté individuelle est
essentiellement une innovation.
Remarquons toutefois que la volonté se retrouve à
lous les étages des groupes sociaux. Au lieu d'étudier
une volonté nationale, nous pourrions étudier, par
exemple, la volonté dans une compagnie du gaz ou
dans une société coopérative. Et quelques-uns des phé-
nomènes qui nous paraissaient fragmentaires, par rap-
port à la société en général, seraient considérés ici
comme généraux. Telles sont, par exemple, certaines
décisions du directeur, des assemblées générales des
actionnaires, du conseil d'administration, qui sont bien
la volonté de la compagnie ou de la société, comme
une loi est une volonté de la nation. Si nous considé-
rons la nation, la compagnie industrielle et la société
coopérative ne sont plus que des éléments d'un en-
semble qui les dépasse et leur activité n'est qu'une acti-
vité partielle et subordonnée. Pour ne pas compliquer
inutilement, je m'en tiendrai à l'examen de la volonté
générale d'une société, de la volonté nationale (nous
verrons les résumés que comporte d'ailleurs ce mot).
§ 3. — Les conditions de la volonté sociale.
Les conditions de la volonté nationale sont les
mêmes que celles de la volonté individuelle, je veux
dire l'impuissance et le conflit des automatismes, sa fin
est aussi la même, elle tend à créer un automatisme
supérieur.
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LA VOLONTÉ ET LES PHÉNOMÈNES SOCIOLOGIQUES 28 1
Il arrive très souvent que les groupes sociaux se-
condaires sont impuissants à réaliser une amélioration
qui s'impose. Je ne dis pas que cela leur soit essen-
tiel, et qu'il ne puisse en être autrement, mais, en
fait, nous voyons constamment, surtout lorsqu'il
s'agit de faire une innovation et une innovation im-
portante, qu'on fait appel à la volonté nationale. Cet
appel est même souvent obligatoire dans notre orga-
nisation. Il est des innovations qu'un particulier, ou
même un groupe social secondaire, une société, une
commune ne peuvent faire qu'avec ce minimun d'in-
tervention de la volonté générale qui s'appelle l'ap-
probation de l'État. Mais il arrive aussi que l'impuis-
sance naturelle n'est pas moindre que l'impuissance
légale. Les subventions, les conseils, les encourage-
ments divers de la conscience nationale peuvent aider
à naître et à vivre des entreprises utiles à l'ensemble
de la nation et qui, sans eux, ne pourraient se pro-
duire, ni prospérer. Un grand nombre de lois n'ont *" #
d'autre but que de remédier ainsi à des insuffisances
de l'automatisme. Quelquefois au reste elles y remé-
dient d'une manière très peu efficace, et il n'est pas
bien rare que le remède soit pire que le mal, mais,
pour le moment, ceci importe peu. Et, ici aussi, l'a-
nalogie se poursuit entre la psychologie et la sociolo-
gie, car la volonté individuelle aussi supplée parfois
bien mal à l'insuffisance de l'automatisme et cause
des maux plus graves que ceux qu'elle prétend guérir.
Si, par exemple, on trouve que le commerce libre du
blé ne donne pas à l'agricuteur une rémunération
suffisante, un acte de volonté frappera d'un droit les
blés étrangers qui viendront leur faire concurrence.
16.
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m
>: •?;*?»
282 LA VOLONTÉ
Expédien t ruineux peut-être, mais dont il nous suffit
ici de voir le sens. Et si les travailleurs ne savent pas
ou ne peuvent pas mettre assez d'argent de côté pour
assurer le repos de leur vieillesse, un acte de la vo-
lonté nationale peut intervenir encore pour compenser
ce défaut de l'organisation naturelle et arranger les
choses de manière qu'une retraite minima leur
soit garantie soit par une épargne imposée, soit par
des prélèvements sur ce qui revenait auparavant à
d'au 1res. 11 est trop évident que si les choses mar-
chaient régulièrement, si les éléments sociaux accom-
plissaient spontanément leurs fonctions d'une manière
satisfaisante, les lois deviendraient inutiles. Il n'est
pas besoin de légiférer pour interdire à un citoyen de
se jeter par la fenêtre.
Les conflits des divers éléments sociaux sont encore
des conditions fréquentes de volitions distinctes. Le
pouvoir exécutif le plus haut, et les Chambres ont
souvent à intervenir par des voies diverses à propos
deâ cottflits entre ouvriers et patrons, entre admi-
nistrateurs et administrés, etc. Ceci d'ailleurs n'est
qu'un cas particulier ou un aspect spécial de l'im-
puissance de l'automatisme. Et nous trouvons des
phénomènes variés, d'importance très diverse qui
nous font bien voir comment les conflits deviennent
une condition de l'acte de volonté national.
Beaucoup de petits conflits ne donnent lieu à rien
de semblable. Il suffit pour les résoudre de volitions
sociales très fragmentaires, très « élémentaires ». Un
grand nombre de ces conflits s'apaise par entente
directe entre deux individus en lutte, beaucoup
d'autres sont apaisés par des conseils de parents ou
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LA VOLONTÉ ET LES PHENOMENES SOCIOLOGIQUES 283
d'amis, d'autres par l'intervention d'un commissaire
de police, d'un juge de paix, d'un sous-préfet. Puis,
en remontant la série, les choses se compliquent et
le mal va toujours s'aggravant, se répandant, exi-
geant des interventions sociales de plus en plus éle-
vées, nécessitant, dans l'ordre judiciaire par exemple
l'intervention d'un tribunal de première instance,
d'une cour d'appel, de la cour de cassation ; dans
l'ordre administratif, d'un conseil de préfecture et
du conseil d'État. Souvent la conscience sociale
s'émeut à l'occasion de ces conflits, ce qui fait que
le conflit s'aggrave et se propage, deux camps op-
posés se forment dans le public, el pour peu qu'ils
se passionnent et que le conflit primitif ne puisse
être aisément résolu par le fonctionnement régulier
des rouages sociaux, il va falloir que la volonté na-
tionale intervienne. Nous avons vu, en ces dernières
années, comment le jugement d'un conseil de guerre,
(certainement une erreur judiciaire à mon avis, mais
la signification sociale, du fait serait la même, s'il
avait été justement et régulièrement rendu) et le
conflit qui s'en est suivi ont mis successivement en
activité tous les rouages de l'ordre judiciaire, pro-
voqué dans le public, dans la presse, dans les Cham-
bres, des discussions passionnées, exercé quelque
influence sur les élections législatives, causé la chute
de plusieurs cabinets, décidé le vu le de plusieurs
lois, failli amener des troubles très graves, c'est-à
dire intéressé au plus haut point la personnalité
sociale et déterminé plusieurs actes de la volonté na-
tionale.
Comme la volonté individuelle encore, la \ clouté
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2 Si LA VOLONTÉ
nationale ne s'oppose à l'automatisme et ne le brise
que pour préparer un automatisme supérieur. Comme
la volonté individuelle d'ailleurs, elle se sert de l'au-
tomatisme, de certains automatismes pour en briser
certains autres, elle s'appuie sur des organes sociaux
incarnant certains désirs généraux pour détruire ou
modifier certaines habitudes. La volonté nationale
s 1 appuie par exemple sur l'armée pour réprimer une
insurrection, ou sur certaines influences populaires
pour intimider la magistrature comme l'esprit indi-
viduel s'appuie sur son désir d'économiser pour re-
tenir son goût pour les voyages. Elle brise généra-
lement quelques habitudes, car une nouvelle loi met
en vigueur des pratiques différentes de la routine
précédente, puisque sans cela il n'aurait pas été utile
de le faire, et souvent d'ailleurs elle modifie les lois
déjà établies 1 . Qu'il s'agisse d'une loi nouvelle, ou
d'un ordre du chef suprême, l'acte de la volonté na-
tionale rompt toujours quelque routine et trouble l'au-
to mutisme social.
En même temps il prépare un automatisme nou-
i . C'est quelquefois, il est vrai, quand elle modifie des lois
établies, mais tombées en désuétude qu'elle modifie le moins la
routine. Mais il est à remarquer aussi que l'acte de volonté na-
tionale est ici à son minimum d'importance, en général, et
que h rupture de l'habitude n'est pas aussi nulle qu'elle peut
le |i naître d'abord. Une loi, par exemple, qui supprime le
repos obligatoire du dimanche, en abrogeant une vieille loi
inobservée, mais toujours existante, modifie en quelque chose
les i • 1 . -es et les sentiments du public, elle est un signe des opi-
nions du gouvernement, elle inquiète ou rassure les uns et les
autre?. Et cela est d'autant plus marqué qu'elle donne lieu à
plis- de discussions, c'est-à-dire qu'elle est davantage un véri-
table acte de volonté.
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LA VOLONTÉ ET LES PHÉNOMÈNES SOCIOLOGIQUES 285
veau. Si une loi est bien faite, en harmonie avec les
besoins de le nation, suffisamment d'accord avec les
désirs et les idées de la majorité ou d'une minorité
influente, — c'est-à-dire si elle est réellement natio-
nale (ce qui peut être à quelques égards un signe
d'infériorité) elle va, une fois promulguée, fonder
une coutume nouvelle, elle sera automatiquement
obéie, spontanément appliquée par l'action de ce
qu'on peut appeler les centres sociaux secondaires
(tribunaux, préfets, employés des contributions di-
rectes ou indirectes, etc.). Même une volonté de
Napoléon déchaînant une guerre nouvelle a pour
fin d'abord une sorte d'habitude de la guerre, d'or-
ganisation des armées, des services accessoires, etc.,
et ensuite elle tend forcément vers un état de paix où
doit s'organiser — sur des bases plus larges ou plus
étroites, selon le sort de la guerre — une routine
sociale plus ou moins analogue à celle qui existait
avant elle et qu'elle a rompue.
§ 4- — Analyse de l'acte de volonté sociale. Ses trois
phases.
Comme dans l'acte de volonté individuel, nous
distinguerons trois phases dans l'acte social et ces
trois phases sont les mêmes : la délibération, la dé-
cision et l'exécution, nous y retrouverons les mêmes
caractères fondamentaux : l'association systématique
et l'inhibition.
Une fois la volition préparée et rendue inévitable
par l'insuffisance ou le conflit des automatismes, la
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**m
386 LA. VOLONTÉ
délibération commence bientôt, et selon les circon-
stances elle sera, comme dans l'individu, plus ou
moins longue. L'urgence, l'unanimité la font écnurler.
La division des éléments sociaux et leur indépen-
dance la prolongent. Si la nation entière était repré-
sentée par un chef absolu, qui déciderait tout par
lui-même, Pacte social se réduirait, à certains égards f
à un acte individuel (non pour sa portée, cepen-
dant). Mais il n'est guère de tyran qui ne prenne
conseil, ne s'informe, ne délibère. Ainsi les différents
désirs sociaux sont plus ou moins bien représentés
ici. À plus forte raison dans une assemblée nom-
breuse où divers partis s'opposent. Avant le vote de
la loi, la « délibération » met ces désirs aux prises.
Et ebacun s'efforce de l'emporter, chacun lait inter-
venir tout le cortège des raisons et des désirs secon-
daires qui l'appuient, exactement comme dans la
délibération individuelle. C'est dire que divers sys-
tèmes opposés luttent entre eux, en se groupant,
au moins de temps en temps , de façon à former deux
groupes directement opposés et tendent, chacun de
son coté, à systématiser dans leur sens propre l'acti-
vité générale, en inhibant l'activité des systèmes
opposés.
Puis la décision arrive. Dans le cas où la délibé-
ration est faite par une assemblée, elle est généra-
lement (ixvc par un vote. La motion qui réunit le
plus de voix est adoptée. La volonté nationale s'est
prononcée, son orientation est fixée, Toutes les idées,
tous les désirs contraires à celui qui l'emporte, sont,
théoriquement, comme s'ils n'étaient pas. Les partis
vaincus, si le vote les condamne, n'ont pas, ou ne
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LA VOLONTÉ ET LES PHENOMENES SOCIOLOGIQUES 287
sont pas censés avoir plus d'importance, en ce mo-
ment, que s'ils n'étaient pas du tout représentés à
l'assemblée. Quand bien même la majorité ne serait
que d'une voix, la décision est prise, et, en certains
cas, elle est irrévocable, comme dans une âme par-
tagée et irrésolue qui vient de prendre une résolution
sur laquelle elle ne pourra revenir.
Reste maintenant l'exécution. Elle est, encore ici,
la pierre de touche de la valeur de la décision. Une
loi, une résolution quelconque est toujours suivie,
ou doit l'être normalement, d'un ensemble de faits
qui en sont le complément, l'application, qui s'har-
monisent avec elle. Inversement, des actes qui s'ac-
complissaient auparavant en toute liberté ou qui
étaient commandés, sont interdits maintenant, em-
pêchés partout de se produire et doivent être répri-
més. Association systématique et inhibition systé-
matique, nous retrouvons partout ces deux grands
aspects de la vie mentale.
Mais en bien des cas les défauts de l'exécution
viennent nous faire voir que la volonté sociale, comme
la volonté individuelle peut n'être qu'une impuis-
sante velléité. Le « je veux » social ne suffit pas
plus à rendre efficace la volonté sociale que le « je
veux » individuel à faire aboutir la volonté de l'in-
dividu. Il est sans doute une force par lui-même,
mais s'il ne s'appuie pas sur une solide base d'habi-
tudes et de désirs, il reste forcément impuissant. Un
peuple n'obéit à une loi gênante que s'il est au
moins quelque peu convaincu de son utilité ou de
sa justice, s'il la désire, ou si l'autorité qui la lui
impose jouit d'un prestige tout à fait exceptionnel
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288 LA VOLONTÉ
et Ta soigneusement entraîné à l'obéissance. En-
core y a-t-il des lois que le tyran le plus absolu ne
pourrait avoir la force de faire exécuter. D'une
manière générale le désaccord n'est pas très considéra-
ble, quand il existe, entre la loi et les désirs. Alors
la loi est obéîe, respectée, au moins dans une assez
grande proportion, et en apparence. Mais si la
volonté heurte trop les automatismes et les désirs, il
arrive que l'exécution de la volonté nationale, ou soi-
disant telle, rencontre de sérieux obstacles. Lés par-
tis vaincus reprennent courage, et essayent parfois
avec succès de l'entra ver. La loi demeure alors lettre
morte, et parfois, au bout de quelque temps un
nouvel acte de volonté déterminé par une réaction
des désira qu'elle a froissés et des partis qui la
représentent, vient la supprimer. Nous voyons claire-
ment encore en tout ceci le rôle de l'association sys-
tématique et de l'inhibition.
| 5, — Le jeu des éléments indépendants.
Comme dans la volonté individuelle, le jeu des
éléments garde îci une certaine indépendance, bien
plus considérable que dans l'automatisme où il est
réduit à son minimum. Il est de règle qu'un par-
lement ne soil pas discipliné comme une adminis-
tration, et Ton ne peut guère se représenter un
état organisé où le parlement serait unanime, vote-
rait sans discussion tout ce qui lui serait proposé,
tandis que chaque fonctionnaire resterait libre d'agir
à sa guise et serait une sorte de seigneur indépen-
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LA VOLONTÉ ET LES PHÉNOMÈNES SOCIOLOGIQUES 289
dant. Cela donne à peu près la différence de la
volonté et de l'automatisme. D'ailleurs montrer que
la volonté a pour condition l'impuissance et les con-
flits des activités automatiques et spontanées c'est
dire clairement qu'elle implique une certaine indé-
pendance des éléments sociaux et des éléments psy-
chiques. C'est ce que confirment les délibérations
qui résultent de cette indépendance relative et souvent
aussi les imperfections et les troubles de l'exécution.
Quant à la décision, le fait seul qu'elle écarte les
éléments hostiles et qu'elle unit des éléments dans
une synthèse nouvelle indique bien qu'ils avaient,
jusque-là, au moins quelque indépendance à certains
égards.
§ 6. — Caprice et volonté sociale. Le moi social et
la société.
Comme la volonté va du caprice à l'automatisme
en passant par le pouvoir personnel, la volonté sociale
va de l'anarchie à la solidarité parfaite et spontanée en
passant par la centralisation du pouvoir et la consti-
tution d'un état tout-puissant et gouverné selon des
principes fixes (monarchie absolue ou république
autoritaire). Le règne des caprices nous est donné
en équivalent par un pays troublé et morcelé, où
nulle loi générale n'est obéie, où la sécurité est fai-
ble, mais surtout et bien plutôt par un pays centra-
lisé où la direction varie continuellement, où les
partis se remplacent au pouvoir avec rapidité sans
avoir le temps d'ébaucher même une œuvre sérieuse,
Paulhan. 17
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2 gO LA VOLONTÉ
si la forme du gouvernement est républicaine ou
parlementaire ou si les révolutions sont fréquentes.
Si la forme est monarchique, alors les caprices de
la nation sont surtout ceux du monarque ou de ses
conseillers, mais cette forme nous intéresse moins
ici comme nous ramenant davantage à la psycholo-
gie purement individuelle.
Le pouvoir personnel nous offre d'autres analogies
frappantes. Le rapport du « moi » conscient à la
personnalité est semblable à celui de l'état et de la
nation. Il la représente plus ou moins bien. Nous
avons vu là formation dans l'individu d'un moi qui
se subordonne l'ensemble des tendances, des idées et
des désirs, qui les contrôle, qui les accepte et les
rejette, qui les favorise ou les empêche d'aboutir. De
même on voit, à mesure qu'un pays se centralise,
se former un Etat qui dirige plus ou moins sa vie
économique, industrielle, intellectuelle, artistique,
et surtout, naturellement, sa vie politique, qui favo-
rise les tendances qui lui semblent bonnes et ignore,
feint d'ignorer ou réprime plus ou moins les autres.
L'État s'occupant d'une tendance littéraire ou indus-
trielle pour l'encourager ou la combattre, c'est l'équi-
valent du moi portant son attention sur un désir ou
sur une idée pour la développer ou l'enrayer. Le
mécanisme est à peu près le même, des deux côtés
nous voyons naître des séries d'associations systéma-
tiques. Ici, le fait de se placer dans les meilleures con-
ditions, le rappel des idées et des impressions favo-
rables, etc., là, les récompenses honorifiques, les
pensions, les places, le découragement et parfois la
répression de la critique, l'hostilité à l'égard des ten-
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LA VOLONTÉ ET LES PHENOMENES SOCIOLOGIQUES 29 1
tatives discordantes. Les résultats aussi sont compa-
rables et incertains. Le sentiment que le moi voudrait
encourager n'a pas toujours assez de bases solides
dans l'organisme physique et mental, il ne correspond
pas à un désir bien intense, et de même la forme
d'art que l'État encourage, l'industrie qu'il protège,
ne répondent pas toujours aux besoins réels de la na-
tion, elles peuvent végéter et mourir malgré son appui.
C'est que le moi conscient et directeur ne
représente pas toujours bien la personnalité, comme
le gouvernement, l'État ne représente pas toujours
bien un pays. Il arrive que, dans un individu, un
ensemble de désirs favorisés par les circonstances
parvienne à s'emparer de la direction générale de la
personnalité, à constituer le moi ; l'individu ne se
rend plus compte de sa vraie nature. Il est, au fond,
ardent et passionné, par exemple, et il peut se croire
régulier et froid. 11 agit en conséquence, parce
qu'il a été dressé ou s'est dressé lui-même. Puis des
désirs violents s'élèvent à l'improviste en lui et le
troublent, mais il ne leur reconnaît pas le droit de
prendre part à la direction du moi, et alors des luttes
terribles viennent l'angoisser. Il résiste, mais si les
désirs sont trop forts le moi cède et se transforme,
il doit, pour vivre, se réorganiser, admettre, d'une
façon ou d'une autre, hypocritement ou avec fran-
chise, les passions qu'il n'a pu dompter et leur don-
ner satisfaction.
Pareillement un roi absolu, un parlement même
peuvent croire de bonne foi qu'ils représentent les
croyances et les désirs d'une nation alors qu'ils se
sont peu à peu profondément séparés d'elle. Si quel-
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w*.
292 LA VOLONTÉ
ques tendances nouvelles se manifestent ils les trai-
tent en ennemies, les combattent, les répriment vio-
lemment, niais si ces tendances sont vraiment fortes,
il vient un jour où la résistance devient impossible,
il Ta ut céder ou partir, et la réorganisation du moi
social se fait comme celle da moi psychique par la
reconnaissance plus ou moins franche des nouvelles
tendances et leur représentation plus ou moins large
dans le gouvernement,
§ 7. — L'équivalent du pouvoir personnel dans les
sociétés. Le pouvoir de VËlaU ses limites $ ses con-
quêtes.
Quel que soit ce gouvernement, et de quelque
façon qu 7 il soit composé, il est plus ou moins orga-
nisé, plus ou moins fort, plus on moins influent,
plus ou moins distinct de la nation même. Nous
avons vu aussi que le pouvoir personnel de l'individu
était plus ou moins fort et se distinguait plus ou
moins de l'ensemble dû V esprit en se constituant à
part comme une réalilé séparée. La force du pouvoir
personnel chez l'individu correspond a la puissance
de l'Étal, comme l'indépendance des éléments y
correspond à l'indépendance des groupes sociaux,
sociétés diverses, communes, seigneuries, domaines,
etc. Si l'histoire des individus nous montre parfois
l'organisation progressive de la personnalité et
l'accroissement du pouvoir personnel nous avons le
pendant de celle évolution dans révolution historique
du pouvoir royal en France par exemple, des pre-
miers Capétiens à Louis XIV. Plus tard la Révo-
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LA VOLONTÉ ET LES PHÉNOMÈNES SOCIOLOGIQUES 2Q3
lution montre que ce pouvoir royal, et que le « moi »
social, dont il état l'expression, ne représentaient pas
réellement d'une manière suffisante, les désirs et les
idées de l'ensemble de la nation, elle en a changé, -
élargi la nature. Actuellement l'idéal de quelques
partis, assez distincts, d'ailleurs, comme celui des
partisans de la coopération généralisée ou celui des
anarchistes, serait de résoudre, par des moyens
différents, le pouvoir de l'État en une sorte d'auto-
matisme supérieur et systématique, où les élé-
ments sociaux rempliraient normalement leur fonc-
tion sans coercition ni encouragement extérieur, où
la perfection de l'action spontanée rendrait inutile la
volition sociale, comme la perfection de l'automa-
tisme psychologique rendrait inutile tout exercice de
la volonté individuelle.
Gomme la volonté, dans l'individu, a son domaine
très variable selon les temps et les personnes, la
volonté sociale aussi voit son influence bornée de
façons très diverses. Il est toute une part de la vie
sociale, — celle qui correspond à la vie organique —
qui lui est normalement soustraite, dans laquelle
elle intervient peu, au moins d'une manière
directe. Son action est bornée encore par les limites
de la patrie comme celle de la volonté par les limites
de l'organisme, cependant elle peut, comme la
volonté individuelle se faire plus ou moins sentir au
dehors. L'analogie se poursuit très loin et nous la re-
trouverions jusque dans les moyens indirects employés
par l'activité sociale pour atteindre ce qu'elle ne
peut gouverner directement, ou pour étendre sa zone
d'influence. La langue, les idées, les arts, les armées,
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294 la voLomré
et la diplomatie sont les outils qui prolongent au
dehors son influence et tendent à lui soumettre le
monde, ou à l'harmoniser avec les autres forces de
même nature. La volonté nationale comme la volonté
individuelle, en se servant de celle-ci et aussi en la
j* servant tend vers une systématisation universelle.
!$v C'est ainsi qu'elle étend au dehors sa zone d'in-
1} fluence. Au dedans elle a recours, comme la volonté
r " individuelle, à des moyens indirects quand elle ne
[H peut agir autrement. Nous avons un exemple inté-
f: ressant de cette intervention indirecte de la volonté
?•;■'*■ nationale dans la lutte contre l'alcoolisme qui se
• 4. % dessine de plus en plus chez nous. Un Etat ne peut
S-ï guère plus empêcher directement ses administrés de
&> boire trop que nous ne pouvons nous empêcher
*[S directement d'aimer les truffes ou de redouter l'ail.
Mais il tâche d'arriver indirectement à son but. 11
;_• agit sur l'enseignement pour répandre la connais-
sance des dangers de l'alcoolisme, il répand des
images anti-alcooliques, il peut empêcher la vente
des alcools dans les établissements qui lui appar-
tiennent, dans les casernes par exemple, il peut
frapper de peines légales l'ivresse publique, il encou-
rage les sociétés privées qui agissent dans le même
sens que lui, il peut faire hausser le prix de l'alcool
en élevant les droits de circulation, il peut en rendre
la vente plus difficile en soumettant à des conditions
spéciales les marchands de vins et de liqueurs. On
pourrait multiplier les exemples de cette action indi-
recte, tout à fait semblable à l'action indirecte que
nous exerçons sur nos éléments psychiques, sur quel-
ques-uns de nos sentiments ou de nos idées.
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LA VOLONTÉ ET LES PHÉNOMÈNES SOCIOLOGIQUES 2o5
§8.
Pour examiner un peu en détail les analogies de
la volonté sociale et de la volonté individuelle, il
faudrait un volume aussi long que celui que je viens
d'écrire. Je m'en tiendrai aux brèves indications
qui précèdent. Si je ne me trompe elles suffisent à
nous montrer que l'étude des faits sociaux, trop né-
gligée peut-être par les psychologues, peut aussi bien
que l'étude des faits biologiques nous aider à com-
prendre la psychologie. Les faits sociaux sont surtout
excellents pour nous montrer comment une action
d'ensemble résulte de l'activité de nombreux élé-
ments et comment son unité est due à la systéma-
tisation de ces éléments. Il me semble que l'on voit
plus aisément ce que c'est que notre volonté, quels
sont ses rapports avec l'automatisme, quelle est sa
complexité, d'où vient son influence, et pourquoi elle
peut prendre des formes très diverses, comment elle
se rattache au moi et à la personnalité en examinant,
même sommairement, les faits sociaux qui en sont les
analogues et remplissent, dans la vie sociale, la fonc-
tion qu'elle accomplit dans la vie psychique.
Sans doute il faut se garder des analogies forcées.
Les éléments psychiques ne sont pas des individus
tout à fait aussi distincts et indépendants que les
hommes ou même peut-être que les groupes sociaux
secondaires d'importance très diverse qui en sont les
véritables équivalents et leurs ressemblent très pro-
fondément, bien plus que je n'ai pu l'indiquer ici.
Leurs activités présentent des différences sur les-
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2g6 LA VOLONTÉ
quelles je n'ai pas besoin d'insister. Il ne faudrait
pas se laisser aller à trop personnifier les éléments
psychiques, et surtout à méconnaître le carac-
tère d'unité de la personne humaine, plus arrêté et
plus précis que celui du groupe social quel qu'il
soit. Les relations des éléments d'un groupe social
avec ceux des autres groupes sociaux sont à bien
des égards assez dissemblables de ceux des éléments
psychiques d'un individu avec les autres individus
ou leurs éléments psychiques. Mais les dissem-
blances ici sont bien visibles et recouvrent d'ailleurs
de profondes ressemblances.
Inversement les faits psychologiques peuvent nous
donner des idées plus nettes et plus justes des phé-
nomènes sociaux, nous aider surtout à en com-
prendre les ensembles, car si nous pouvons mieux
étudier les éléments de la société, nous étudious
aussi plus aisément les ensembles psychologiques —
ce qui revient à dire que l'individu est plus à la
portée de notre observation que ses éléments ou que
les composés dont il fait partie. Mais je ne voudrais
pas dire non plus que la psychologie nous donne
tout l'essentiel de la sociologie. Il y a eu tout
récemment des discussions assez vives entre diffè-
re n Les sociologistes, sur le « nominalisme » et le
« réalisme social ». Il se peut très bien que les lois
sociales ne soient pas toutes explicables par la psy-
chologie, comme le voudrait une sorte de « matéria-
lisme » social analogue au matérialisme psycho-
logique qui réduit la psychologie à la physiologie,
mais cette question sort de notre sujet.
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CONCLUSION
En résumant ce qui précède nous verrions que la
volonté prête à peu près aux mêmes considéra-
tions que l'invention. Elle est essentiellement une
synthèse psychique nouvelle et active. Mais elle est
toujours mêlée à l'automatisme et aussi à l'activité
suggérée, comme l'invention est toujours mêlée à la
routine et à l'imitation. Son rôle dans la vie men-
tale semble à la fois beaucoup plus et beaucoup
moins considérable qu'on ne l'a cru. D'une part, en
effet, les actes formels de volonté, les volitions réflé-
chies sont, sous leurs formes les plus caractéristi-
ques, relativement rares dans la vie. Il est peut-être
des gens heureux qui n'ont jamais eu à y recourir.
On n'a pas toujours l'occasion ni les moyens d'être
un héros cornélien. D'autre part, considérée dans
ses formes les plus atténuées comme les plus déci-
sives, on peut dire qu'elle se mêle à toute la vie men-
tale. De la volition réfléchie au caprice et à la vel-
léité, les échelons sont nombreux. Toutes les formes
d'activité qui y sont comprises interviennent assez
souvent dans notre existence. Mais au-dessous la
série se prolonge encore, indéfiniment. Dans toutes
les synthèses qui se forment en nous, c'est-à-dire
dans tous nos états psychiques si variés, dans toutes
les manifestations de notre vie, il y a quelque élé-
ment de nouveauté, et par suite quelque trace de
volonté, si indiscernable soit-elle à nos yeux.
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2()8 LA VOLONTÉ
Ainsi compris le rôle de la volonté est de remédier
aux insuffisances et aux conflits.de l'automatisme en
préparant un automatisme supérieur. Elle implique
un certain désordre, elle-même ne s'effectue jamais
d'une façon tout à fait régulière, elle suppose une
certaine indépendance des éléments psychiques, et
toutefois elle doit rétablir l'ordre, et régulariser le
jeu des éléments. Elle constitue un de ces expé-
dients si fréquents dans la nature humaine où un
certain désordre est la condition d'un ordre supé-
rieur, elle est une des applications de cette grande
loi d'association systématique, de finalité interne,
selon laquelle un esprit utilise d'une façon ou d'une
autre, tant qu'il peut continuer à vivre, tout ce qui
est en lui, même les défauts qui lui nuisent ou qui
risquent de lui nuire et qu'il fait quelquefois tourner
à bien. Si nous voulons considérer son rôle non
plus seulement dans l'homme, mais dans le monde
en général, nous voyons qu'elle est un des moyens
par lesquels ce monde, agissant de toutes parts sur
l'homme qui réagit sur lui arrive à se transformer
lui-même, ou plutôt à provoquer sa transformation
sans le savoir et sans le vouloir. Car le rôle actif et
vraiment important appartient ici à l'homme, sorte
de ferment de systématisation et d'harmonie, système
actif qui, en se transformant, transforme les choses
autour de lui, non point par un développement ab-
solument continu et régulier mais par des séries
multiples de crises plus ou moins fortes, plus ou
moins nettes, qui à côté de ce qu'elles gardent d'au-
tomatique, nous montrent, à divers degrés de diffé-
renciation, autant d'actes volontaires.
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APPENDICE
LA QUESTION DU LIBRE ARBITRE
Le lecteur a peut-être remarqué que, traitant de
la volonté, je n'ai pas parlé du libre arbitre et du
déterminisme. A aucun moment de mon étude cette
question ne m'a paru s'imposer à moi. A vrai dire,
j'ai postulé le déterminisme qui me paraît plus vrai-
semblable. Mais il y aurait bien peu de chose à chan-
ger à ce que je dis pour qu'un partisan des formes les
plus soutenantes de la théorie indéterministe pqts'en
accommoder parfaitement.
Toutefois, la question du déterminisme a été jointe
à celle de la volonté par une si longue habitude qu'il
sera peut-être utile d'en dire quelques mots ici. Elle
a donné lieu à tant d'erreurs qu'il y a sans doute
quelque avantage à montrer combien elle doit être dé-
gagée de certaines idées, de certaines conséquences
auxquelles on s'est plu jadis à l'associer et comment
elle doit être posée pour être posée avec précision.
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300 LA VOLONTÉ
Le mot de liberté est susceptible de prendre bien
des sens différents. Malheureusement ces sens ont été
souvent confondus et brouillés. Trop de philosophes
ont passé sans s'en apercevoir de l'un à l'autre, et
attribué à la liberté entendue en un _sens des vertus
qu'elle n'avait qu'à la condition d'être autrement
entendue. De ces méprises, de ces calembours inces-
sants dérive toute une série d'opinions dont le rôle a
été considérable en métaphysique.
Nous apipelons liberté l'état de l'être qui peut agir
selon sa nature, développer ses virtualités, satisfaire
ses tendances sans être gêné par son milieu. Un rouage
joue « librement » si quelque poussière, quelque res-
sort, quelque autre rouage ne l'arrête. De même un
homme est « libre » de manger, s'il a de la nourriture
à sa disposition, un bon estomac, de l'appétit, etc., il
n'en est pas libre s'il n'a rien à manger, ou si on lui
défend de manger sous peine de mort. Un électeur
vote librement si son vote est l'expression de son opi-
nion personnelle, il n'est pas dit voter librement s'il
vote sous la menace ou par vénalité. Et d'une façon
générale un homme est libre si ses actes expriment
ses tendances, s'il peut réaliser ses idées, faire ce qu'il
veut, agir conformément à sa nature psychologique
et de façon à la réaliser le plus possible (car en un
sens on agit toujours conformément à sa nature,
même lorsqu'on lui résiste ou qu'on la réprime).
Cette liberté-là est très facile à entendre. Et nous
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LA QUESTION DU LIBRE ARBITRE 3oi
en comprenons assez aisément les conditions psycho-
logiques et sociales. Nous trouverons par exemple
moins de liberté non seulement à celui qui est gêné
dans ses manifestations par son milieu, par sa race,
par l'organisation sociale qu'il doit subir, mais aussi
pour rester sur le terrain de la psychologie à celui
dont les différents désirs se contrarient, s'ordonnent
mal. Sans doute au premier moment le caprice peut
sembler empreint d'un caractère particulier de liberté,
mais c'est une liberté « élémentaire » qu'il nous
montre, l'épanouissement non de la personne, mais
d'un de ses éléments, d'un désir pris entre mille. Au
contraire la liberté réelle de l'individu est plutôt
représentée par la possession de soi, par le pouvoir per-
sonnel fortement organisé. Celui-là est vraiment libre,
— si tous ses désirs ne le sont pas toujours, — qui
veut régulièrement et harmoniquement, qui utilise de
son mieux ses facultés, qui agit de telle sorte que son
acte soit, autant que possible, l'expression de sa per-
sonnalité tout entière, non d'un désir fugitif. La
liberté ainsi comprise se confond ou au moins s'as-
socie avec l'empire sur soi, avec la sagesse et avec la
raison, en tant que cette raison est réalisée dans la
pratique. L'homme réfléchi est plus libre que l'im-
pulsif, celui qui sait se dominer est plus libre que
celui qui est à la merci d'une suggestion ou d'une
tentation.
La liberté est donc, en ce sens, une systématisation
de l'individu, considéré en lui-même et dans le rap-
port de ses divers éléments, et considéré aussi dans
ses rapports avec son milieu. La systématisation dans
l'individu, c'est-à-dire l'harmonie des désirs entre
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302 LA VOLONTÉ
eux, des désirs et des idées, des désirs, des idées et
des actes, c'est la liberté morale; l'harmonie des
désirs d'un individu, de ses tendances, de sa person-
nalité, avec les idées, les tendances, la personnalité
des autres, c'est la liberté sociale ou tout au moins
son fondement et Tune de ses conditions.
§*•
En ce sens on peut ici se demander si l'homme est
libre, mais on voit vite qu'il ne saurait être fait une
réponse unique à cette question. Chaque homme
est plus ou moins libre. Personne ne l'est absolu-
ment, et il n'est personne qui ne le soit à quelque
degré.
Personne ne l'est absolument puisque la liberté
complète supposant la perfection reste peut-être con-
tradictoire et, en tout cas, non réalisée. Aucun de
nous ne réalise l'harmonie parfaite, chacun est plus ou
moins l'esclave d'une passion dominante ou capable
de se laisser aller, le cas échéant, à quelque impul-
sion irréfléchie. Et chacun est libre à quelque degré,
puisque l'équilibre, si imparfait qu'il soit, existe chez
tous les hommes et que s'il n'existait pas ils n'exis-
teraient pas non plus. Un fou même agit librement
en certains cas, et peut dans une certaine mesure
conformer ses actes à ses désirs et ses paroles à ses
croyances.
Mais la liberté varie avec chacun de nous. Il est
des hommes relativement très libres, qui se possèdent
et se dominent bien, il en est d'autres qui sont esclaves
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LA QUESTION DU LIBRE ARBITRE 3o3
de leurs passions et de leurs caprices, ou sont sou-
mis à toutes les suggestions. La faiblesse du carac-
tère, la maladie, l'influence des milieux, la vivacité
de certains désirs sont autant de causes qui diminuent
plus ou moins et très inégalement la liberté chez tous
les hommes. Il n'en est pas deux qui soient égale-
ment libres.
Ainsi l'étude de la liberté se ramènerait à celle du
pouvoir personnel, tel que je l'ai étudié. Je n'ai donc
pas à y insister. Tout ce qui fait la personnalité har-
monique et forte la rend libre, lui permet de disposer
de soi. Être « l'esclave de ses passions », cela signifie
n'avoir pas une personnalité assez bien systématisée
pour se subordonner ses propres éléments et en régler
l'activité. C'est un manque de liberté. Être le maître
de ses passions et de ses idées, c'est en. subordonner
l'activité à l'ensemble du moi (et à l'ensemble social,
dont le moi est un élément, tel qu'il est représenté
dans le moi) et ce qui doit s'appeler être libre. Dans
cette liberté nous ' retrouvons le caractère fondamental
que nous avions signalé au début de cette étude :
l'acte libre est l'expression de la personnalité.
§3.
C'est pour cela que la liberté ainsi comprise est
nécessaire à la responsabilité. Si je suis responsable
d'un de mes actes, c'est parce que cet acte exprime
ma nature. Plus il l'exprime d'une manière adéquate,
plus je suis responsable, moins il l'exprime au con-
traire, et plus ma responsabilité diminue.
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3o4 LA VOLONTÉ
Cela est assez évident. Un acte commis dans un
accès de folie engage au minimum la responsabilité
de l'agent parce qu'il n'exprime pas sa nature psycho-
logique essentielle, ou que tout au moins nous ne
pouvons pas affirmer qu'il s'y rattache étroitement.
Tel homme bon pourra commettre, dans un accès,
des actes de méchanceté, tel homme chaste deviendra
luxurieux. L'harmonie de l'esprit est détruite en ce
cas là, remplacée par la domination accidentelle d'un
élément qui était normalement subordonné et con-
tenu. C'est à ce point de vue qu'il faut juger la res-
ponsabilité dans le rêve, dans le caprice, dans les
actes déterminés par une impulsion que des cir-
constances spéciales rendent irrésistible. Sans doute
la responsabilité de l'individu n'y devient pas nulle,
car ses actes représentent bien toujours une partie
de sa nature, mais elle y diminue parce qu'ils n'en
représentent qu'une partie, et plus cette partie sera
petite, plus la responsabilité sera affaiblie.
Elle est à son maximum, au contraire, lorsque
l'acte est réfléchi, délibéré, accompli dans la pléni-
tude de la force morale et physique, parce qu'alors il
représente le mieux possible, non pas tel ou tel élé-
ment, telle ou telle passion, telle ou telle idée de la
personne qui le commet, mais cette personne dans
son ensemble.
Entre le maximum et le minimum de responsabi-
lité s'échelonnent tous les degrés possibles, et l'on
comprend que la détermination du degré de respon-
sabilité soit une chose délicate et qui exige pour
S chaque cas de minutieuses études, on comprend
aussi que l'on puisse parler de divers degrés de res-
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LA QUESTION DU LIBRE ARBITRE 3o5
ponsabilité, de responsabilité plus ou moins atté-
nuée. Il ne faut pas demander en parlant de tel
ou tel coupable — ou de tel ou tel héros — s'il est
responsable ou non de ses actes, car tout le monde
est responsable jusqu'à un certain point, et personne
ne Test absolument. Il faut demander et rechercher
jusqu'à quel point il est responsable, et, c'est la même
question, jusqu'à quel point il a été libre dans l'ac-
complissement de son acte ! .
§4.
La liberté ainsi comprise non seulement s'accorde
avec un déterminisme rigoureux, mais même on peut
dire qu'elle le suppose. Ce qui fait l'homme libre, en
effet, est un rapport établi entre ses sentiments, ses
idées, tout ce qui, en un mot, constitue sa personnalité
et ses actes, au sens le plus large. Comme ses actes
font aussi partie de sa personnalité, on peut dire que
ce qui constitue la liberté, c'est un rapport entre les
différents éléments du moi. Ce n'est pas un rapport
quelconque, c'est un rapport d'harmonie et de fina-
lité, un accord général des pensées, des sentiments
et des actes qui tendent vers les mêmes fins ou vers
des fins analogues. La liberté est essentiellement une
question de finalité, elle est un nom de la finalité.
C'est dire aussi qu'elle est un nom du détermi-
i. Pour le développement de ces idées sur la responsabilité
on peut voir mes études La responsabilité, Revue philosophique,
1893 et La sanction, Revue philosophique t 1894.
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3o6 LA VOLONTÉ
nisme, non pas d'un déterminisme quelconque, mais
d'un déterminisme bien coordonné et réalisant une
finalité parfaite dans la mesure du possible. La liberté
est une forme du déterminisme, la forme où les activi-
tés des éléments s'enchaînent rigoureusement et s'en-
chaînent en même temps d'une manière harmonieuse.
Un acte de volonté par lequel j'exprime mes senti-
ments les plus profonds et mes croyances les plus
fortes réalise cette forme de déterminisme. Une impul-
sion à laquelle je cède par faiblesse et par irréflexion,
par entraînement et par suggestion mais qui froisse
en moi bien des sentiments et bien des idées et que
j'aurais contenue si je n'avais pas été pris par sur-
prise est tout aussi rigoureusement déterminée mais
son déterminisme ne représente pas autant de finalité
ni, pour la même raison, autant de liberté. La diffé-
rence entre un acte libre et un acte qui n'est pas libre
ne peut donc tenir à ce que l'un serait déterminé
tandis que l'autre ne le serait pas, elle tient à ce que
l'un est le produit d'un déterminisme systématisé et
l'autre le produit d'un déterminisme non systéma-
tisé. C'est une question de finalité, non de causalité,
ou du moins celle-ci n'a de valeur qu'en tant qu'elle
implique celle-là.
Si le déterminisme de l'acte libre n'était pas rigou-
reux, il est aisé de voir que la liberté disparaîtrait.
La liberté est mesurée, en effet, par le rapport de
l'acte à la personnalité. L'acte libre doit être l'expres-
sion de cette personnalité. C'est dire qu'il doit être
rigoureusement déterminé par elle, et si la rigueur
de la détermination pouvait varier, le degré de la
liberté varierait corrélativement, comme il varie avec
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LA QUESTION DU LIBRE ARBITRE 3c>7
tout ce qui diminue, dans Pacte, le caractère qui en
fait l'expression de la personnalité. Il est bien clair
que si l'acte ne dérive pas rigoureusement de la na-
ture de la personnalité, s'il peut varier sans que celle-ci
varie, s'il peut rester le même tandis que celle-ci se
modifie gravement, il n'exprime plus que faiblement
cette personnalité, il n'est plus sa libre manifesta-
tion. Si dans les mêmes circonstances psychologiques
plusieurs actes sont possibles, c'est que ni l'un ni
l'autre ne sont le résultat parfaitement significatif de
ces circonstances, ni l'un ni l'autre ne sont réelle-
ment l'acte, le produit vrai de la personnalité dont on
les suppose émaner. Et alors celle-ci ne saurait les
reconnaître comme les produits de sa libre activité et
ne saurait en être tenue pour responsable. Si le mé-
chant pouvait faire indifféremment le bien ou le mal,
en quoi consisterait sa méchanceté ? et comment son
acte exprimerait-il réellement sa nature ? Un méchant
qui ferait le bien sans le vouloir n'en serait pas plus
responsable qu'un homme bon ne serait responsable
d'un accident qu'il aurait causé sans avoir pu le pré-
voir, il n'aurait pas été plus libre dans son acte. Sans
doute un homme mauvais peut commettre parfois
une bonne action, mais alors c'est qu'il n'est pas abso-
lument mauvais et que son acte exprime une partie
de sa personnalité, une tendance relativement faible
en général ou en désaccord avec son acte. Et comme
en ce cas l'acte ne représente point la personnalité
entière, nous ne pouvons pas en faire remonter plei-
nement la responsabilité à toute cette personnalité, et
nous ne dirons pas que toute cette personnalité, mais
seulement quelques-uns de ses éléments méritent en
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3o8 LA VOLONTÉ
principe l'approbation et l'encouragement. Le juge-
ment serait différent pour le même acte commis par
une personne foncièrement bonne. Ici le moi tout
entier deviendrait responsable et mériterait les éloges,
parce qu'il interviendrait plus efficacement tout entier
pour déterminer l'acte.
On peut trouver, je le sais bien, que l'homme plus
mauvais a plus de mérite à commettre une bonne
action. Cela veut dire que nous sommes plus sûrs de
la force de la tendance qui a directement déterminé
cet acte, puisqu'elle a dû lutter contre d'autres et les
vaincre. Le mérite de l'ensemble est d'avoir assez peu
favorisé celles-ci pour les laisser, au moins momenta-
nément, mettre en déroute. S'il n'y a pas eu une sur-
prise, un entraînement irréfléchi et passager, alors
l'ensemble peut bien avoir sa part de liberté et de
responsabilité qui se mesurera encore par le détermi-
nisme systématique, par la finalité selon lesquels l'acte
a été déterminé par la synthèse volontaire d'une per-
sonnalité dont un certain nombre d'éléments valaient
mieux qu'on ne le supposait, ou ont été transformés
par de récentes circonstances.
Il semble donc que bien des difficultés s'éva-
nouissent quand on considère ainsi les choses, et
qu'on invoque la liberté, la responsabilité, le • mérite
et le démérite, le vice et la vertu, non au point de
vue de la causalité pure, du déterminisme et de l'in-
déterminisme, mais au point de vue de la finalité, au
point de vue du déterminisme systématisé ou du
déterminisme non systématisé. Je ne veux pas dire,
certes, que ces difficultés disparaissent complètement,
mais elles changent de terrain. Elles ne sont plus, à,
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LA QUESTION DÛ LIBRE ARBITRE 30Q
proprement parler, des difficultés proprement scien-
tifiques ou morales, mais plutôt des difficultés philo-
sophiques ou métaphysiques. Il y a entre elles et les
questions morales ou psychologiques à peu près le
même rapport qu'entre les lois de la physique et de
la chimie d'une part, et, d'autre part, les théories phi-
losophiques sur l'existence ou la non-existence du
monde en général ou de la matière en particulier. Je
ne méconnais pas l'intérêt des problèmes qui pou-
vaient être soulevés ainsi à propos du prédétermi-
nisme, delà liberté et de la responsabilité, des notions
dernières de la morale, mais je n'ai pas à les aborder
en ce moment.
§5.
A côté de la notion de la liberté comme détermi-
nisme systématisé, comme (inalité rigoureuse, une
autre notion s'est établie que l'on a souvent con-
fondue avec elle, mais qui en diffère radicalement.
C'est celle de la liberté conçue comme opposée au
déterminisme en général. Ce que ses partisans consi-
dèrent comme une action libre, ce n'est plus une
action qui exprime une personnalité, c'est une action
considérée comme étant, au moins à certains égards
et dans une certaine mesure, indépendante de ses con-
ditions, comme pouvant être ou n'être pas, comme se
produisant sans cause déterminante, psychique ou
physiologique.
On comprend assez aisément comment ce sens
s'est rattaché au précédent. Par définition, l'acte
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3lO LA VOLONTÉ
libre, celui qui exprime une personnalité doit être
indépendant de certaines causes, il doit résister à cer-
taines influences. Pour que je puisse être dit agir
librement il faut que ma personnalité ne se laisse pas
dominer par une de mes passions ou par les sugges-
tions de mon entourage, qu'elle ne soit pas déterminée
à agir par une contrainte matérielle en une pression
morale. Il faut pour qu'un acte soit libre qu'il ne soit
déterminé principalement par rien autre que par la
nature de la personnalité qui le commet, qu'il exprime
surtout cette nature et non une autre nature, qu'il
ne soit pas rendu nécessaire par d'autres conditions
que par l'ensemble de conditions qui constitue la
nature de l'agent. De là on passe à l'idée que l'acte
libre doit échapper à tout conditionnement rigou-
reux et ne doit être complètement déterminé par
rien. On arrive ainsi à cette idée étrange que l'acte
d'une personnalité peut être, dans quelque mesure,
indépendant de cette personnalité et de ses éléments,
des conditions psychiques qu'elle unit, et que même
cette indépendance est nécessaire à la liberté de l'acte
et à la responsabilité de la personne. Celle-ci serait
responsable parce que l'acte est dans une certaine
mesure indépendant d'elle, qu'il aurait pu être tout
différent, et que, par conséquent, il n'exprime pas
sa nature. Elle en serait responsable parce que, en
somme, elle ne le produit pas.
On a ainsi confondu et amalgamé l'indétermi-
nisme et la liberté. On a, par exemple, opposé au
déterminisme la possession de soi et la réflexion,
comme si la possession de soi et la réflexion ne pou-
vaient être aussi rigoureusement déterminées que tout
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LA QUESTION Dt LIBRE ARBITRE OU
autre phénomène par les conditions psycho-physio-
logiques qui sont les qualités de l'esprit. On s'est
représenté le déterminisme sous une forme morbide ;
on voyait ses effets dans les maladies nerveuses et
mentales, dans le détraquement de l'esprit et de l'ac-
tivité, comme si la santé ne pouvait être aussi rigou-
reusement déterminée qu'un état pathologique, on a
confondu l'absence de finalité, de coordination systéma-
tique avec la détermination rigoureuse et au contraire
la finalité, Tordre, l'association systématique avec l'in-
déterminisme. Si des raisons psychologiques peuvent
expliquer cet amalgame d'idées, aucune raison logique
ne les justifie. Rien ne garantit que l'indéterminisme
prendrait une apparence de finalité, qu'un acte indé-
terminée même à quelque degré, exprimerait mieux la
nature d'un être qu'un acte déterminé. Pourquoi, en
effet, en serait-il ainsi? Nous ne pouvons attribuer
quelque régularité qu'à ce qui est déterminé, une
chose ne peut en exprimer une autre qu'en tant qu'elle
se rattache à celle-ci par des rapports définis et plus
ces rapports seront rigoureusement déterminés plus
l'expression sera réelle. D'un acte indéterminé on
ne pourrait rien tirer relativement à l'agent. En
tant qu'il serait indéterminé, il ne pourrait même lui
être attribué. Comme les partisans de l'indétermi-
nisme repoussent généralement l'indéterminisme total
l'acte serait toujours déterminé dans une certaine
mesure, et, dans cette mesure-là, il pourrait être
attribué et imputé à son auteur. Mais précédemment
la liberté et la responsabilité coïncideraient encore ici
avec le déterminisme systématique. En tant qu'in-
déterminé l'acte en serait absolument étranger à
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3î2 LA VOLONTÉ
lagent, c'est dire qu'il n'existerait, à proprement
parler, ni agent, ni acte.
§6.
Je ne vois donc aucune raison logique, scienti-
fique ou morale pour faire intervenir l'indétermi-
nisme. L'observation et l'expérience en nous mon-
trant la possibilité de trouver en général une cause
suffisante aux actes humains, en nous permettant d'en
trouver ou d'en entrevoir l'explication, en nous fai-
sant reconnaître une régularité foncière cachée sous
des dehors variables nous inclinent vers le détermi-
nisme. L'apparence de l'indétermination, l'impossi-
bilité de la précision sûre s'expliquent très suffi-
samment par la grande complication des phénomènes
psychiques et physiologiques et par notre ignorance
d'un grand nombre de leurs conditions. De plus les
analogies scientifiques, la considération des phéno-
mènes physiologiques, physico-chimiques, et même
des phénomènes sociaux nous pousse dans le même
sens. Le déterminisme est donc vraisemblable, et il
paraît qu'on doit le tenir pour vrai.
Sans doute ce n'est pas là une certitude absolue.
Nos instruments de mesure ne sont pas assez précis,
notre connaissance de l'homme en particulier et de
la nature en général est trop imparfaite pour que
nous puissions affirmer sans la moindre restric-
tion que tout est toujours et d'une façon rigoureuse-
ment absolue déterminé dans la nature physique,
psychique ou sociale. La croyance au déterminisme
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■^fpy'^f^'
LA QUESTION DU LIBRE ARBITRE 3l3
est le résultat d'une induction dont la validité est
vraisemblable mais au sujet de laquelle on peut tou-
jours faire quelques réserves. Seulement cette ques-
tion de la possibilité du hasard indéterminé est une
question philosophique, bien différente de ce que
Ton croit généralement. Elle n'a rien à faire avec la
morale, si ce n'est que, comme nous l'avons vu, l'in-
déterminisme, dans la mesure où il se réaliserait,
pourrait supprimer la responsabilité et l'attribution
légitime des actes. Et d'autre part elle ne regarde
pas spécialement la psychologie de la volonté. S'il y
a de l'indéterminisme dans l'esprit, cet indétermi-
nisme peut se placer aussi bien dans l'intelligence,
dans les sentiments que dans les volitions. Même il
peut se placer aussi bien dans les phénomènes pu-
rement physiologiques que dans les phénomènes
psycho-physiologiques. Il n'y a pas entre les uns et
les autres des différences de régularité et de simpli-
cité telles que l'apparence de l'indétermination soit
absolument écartée des premiers. Bien plus nous ne
saurions être absolument sûrs qu'il n'y ait jamais la
moindre indétermination, le moindre clinamen dans
le monde physique. Et l'on pourrait même dire que
l'indéterminisme psychologique implique l'indéter-
minisme des phénomènes de la matière.
On voit le genre spécial d'intérêt, purement théo-
rique, que pourrait offrir la théorie de l'indétermi-
nisme. Cette théorie n'a aucun rapport particulier avec
la théorie de la volonté, si ce n'est le rapport empi-
rique établi par de longues confusions entre l'in-
déterminisme et la liberté. Il semble donc naturel
d'accepter, dans la science psychologique, le déter-
Paulhàn. 18
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3l/j LA VOLONTÉ
minisme comme on l'accepte en physique et sans
plus de réserve dans un cas que dans l'autre *.
i. On peut consulter sur le sujet du déterminisme et du
libre arbitre, parmi les livres modernes : les ouvrages de
Fouillée (particulièrement La liberté et le déterminisme)* et
■ I" M. Renouvier, et les articles de discussion publiés par ces
deux philosophes dans la Bévue philosophique* et dans la Cri-
tique philosophique, les ouvrages de Delbœuf, Le libre ar-
bitre* de M. Fonsegrive (Paris, Alcan, 1887), la Physiologie
tU la volonté* de M. Herzen (Paris, Germer-Baillière, 1874),
un bon petit livre de M. G. Renard : V homme est-il libre ?
(Paris, Germer-Baillière), Schopenhauer. Essai sur le libre
arbitre. Trad. française. Paris, Germer-Baillière, 1877, et, dans
h Hibliothèque de psychologie expérimentale* la Morale de
M. Duprat. Paris, Doin, 1901.
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OUVRAGES CITÉS DANS LE PRÉSENT VOLUME
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J.-B. Baillïère.
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librairie du Progrès médical, i885.
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Binet et Féré\ Le magnétisme animal. Paris, Alcan, 1887.
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Durand de Gros. Le merveilleux scientifique. Paris,. Alcan,
Esquirol. Des maladies mentales, 2 e éd. Paris, J.-B. Bail-
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Fleury (Maurice de). Introduction à la médecine de l'es-
prit. Paris, Alcan, 1897.
Fonsegrivb. Le lihre arbitre. Paris, Alcan, 1887.
Fouillée. La liberté et le déterminisme, 2 e éd. Paris, Alcan,
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— Psychologie des idées forces. Paris, Alcan, i8q3.
Grasset (D r ). Anatomie clinique des centres nerveux, 2 e éd.
Paris, J.-B. Baillière, 1902.
— Les maladies de l'orientation et de l'équi-
libre. Paris, Alcan, 1901.
Griesinger (W.). Traité des maladies mentales. Pathologie
et thérapeutique. Traduction française du D r Doumic.
Paris, Delahaye, 1873.
Hack Tuke. Le corps et l'esprit. Traduction française de
V. Parant. Paris, J.-B. Baillière, 1888.
Hartenberg. Les timides et la timidité. Paris, Alcan, 1901.
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18.
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TABLE DES MATIÈRES
Papes.
Introduction. ; , . . i
Si
§ * 3
S 3 4
§ 4- .... * 5
CHAPITRE PREMIER
LA VOLONTÉ ET L 'AUTOMATISME
g i. — \clea ri;flaxos cl automatisme paychi-
que. r ♦ , , 6
g a. — La complication ries réflexes psychiq n os. g
g 3. — Les origines de la volonté dans l'auto-
matisme. . i 10
§ 4-
L Impuissance de l'automatisme comme
condition de la volonté. Volonté et
invention. ,.<... ia
§ 5 f — Le conflit dos tendances automatiques
comme condition de la volonté. . 1 5
g 6, — L'automatisme et le» conditions de la
vie humaine. ..*,*.. 18
§ 7, — > Distinction de la volonté et de certaines
formes de l'automatisme. . ... 19
§ S t — L'automatisme dans la volonté. . a a
î 0, — L T aulo materne* condition de la volonté,
en est aussi l'a-bou lissant, . a5
^ 10, — La volonté dans 1 automatisme, . 37
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TABLE DES MATIÈRES 3lQ
CHAPITRE II
LA VOLONTÉ ET LA SUGGESTION
§ i. — La suggestion. ........ 3o
§ 2. — Suggestion et volonté : analogies et
différences. . . 34
§ 3. — Les rapports de la suggestion et de la
volonté . » . 36
§ 4- — La suggestion prépare les conditions de
l'acte volontaire. ...... 38
§ 5. — La suggestion dans l'activité volontaire. 4o
§ 6. — La volonté dans l'activité suggérée. 43
CHAPITRE 111
LA VOLONTÉ ET LES FAITS PSYCHIQUES
EN GÉNÉRAL
§ i. — Les caractères do la synthèse volttïve. 47
§ 2. — Synthèse volitive et synthèse psychique
en général. ♦ . $8
§ 3. — Il y a partout de la volonté dans l'es-
prit 5i
§ 4- — La synthèse volitive. * 53
CHAPITRE IV
L'ACTE DE VOLONTÉ
I. — La volition, ses trois moments^ et les lois d'as-
sociation systématique et d'inhibition systé-
matique.
§ i. — La préparation de Tac te volontaire, ses
conditions 55
§ 2. — La délibération. 58
§ 3. — Délibération et décision, ..... 65
§ 4« — La décision, créée par le moi» le trans-
forme ♦ 70
§ 5. — La décision comme transformation dn
moi * . « * , 7a
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I
320 TABLE
DES MATIERES
§ 6. — Formes différentes de la décision. . . 75
§ 7. — L'exécution 76
§ 8. — L'exécution est un signe de la décision. 78
§ 9. — Les rapports de l'exécution avec l'inhi-
bition et l'association systématique. 81
CHAPITRE V
l'acte de volonté
II. — La volition et l'activité indépendante des élé-
ments psychiques.
§ 1. — L'activité indépendante des éléments
psychiques 83
§ 2. — L'activité indépendante des éléments à
l'origine de l'acte de volonté et dans
la délibération 84
§ 3. — L'activité indépendante des éléments
dans la détermination de la décision. 89
§ 4- — L'activité indépendante des éléments et .
l'exécution 92
CHAPITRE VI
l'évolution de la volonté
des caprices au pouvoir personnel
I. — Les caprices.
§ 1 94
§ 2. — Le caprice, sa nature 95
§ 3. — Le caprice et les trois phases de la vo-
lonté 98
§ 4. — Différences de la volition et du caprice.
Le caprice et la personnalité. . . 102
§ 5. — La part de la personnalité dans le ca-
price io4
§ 6. — Le caprice comme forme « élémentaire »
de la volonté 106
§ 7. — Le caprice et ses formes pathologiques. 107
§ 8 112
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TABLE DES MATIERES 321
CHAPITRE VII
L'EVOLUTION DE LA VOLONTÉ
DES CAPRICES AU POUVOIR PERSONNEL
II. — Le pouvoir personnel et la maîtrise de soi.
§ i. — Définition sommaire du pouvoir per-
sonnel ni
§ 2 . — Analyse du pouvoir personnel. . . . 117
§ 3. — Le pouvoir personnel et les imperfec-
tions de l'automatisme 1 •>. 1
§ 4. — Le pouvoir personnel et le caprice. . iu3
§ 5. — Le moi et son action 136
§ 6. — La marche du pouvoir personnel vers
l'automatisme i3a
§ 7. — La marche du pouvoir personnel vers
l'automatisme i3i
§ 8. — La marche du pouvoir personnel vers
l'automatisme i36
§ 9. — La délibération et la décision dans;
l'exercice du pouvoir personnel. . iio
§ 10. — Le pouvoir personnel et l'exécution. i4ti
§ il; — Les formes intermédiaires et les formes
composées. i.'i7
§ ia. — Les formes intermédiaires et les formes
composées ♦ t^g
CHAPITRE VIII
LE DOMAINE DE LA VOLONTÉ
§ 1. . ' i5o
§ 2. — Conscience et volonté i5i
§ 3. — Le.« je veux » 167
§ 4- — Le « je veux » n'est pas nécessaire k
la volition i65
§ 5. — Le domaine de la volonté : la volonté
et les autres phénomènes psychiques. j 68
§ 6. — La volonté et les phénomènes intellec-
tuels 17a
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ï-*y?
322 TABLE DES MATIÈRES
§ 7. — Volition el perception 176
§ 8. — La volonté et l'activité intellectuelle
générale 180
§ 9. — La volonté et les phénomènes affectifs. 182
§ 10. — La volonté de vouloir 189
§ 11. — Le domaine contesté de la volonté. . 191
§ia. — L'impuissance de là volonté ig5
§ i3. — La volonté et les fonctions organiques. 199
§ i4. — La volonté et le monde extérieur: in-
fluence directe 202
§ i5. — La volonté et le monde extérieur : in-
fluence indirecte 207
§ 16. — La volonté obstacle à l'action. . . . 2i4
§ 17 •. • • • 3I 9
CHAPITRE IX
I/EXTENSION DU DOMAINE DE LA VOLONTE
Formation et éducation de la volonté sup-
pléances et complications.
§ 1. -
§ 2
§ 3
§ 4
8 5
§ 6
§ 7
§ 8
§ 9
§ iQ
§ «■
§ 12
L'élargissement du domaine de la vo-
lonté. . . 221
Enfants et adultes 224
Les moyens indirects du pouvoir per-
sonnel 228
Combinaisons de phénomènes. L'inter-
médiaire efficace 23o
Action sur les sentiments 235
Exercice de la volonté 237
Les fonctions organiques. Actions di-
rectes et indirectes 23g
La conquête du monde extérieur. . . 242
Phénomènes pathologiques de substitu-
tion 245
L'excitation du moi et de ses éléments. 25 1
Moyens physiologiques 254
L'éducation de la volonté 260
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TABLE DES MATIERES 3a3
CHAPITBE X
LA VOLONTÉ AU POtftT DE VUE
PHYSIOLOGIQUE
§ i ♦ . . . aG6
§ 2 369
§3 370
CHAPITRE XI
LA VOLONTÉ ET LES PHÉNOMÈNES SOCIAUX
§ 1 a 7 5
§ 3. — L'activité automatique et l'activité vo-
lontaire dans la vie de la société. 377
§ 3. — Les conditions de la volonté sociale, , 38a
§ 4- — Analyse de l'acle de volonté sociale*
Ses trois phases a85
§ 5. — Le jeu des éléments indépendants, . . 288
§ 6. — Caprice et volonté sociale. Le moi so-
cial et la société. t 2 Sa
§ 7. — L'équivalent du pouvoir personnel dans
les sociétés. Le pouvoir de l'État,
ses limites, sea conquêtes. -, 20 j
§ 8 ag5
Conclusion ....... aqfi
APPENDICE
LA QUESTION DU LIBRE ARBITRE . . ago,
§ ! 3oo
§ a 3 ûa
§ 3. 3o3
§4 3o5
§ 5 3o9
§ 6 3l *
Liste des ouvrages cités. . ■ j- ; 3i&
Table des matières 3ig
CHARTRES. IMPRIMERIE DLRAEID, Kilt FlLBtUT,
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